Quiconque connaît un tant soit peu la vie de John Irving voit défiler dans le roman les références autobiographiques. Cependant, comme pour toute autobiographie romancée (ou autofiction), il serait très injuste de « réduire » A moi seul bien des personnages à cela.
Le héros, Billy, est un jeune garçon qui grandit dans une petite ville du Vermont. Très proche des membres de sa famille dont il parle beaucoup (sa mère, sa tante, ses grands-parents), il n’a en revanche jamais connu son père. Alors qu’il entre dans l’adolescence, sa mère, souffleuse dans la troupe de théâtre amateur de la ville, va rencontre Richard Abbott. Ce dernier deviendra le beau-père de Billy, et finira par l’adopter. Il l’aura élevé comme son fils, attentif à ses besoins et à ses doutes. C’est lui qui l’accompagnera à la bibliothèque de la ville, où Billy, émerveillé, découvrira la littérature, conseillé par la bibliothécaire, la charismatique Miss Frost, pour laquelle il aura un coup de coeur. Cette passion pour cette femme beaucoup plus âgée que lui téléscopera les sentiments naissants de Billy pour son beau-père. Car il se rend compte très tôt, qu’il éprouve du désir pour l’un comme pour l’autre. Cela l’entraînera dans une grande réflexion sur les « erreurs d’aiguillage amoureux », et les problèmes que peut créer le fait de se « tromper de personne » (je le cite).
Dans une chronologie libre, Billy nous raconte ses divers coups de coeur et aventures amoureuses. Son beau-père, la bibliotécaire, sa meilleure amie Elaine, sa relation avec des transexuels : il nous dit tout. Très tôt, le jeune garçon comprend bien qu’il est attiré aussi bien par les hommes que par les femmes, souvent plus âgés que lui. Il grandira avec la certitude qu’il ne peut pas échapper à ces désirs. Bien sûr, les moqueries des camarades de Billy vont bon train, et sa mère, pas du tout à l’aise avec la sexualité en général, met de la distance entre eux. Mais le personnage rencontrera tout de même bon nombre de personnes bienveillantes, qui l’accompagneront dans cette découverte progressive de sa sexualité, et qui pour certains lui donneront confiance en lui.
« En cet automne 1959, j’avais dix-sept ans et je n’avais pas mis Elaine au courant de mes penchants : je n’avais pas eu le courage de lui dire que Miss Frost et Jacques Kittredge m’attiraient sexuellement l’un comme l’autre. »
Le narrateur (Billy, donc) opère des allers-retours entre les différentes étapes de son éducation sentimentale et sexuelle. Après son coup de coeur pour Miss Frost, on apprend sa relation avec un certain Tom, puis on retourne dans le passé pour apprendre qu’il a flirté avec sa meilleure amie d’enfance Elaine, puis nous faisons la connaissance d’Esmeralda, de Donna, de Larry… Billy ne nous cache rien, on connaîtra tout de ses préférences sexuelles, de ce qu’il aime chez les femmes, comme chez les hommes, ses relations les plus longues et les plus heureuses…
La réflexion sur la bisexualité est omniprésente. Billy a de nombreux partenaires, qui lui apportent tous une partie de ce qu’il recherche dans l’absolu. En transparence totale envers lui-même et le lecteur, à qui il s’adresse régulièrement, Billy se souvient longuement de son adolescence, ses émois, ses expériences, et cette passion naissante pour la littérature et l’écriture que lui transmet son mentor Miss Frost. Dans certains chapitres, on le retrouve à l’université, homosexuel assumé, qui fréquente aussi des femmes et des transexuels. Ces avancées dans le temps servent le récit de l’adolescence (qui représente le « fil rouge » du roman), et y trouvent leur écho, leur cause, leur conséquence ? Ou bien rien de tout cela…
Né en 1942 et romancier depuis ses 26 ans, c’est avec Le Monde selon Garp que John Irving a atteint une reconnaissance internationale, aussi bien de la critique que du grand public. En 2000, le film L’Oeuvre de Dieu, la part du Diable, adapté de son roman, reçoit un Oscar. A moi seul bien des personnages (en anglais In One Person) est son treizième roman.
Bon nombre de ses romans peuvent être interprétés comme des « autofictions », dans lesquelles il prête à ses personnages des vies et des pensées assimilables à ce que l’on connaît de lui. Ainsi, il aborde dans Je te retrouverai le thème de l’enfant élevé sans père, thème récurrent dans toute son oeuvre, à nouveau présent dans A moi seul bien des personnages. Les relations de jeunes hommes avec des femmes plus mûres sont aussi centrales dans son oeuvre. En 2005, John Irving révèle dans un article au New York Times deux événements de sa vie qu’il avait gardés secrets jusqu’alors : la réapparition de son père biologique dans sa vie, et l’abus sexuel qu’il a vécu à 11 ans par une femme plus âgée. C’est ainsi que la critique a pu confirmer la grande part d’autofiction dans les romans d’Irving.
« Si tu es nostalgique à dix-sept ans, alors tu as de sérieux atouts pour devenir écrivain ».
Un commentaire
Hâte de le lire! 😉