10:04 est le second roman de l’Américain Ben Lerner, que publient les éditions de l’Olivier en cette rentrée littéraire. Le premier roman de l’auteur, Au départ d’Atocha, encensé par la critique anglo-saxonne était paru en français chez le même éditeur. 10:04 est lui aussi précédé d’une flatteuse réputation.
Dans ce deuxième roman, Ben Lerner conte les aventures de Ben, auteur d’un premier roman remarqué et cherchant laborieusement l’inspiration pour son deuxième roman – lequel roman sera finalement l’histoire de Ben cherchant l’inspiration pour écrire son roman. Ben ne se contente pas d’écrire : il a une aventure avec Alana, qu’il quitte pour pouvoir se consacrer à sa meilleure amie Alex qui lui demande de donner son sperme pour qu’elle puisse avoir un enfant. Il participe aux activités de la Coop, où il s’approvisionne en nourriture bio. Il visite des expositions d’art contemporain, voit des films expérimentaux comme The Clock de Marclay, aussi, même si sa référence cinématographique serait plutôt Retour vers le futur – le titre 10 :04 est d’ailleurs un clin d’œil au film de Zemeckis. Et il se prépare, comme tous les New-Yorkais, à affronter la tempête du siècle. Les deux tempêtes, même : l’une ouvre le livre, la seconde le referme.
À la croisée de l’autobiographie, de l’autofiction et de la métafiction, Ben Lerner signe un roman à la composition virtuose, « qui, à l’instar d’un poème, n’est ni de la fiction ni de la non-fiction, mais un vacillement entre les deux » (p. 211). L’auteur complexifie encore le jeu de miroir entre lui-même et le narrateur, et le rapport entre son livre et la réalité, en insérant dans le cours du récit des éléments hétérogènes. On y trouve ainsi dans une nouvelle, que le narrateur dit avoir publiée dans le New Yorker, où il est aussi question d’un écrivain en quête d’un sujet. Or il s’agit de la retranscription d’une nouvelle de Lerner publiée précédemment dans le New Yorker. Les pages du roman sont par ailleurs rehaussées de plusieurs photographies (œuvres d’art, photogrammes de films, photographies d’artistes…) agrémentées de légendes dont on ne sait pas très bien si elles doivent être lues comme venant du narrateur ou de l’auteur et qui entrent en résonance avec l’histoire racontée.
Vertigineux et diablement malin, ce roman de Lerner. Trop même. C’est qu’à force de jouer sur les limites de la fiction et de multiplier les mises en abyme, le livre semble écrit intentionnellement pour figurer au programme des cours de théorie de la littérature de toutes les universités (Lerner lui-même est d’ailleurs professeur d’anglais à Brooklyn College). Le narrateur, qui apparaît d’abord comme un hypocondriaque drôle et attachant – New York aidant, il fait immanquablement penser à Woody Allen – perd petit à petit cette touche d’humour, comme vouée à la disparition dans un roman qui se prend trop au sérieux.
Dommage vraiment, car 10 :04 fourmille par ailleurs de passages inventifs et remarquablement bien menés, qui nous promènent de l’identité arabe d’une jeune femme de la Coop à la vocation littéraire du narrateur, née de l’écoute d’un discours de Reagan, en passant par une promenade dans la nuit New Yorkaise un soir de panne d’électricité… Un roman foisonnant, pour le meilleur et pour le pire.