Étrange roman que ce Pays dont je me souviens que publie, au Mercure de France, la psychiatre et écrivaine Anne Révah. Au gré des pages, on trouve quelques fulgurances, des moments de poésie pure, des personnages bien campés et pris dans des scènes criantes de vérité, tandis que le voyage entrepris par les héros ne manque pas d’intriguer. D’où vient alors que la sauce ne prend jamais vraiment ?
L’histoire du Pays dont je me souviens part pourtant sur de très bonnes bases. Philippe, la cinquantaine, vient enfin de divorcer de Claire, la mère de ses deux fils adultes, qui l’a écrasé et contrôlé sa vie durant. Résolu à reprendre le contrôle de son existence, il retourne sur les lieux de son adolescence, où il a laissé son amour de jeunesse – et seul amour de sa vie, Valentine.
Il ne trouve aucune trace de celle qu’il a aimée, mais il fait la connaissance de Myor, un homme étrange qui vit à la marge, dans une tente, et raconte des histoires fabuleuses sur son passé, sa jeunesse, passée au bord d’un mystérieux lac entouré de montagnes. Pour se donner enfin un but, lui qui n’a jamais vraiment pris de décision dans sa vie, Philippe décide d’emmener Myor au bord de son lac. Sans même être sûr que le lac existe en dehors de l’esprit de l’étrange personnage, Philippe se met donc en route avec son compagnon. Le duo s’embarque pour un road trip qui les mènera jusqu’en Grèce, au gré d’une route jalonnée de rencontres, d’épreuves et de discussions. Les deux hommes se rapprochent, nouent une relation forte, sans jamais vraiment se livrer l’un à l’autre. Jusqu’à ce que Myor lâche Philippe – et que ce dernier se trouve.
Le Pays dont je me souviens d’Anne Révah ne manque certes pas d’allure. Ainsi, l’histoire de Philippe, son amour pour Valentine, sa relation viciée avec Claire, ses difficultés avec ses fils, est racontée avec beaucoup de subtilité et une remarquable économie de moyens. Dans un tout autre registre, la trajectoire de Myor est, elle, empreinte d’une délicate poésie, issue de cette belle idée de l’enfance au bord d’un lac, où le personnage avait la charge de surveiller la lumière.
Là où le bât blesse, par contre, c’est dans l’assemblage de ces deux univers. Non que deux hommes très différents ne puissent se rencontrer ni nouer des liens puissants. La littérature et le cinéma regorgent de ces tandems d’abord improbables puis devenus inséparables. C’est plus exactement le mélange entre, d’une part, le régime réaliste de l’histoire de Philippe et, d’autre part, le style fantastico-surnaturel de celle de Myor qui peine à convaincre. Le personnage de Philippe suscite l’empathie ; celui de Myor intrigue ; les deux intéressent. Beaucoup. On lit leurs histoires respectives avec plaisir, mais ces deux histoires-là devaient-elles vraiment se croiser sur les pages d’un même livre ?