Rosa Candida a été la grande révélation 2010 en littérature étrangère, en récoltant le prix Page des libraires. Critiques et journalistes n’ont pas tari d’éloges devant cette nouvelle figure de la littérature islandaise. A nous de rendre notre verdict !
Le point de départ de l’intrigue est le voyage puis l’installation du narrateur islandais, Arnljótur, à l’étranger dans un monastère où il s’occupe d’un jardin de roses laissé à l’abandon depuis longtemps. Les aléas du voyage et de son quotidien de jardinier sont la trame de fond sur laquelle se greffent ses pensées à propos de sa mère morte dans un accident de voiture, qui lui a légué sa passion pour les plantes, à propos de l’enfant qu’il a conçu par accident avec une fille d’un soir, à propos de sa propre vie, enfin, sur laquelle il a le sentiment de n’avoir aucune prise. Quand, un jour, la mère de son enfant arrive, le bébé dans les bras, au monastère.
Mon sentiment au sortir de ce livre est partagé. L’impression qu’a Arnljótur d’être totalement extérieur à sa vie est très bien décrit, sa naïveté face à ce qui lui arrive très clairement montré au lecteur. Voire trop ; on finit par se demander si cet échec à prendre en main les rênes de sa vie n’est pas volontaire ; si ce détachement face à la vie, cette absence de réponse aux questions qu’il se pose n’est pas de la passivité, voire de la mollesse pure et simple. J’ai eu envie de le secouer comme un prunier par moments, tant cela pouvait m’irriter. Ce n’est qu’à partir de ses retrouvailles avec la mère de son enfant, Anna, et sa fille elle-même, Flora, qu’on commence à voir une ébauche d’initiative se dessiner en lui, lorsqu’il se met en quatre pour s’occuper d’elles.
A ce propos, j’ai été étonnée par la critique de lepoint.fr (6 février 2012) : dire que sa femme et sa fille en rejoignant Arnljótur le poussent « à devenir ce mari et ce père qu’il était devenu trop tôt, un soir, dans une serre, par hasard », c’est par trop extrapoler et complètement oublier la fin du livre, l’échec de sa relation, le départ d’Anna pour une durée indéterminée parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut, ce bébé qu’elle laisse à son père parce qu’il s’en occupe mieux qu’elle… La fin du livre ne voit pas Arnljótur marié. Ni même en couple ! Elle le voit devenu père, certes, et c’est la principale réussite du récit, d’arriver à décrire par petites touches douces, légères mais minutieuses, l’émergence progressive d’une belle relation toute en délicatesse entre Arnljótur et sa fille de huit mois. Mais ce qui fait le lit de cette relation, ce n’est pas tant la volonté d’Arnljótur que la simple présence de Flora, qui l’interpelle, le pousse à tenter de décrypter ses humeurs, à graviter autour d’elle, et à finalement devenir véritablement son père à force de la côtoyer chaque jour.
Le rôle trop anecdotique de la mère dans ce livre m’a gênée. Le narrateur et son père font souvent référence à elle, aux souvenirs qu’ils ont d’elle, mais ces derniers restent déconnectés du récit, sans influence réelle sur les propres faits et gestes d’Arnljótur. Son père et son frère eux-mêmes ne semblent pas faire réellement partie du récit. Tous les personnages semblent graviter les uns autour des autres par accident, sans que jamais les fils de leurs vies se mêlent vraiment, acquièrent cette relation organique qui les rendrait interdépendants l’un de l’autre. On dirait des chats qui se cognent par erreur l’un contre l’autre parce qu’ils vivent dans la même pièce, pas parce qu’ils cherchent un contact physique.
Mais, malgré tous ces défauts, la mayonnaise prend, presque contre le gré du lecteur. On ne peut s’empêcher de sourire devant la naïveté du narrateur désemparé dès qu’il se retrouve devant une personne du sexe opposé, son application à apprendre à cuisiner pour Anna, à prendre soin de Flora, si bien que par ses yeux on retrouve l’ingénuité de la jeunesse d’abord, puis l’éclairage neuf que prend l’existence lorsqu’on devient parent. Car la seule personne, finalement, à laquelle le narrateur se sent relié de façon réelle, tangible, la seule à l’ancrer fermement dans le monde, c’est sa fille.
Et comme le rayon de soleil qui tombe d’un vitrail pour se poser sur la joue de l’enfant, comme un clin d’œil final, ce qu’on finit par retenir de ce roman, au-delà de l’agacement devant les lenteurs du récit ou les incohérences du narrateur, c’est la douceur de ce regard d’un père sur sa fille.
« A ce moment-là j’aurais peut-être dû penser à quelle sorte de mère mon enfant aurait, mais je n’arrivais pas à me connecter à l’enfant de cette femme, je n’arrivais pas à créer un pont entre l’enfant et moi. Je n’arrivais pas à voir mes actes en perspective, à faire la relation de cause à effet, à me rendre compte de la possibilité pour ma semence de tomber en terre fertile et de se nicher dans la femme qui était assise en face de moi et remuait le chocolat chaud dans sa tasse. »
Rosa Candida paru le 19 août 2010 chez Zulma – traduction de Catherine Eyjólfsson – 20,30€