Il n’est jamais trop tard pour parler d’un bon livre ! Roman fantaisiste et drolatique d’Homer Hickam, Albert sur la banquette arrière vous mettra le sourire aux lèvres. Il est paru en juin dernier chez Harper Collins.
D’abord ahuri, puis gagné par le rire devant les péripéties qui se succèdent, toutes plus invraisemblables les unes que les autres, sur le chemin d’Homer, vous ne pourrez plus lâcher le livre des mains.
Et pourtant ce brave mineur de Virginie-Occidentale n’en demandait pas tant. Son seul but dans l’existence, au cœur de la Grande Dépression des années 30, était de plaire à Elsie, une jolie fille rêvant de célébrité, et de l’épouser. Ce qui est chose faite depuis un moment.
Mais il y a un hic dans leur vie. Ce hic s’appelle Albert. Non, ce n’est pas l’amant d’Elsie, mais son alligator domestique, un cadeau de mariage offert par son ancien prétendant lorsqu’elle s’est résignée à épouser Homer. Lequel alligator rend la vie infernale à Homer depuis plusieurs années, tandis qu’Elsie passe son temps libre à le câliner.
Un jour, c’est le mauvais tour de trop, et Homer pose un ultimatum à Elsie : l’alligator ou lui. À contre-cœur, Elsie choisit Homer, à une condition : qu’ils ramènent l’alligator chez lui en Floride, à quelques milliers de kilomètres de là. En espérant secrètement que ce voyage sera l’occasion de montrer à son mari à quel point leur vie est ennuyeuse comparée à ce que le reste des États-Unis peut leur offrir. Et peut-être, de retrouver son ancien prétendant, grand, beau et riche…
Ce road-trip à trois avec un coq venu d’on ne sait où se nicher dans leur voiture sera tout sauf ennuyeux, leur faisant croiser la route de l’écrivain John Steinbeck, de trafiquants de drogue, de grévistes communistes et d’un multimilliardaire en fauteuil roulant entre autres. Homer enchaînera toutes sortes de jobs différents, de chef de chantier ferroviaire à joueur de base-ball en passant par le métier d’acteur, tout cela pour les beaux yeux d’Elsie qui finira par regarder un peu plus au fond de son propre cœur. Et n’oublions pas Albert, toujours là pour rajouter une pincée de cocasserie au milieu de tous ces personnages plus farfelus les uns que les autres !
Le plus étonnant est que chaque épisode d’Albert sur la banquette arrière, au-delà des scènes comiques, est également une référence parodique à un moment de l’histoire des États-Unis : la Grande Dépression certes, mais aussi, en vrac, la Prohibition, le maccarthysme, le boom économique du travail à la chaîne et de l’industrialisation, le développement des studios de cinéma et d’Hollywood, l’apparition des self-made men multimilliardaires… Le lecteur averti y trouvera une source de divertissement supplémentaire !
Le récit lui-même est un grand flash-back, entrecoupé de scènes au présent où le narrateur, Homer Hickam Junior, discute avec l’un ou l’autre de ses parents pour en entendre plus sur leur passé. Cela aboutit à un rythme très enlevé, entre les rebondissements abracadabrants du road-trip racontés sur un ton très désabusé, « matter-of-fact » (bah oui ma femme dort avec un alligator dans sa tente, moi tout seul à la belle étoile, et j’ai passé la journée à empêcher des grévistes de me trouer de balles tout en retrouvant le patron de l’usine, rien de plus normal) et les moments d’intimité du narrateur et de ses parents, plus tranquilles. On ne s’ennuie jamais une seconde, et la question qui brûle les lèvres du lecteur au bout de quelques pages, cruciale et légère tout à la fois, le mène sans peine jusqu’au dénouement : au fond, Elsie aime-t-elle Homer ?
C’est ce qui fait toute la prouesse d’Albert sur la banquette arrière, traiter ce thème de l’amour unilatéral et des compromis que demande la vie conjugale sans aucun pathos, sur le ton de la badinerie plaisante mais pas superficielle. Un équilibre plus délicat à atteindre qu’on ne le croit, et infiniment distrayant. On en sort la tête pleine d’images et l’air réjoui.