J’ai toujours ton cœur avec moi, roman islandais de Soffía Bjarnadóttir

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J’ai toujours ton cœur avec moi est un roman de l’islandaise , à paraître aujourd’hui aux éditions Zulma. Le postulat de départ est simple : la narratrice apprend que sa mère vient de mourir. Elle s’embarque donc sur un bateau pour revenir en Islande ; plus précisément sur l’île de Flatey, dans le Breidafjördur, où Siggý a vécu ses dernières années.

Dès les premières lignes de J’ai toujours ton cœur avec moi , on sent l’enchevêtrement, la perte de repères apparaître :

« C’est ici, au cœur du Breidafjördur, que me revient l’hiver des lombrics. J’ignore s’il s’agit de mon histoire ou de celle de Siggý. Aucune importance, chaque vague de sel aspergeant le pont me rapproche d’elle. »

LaSolutionEsquimauAWEn prenant pour trame le voyage de Hildur, la narratrice, revenant sur le lieu des dernières années de sa mère, une petite maison aux murs jaunes, décrit la remontée, dans le désordre, des souvenirs qu’elle a gardés de sa mère qui vivait dans un monde bien à elle, avec des épisodes de dépression, d’euphorie et de perte de contact avec la réalité, qui mis bout à bout ont bâti une vie étrange, sans véritables repères pour Hildur, jusqu’au moment où elle est partie voler de ses propres ailes.

La narratrice a donc toutes les raisons du monde d’en vouloir à sa mère, qu’elle peine même à appeler ainsi ; et pourtant ce qui imprègne J’ai toujours ton cœur avec moi n’est pas tellement la colère, ni le ressentiment ou le gâchis ; c’est le souvenir d’un monde à part, dans un espace flottant, détaché de la réalité, que partageaient l’enfant et la mère, un lien indestructible qui les relie encore par-delà la mort, dans le propre sentiment de Hildur de se détacher du réel. Le récit traduit ce sentiment par le biais de sauts du coq à l’âne telles ces phrases : « Au cours de ma première nuit dans la maison de Siggý, je rêve de mûres. Je pense alors toujours aux nonnes de l’Ingólfsfjördur », ou d’association d’idées saugrenues comme « l’hiver des lombrics ».

Il va sans dire que J’ai toujours ton cœur avec moi entraîne rapidement le lecteur à la dérive, égaré entre ces mots qui partent dans toutes les directions et tâchant de trouver un sens à cet univers qui lui échappe. Tout est évoqué, rien n’est vraiment achevé ; tout se déforme, se distord tôt ou tard, partout l’étrangeté domine sur le familier. L’homme qui semble devenir le seul point d’attache de Hildur à la réalité physique a les yeux vairons et il ne se passe rien entre eux ; le voisin de Siggý, qui était aussi peut-être ce qui se rapprochait le plus d’un ami ou d’un amant pour elle, ne nous est jamais désigné que sous le nom de Kafka ; pendant la majeure partie du récit, de loin en loin apparaît un autre nom : Tumi, dont le lecteur ne sait rien, sinon que Hildur le fuit et le protège tout à la fois, jusqu’à comprendre que c’est son fils. Du père, on ne connaît que le nom, le fait qu’il était là à la naissance de Tumi, et que c’est lui qui l’élève. La grand-mère semble faite d’une substance plus solide, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’elle est morte, elle aussi. Indice que dans ce récit ce n’est pas le réel mais le souvenir ou l’imagination qui dominent. Bien plus substantiels, plus vivants nous paraissent les lombrics et l’araignée dont Hildur parle, les paysages islandais qu’elle arpente, ou les souvenirs qui se lèvent dans sa mémoire au fur et à mesure de son deuil.

Soffia Bjarnadottir

Soffia Bjarnadottir

J’ai toujours ton cœur avec moi propose une lecture déroutante, difficile à résumer et à faire appréhender, et qui peut facilement déboussoler car les épisodes et le fil narratif lui-même en sont décousus. Mais que j’ai appréciée, puisqu’elle ne prétend pas nous montrer des adultes qui ont réponse à tout, savent tout faire, gèrent tout, mais met en lumière toutes les failles, en plein et en creux, d’une existence déviante, aussi bien leur beauté que leur difficulté. Parce que, oui, il y a une part de beauté dans cette case manquante de l’esprit transmise à la fille par la mère, puisqu’elle amène Hildur enfant, mais aussi adulte et narratrice, à voir l’étrange et le merveilleux au cœur des menus détails de la vie, et le lecteur à contempler la force indéfectible de ce lien mère-fille entre celle qui fut pourtant si peu mère, et sa fille devenue adulte trop tôt – ou jamais ? – qui à son tour ne parvient à être mère que de loin pour son fils Tumi.

« Elle est morte et l’île demeure clouée à l’océan. La beauté est relative mais, par tous les diables, le silence et l’odeur d’algue qui règnent ici m’auraient rendue folle. Les phoques sur la plage ont des yeux d’hommes et la terre est toujours humide pour peu qu’on cherche des lombrics à la nuit tombée. »

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