Le dernier thriller du romancier écossais Peter May, Je te protégerai, paraît en traduction aux éditions du Rouergue. Au menu, un pavé de 400 pages qui nous emmène de Paris aux Hébrides extérieures et nous fait découvrir l’industrie locale : la production de tweed.
Niamh Macfarlane voit la voiture qui emmène son mari exploser sous ses yeux, Place de la République. L’hypothèse d’un attentat est rapidement écartée ; la police penche plutôt pour un règlement de compte à caractère personnel ou professionnel. Les raisons de faire disparaître Ruairidh Macfarlane ne manquent pas – et les meurtriers potentiels non plus. Sa belle-famille le déteste ; sa femme le soupçonne de la tromper
avec une styliste ; le mari de ladite styliste le croit aussi ; l’activité professionnelle de Ruairidh, qui a créé avec Niamh une florissante entreprise de textile, lui a valu de nombreux ennemis.
Après avoir répondu aux enquêteurs parisiens, Niamh retourne dans la villa qu’elle a fait construire avec Ruairidh, aux Hébrides extérieures. Je te protégerai déploie alors ses plus beaux atours, nous faisant découvrir ces îles perdues au large de l’Écosse, au climat rude et aux paysages d’une beauté sauvage. C’est sans aucun doute l’aspect le plus réussi du roman. Peter May nous embarque vers ces îles et nous donne une furieuse envie d’aller y passer quelques jours pour de vrai. Il nous initie par ailleurs à la subtilité du textile qui fait la réputation des îles, où il est exclusivement tissé : le tweed. L’auteur a eu l’intelligence de placer son intrigue dans un cadre original et d’en tirer le meilleur parti.
C’est – hélas ! – la plus grande qualité de ce thriller. Certes, l’intrigue, de facture assez classique, se laisse lire sans déplaisir. L’alternance entre la narration à la troisième personne et le récit de Niamh à la première personne soutient l’intérêt et nous embarque astucieusement dans l’intimité des personnages. Je te protégerai entretient toutefois le mystère en reportant sans cesse les révélations au moyen de ficelles trop visibles. Maîtrisé, le cliffhanger soutient l’intérêt du lecteur ; utilisé avec maladresse comme ici, il irrite. À force de retarder les révélations, Peter May fait comme Agatha Christie : la vérité est livrée d’un bloc au dernier chapitre ; aucun indice n’est disséminé au cours du récit pour faire participer le lecteur à l’enquête. Cette façon de faire était de rigueur du temps de l’auteure de Dix petits nègres, mais elle passe beaucoup plus difficilement aujourd’hui. Pour le lecteur ainsi laissé de côté, le retournement de situation final tombe alors non comme une divine surprise, mais comme une trahison…
Si encore ce roman n’avait de désuète que sa conception de la forme policière ! Mais le suspense cache ici une vision du monde rancie. Dans Je te protégerai, la femme qui a un boulot à responsabilités est une mauvaise mère qui sera punie de son inconduite ; la lesbienne est forcément amoureuse d’une hétéro et voue une jalousie maladive et hystérique au mari ; le grand couturier est forcément gay, lâche et hypocrite. S’ouvrant sur la recherche d’un meurtrier, le roman glisse insensiblement vers la sanctification du mâle sain, viril, protecteur, de l’épouse amoureuse, qui l’épaule professionnellement sans être trop carriériste, et de leur couple, conforté par la naissance d’un enfant…
Le roman de Peter May n’a finalement d’original que son décor ; son propos, lui, est vieux comme le patriarcat.