Pour sa rentrée littéraire, Serge Safran traduit Le quartier chinois de la coréenne Oh Jung-hi, dont l’œuvre composée de romans et de nouvelles se teintent de son expérience et de sa vision de différentes étapes décisives de l’Histoire de son pays. Dans Le quartier chinois, elle nous parle de ces destins frappés par le malheur mais malgré tout touchés par la grâce.
Le quartier chinois est un recueil qui se compose de trois nouvelles, « Le quartier chinois » « La cour de l’enfance » et « Le feu d’artifice ». Toutes ont pour narrateur un enfant, qui contemple un monde dévasté, aride sans toujours le comprendre. Ce focus est efficace, plongeant le lecteur dans la confusion et l’innocence de l’enfance, tout en lui donnant à voir le spectacle quotidien de la Corée de l’après-guerre, la rudesse du quotidien, les extrémités auxquelles sont réduites les familles pour survivre, et en même temps le cycle toujours renouvelé des saisons, qui apaise l’angoisse toujours lancinante du « et demain ? ».
Le style des nouvelles du Quartier chinois est étonnamment varié : parfois cru, parfois poétique, tout à tour rageur, désespéré, fataliste. Oh Jung-hi manie la palette des émotions tout en pudeur et en retenue, et donne à voir en filigrane un portrait pittoresque des traditions coréennes.
Dans « Le quartier chinois », une fillette quitte son village pour une ville portuaire avec sa famille nombreuse, dans l’espoir de mener une meilleure vie ; mais ils se retrouvent parqués dans le quartier débauché du port, qui la confronte à la prostitution, la maladie, la mort, et sera le cadre de la fin de l’enfance.
Dans « La cour de l’enfance » une autre fillette, Yeux-jaunes, ne subit pas d’exode rural, mais contemple sa famille se déliter lentement sans son père, parti à la guerre, avec la violence de son frère aîné, la passivité de sa mère qui cumule les petits boulots et la grand-mère qui tente de s’occuper des enfants. Tous s’activant dans l’attente de plus en plus désespérée du père absent, sans savoir s’il reviendra véritablement – et s’il revenait, que ferait-il au fond ?
Enfin, dans « Le feu d’artifice », dernière nouvelle du Quartier chinois, l’enfant est cette fois un garçon, Yongjô, qu’on voit assister à un cours d’histoire après l’école, puis passer le temps avant le feu d’artifice prévu ce soir en l’honneur du changement de nom de la ville. Ici, en filigrane, se dessine la question du rapport inconscient des peuples à l’Histoire, du basculement de la société traditionnelle d’avant-guerre vers la modernité, le communisme, qui n’est évoqué qu’au détour d’une ligne par le pharmacien condamné auquel parle le père de Yongjô, Kwanhi :
« Je voudrais auparavant me réserver un temps, dût-il être bref, où je serai encore maître de mon corps. En me livrant à des réflexions comme quoi, même s’ils ne s’en rendent pas compte, les gens constituent à travers leur vie de tous les jours un seul grand courant – et c’est sans doute ce qu’on appelle l’Histoire – dont la destination finale n’est connue que de Dieu. Ou bien encore comme : qu’est-ce que l’homme ? qu’est-ce que la vie ? »
Ce qu’on retient du Quartier chinois, bien plus qu’un panorama désabusé de la Corée, ce sont ces interrogations éternelles, lancinantes, venues de l’enfance et que ne fait qu’exacerber l’âge adulte, formulées plus ou moins clairement par l’ingénuité ou la sournoiserie des enfants, et par le grand-père de Kwanhi :
« Que peut-on faire dans un monde pareil ? (…) Mettez vos connaissances au service de causes justes. »
Juste portrait, sensible et empathique, d’un pays toujours plongé dans le chaos après la guerre et l’occupation, dont le désarroi touche au cœur.