L’homme de ma vie, émouvant récit de Yann Quéffelec

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Dans ce récit doux-amer empli d’humour et de tendresse, Yann Queffélec se décide enfin à nous raconter ce père qu’il a souvent évoqué. L’homme de ma vie, paru début octobre aux éditions Guérin, nous emmène au cœur de la relation filiale complexe de deux grands écrivains et nous démontre avec une grande finesse qu’il n’est pas forcément évident d’être le fils de son père, surtout quand les deux ont du talent.

L’homme de ma vie est l’histoire d’un petit garçon, un cadet arrivé malgré tout, quand on ne l’attendait pas. Un vilain petit canard, une quantité négligeable turbulente et perturbatrice dont son père se passerait bien. Car le grand homme a besoin de calme pour donner naissance à la prose qui nourrit quatre enfants.

l-homme-de-ma-vieAlors de rebuffades en remontrances, le petit Yann grandit dans l’ombre de ce père autoritaire, au regard glaçant, dévoré par la soif d’un geste d’affection et de reconnaissance de sa part. Il n’est pas bien beau, n’a pas l’humour ou le charme de son aîné Hervé, ni le talent musical de sa sœur Tita, il ne brille par aucun don particulier et encore moins par ses résultats scolaires. Mais à s’appliquer à saisir le caractère de son père, pour mieux lui ressembler à tous prix et s’attirer son affection, il finit par montrer quelques aptitudes à l’écriture. Trahison ! Crime de lèse-majesté ultime ! Pour lequel il est manu-militari envoyé en pension. Il ne manquerait plus que cet insupportable brise-fer prétende avoir hérité du talent paternel. N’est pas Henri Queffélec qui veut ! Et pourtant…

Des bêtises d’enfances aux errances de l’adolescence jusqu’à sa vie d’adulte, Yann Queffélec ne cessera de chercher à réparer, raccommoder sa relation avec son père. Un père aussi maladroit que lui, qui peine à se reconnaître dans ce fils mal aimé, dont l’ego l’empêche parfois dire les mots, de faire les gestes… Un père dont l’ombre se dessine au fils des pages et avec lequel il évolue dans une étrange forme de rivalité latente.

Ce n’est pas une histoire dure, c’est une histoire profondément triste que Yann Queffélec nous retrace dans L’homme de ma vie. C’est une madeleine de Proust à la saveur amère.

Sous sa plume légère et pleine d’humour, se dessinent tout à la fois les regrets de l’adulte et la tendresse frustrée de l’enfant. Des tragédies aux moments de complicité trop vite effacés, on se prend à regretter avec lui le rendez-vous raté qu’a été cette relation. Son talent de conteur lui permet de faire revivre avec un certain recul et une intensité bouleversante les déceptions de l’enfance et les émotions contradictoires de l’adulte. Alors que, sans complaisance aucune, il souligne avec ironie ses propres ratés dans cette relation. Une distance parfois déroutante mais qui n’empêche pas, loin de là, l’émotion de vous empoigner.

Avec sensibilité, Yann Queffélec esquisse dans L’homme de ma vie un portrait intime de cette figure paternelle insolite. De celui contre lequel il s’est construit mais dont il aurait préféré se sentir aimé. Pourtant, des déceptions et des blessures émergent un livre touchant, souvent poignant, en forme d’hommage au père qu’a été l’homme de sa vie. Celui pour lequel il s’est forgé écrivain, mu par le désir intense de lui ressembler pour exister à ses yeux. Suivre la voie du père pour parvenir à être le fils de…

– Tu as vu, Papa ? J’ai bien nagé ?

Même pas : j’ai bien nagé, non, même pas : j’ai bien marché, je suis fort, et si tu m’avais dit : porte-moi sur ton dos, je t’aurais porté en courant jusqu’à la maison.

Même pas tout ça pour lui prouver que je ne me suis pas trompé de papa, et lui pas trompé de fils.

Il répond du tac au tac, l’air indigné :

– Bien couru ? Ton frère aurait couru plus vite que toi.

Il me sourit, découvrant ses dents mal rangées qu’il ne montre jamais.

– Et il aurait mieux nagé, tu ne sais pas nager.

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