A l’orée du verger : la conquête de l’Ouest par Tracy Chevalier

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Vous pensiez tout savoir sur la conquête de l’Ouest américain ? Tracy Chevalier va malgré tout vous étonner. A l’orée du verger vient de paraître chez Quai Voltaire et va vous entraîner à travers le chaotique parcours de la famille Goodenough. Une épopée singulière mêlant les arbres et les hommes de façon inattendue, qui commence à l’orée du verger.

Cette histoire commence dans le Black Swamp en Ohio, au printemps 1838, avec le couple orageux formé par James et Sadie Goodenough. Arrimés à cette terre putride et marécageuse qu’ils s’échinent à cultiver pour en faire la leur, les Goodenough se déchirent autour de la culture des pommiers. A travers eux, puis à travers le destin de leurs enfants, c’est tout un pan de la conquête de l’Ouest que fait revivre Tracy Chevalier : la fièvre de l’or, la conquête de territoires nouveaux, les immenses étendues de paysages à couper le souffle, l’âpre lutte juste pour survivre, pour se tailler une place et la brutalité de cette vie rude.

tracy-chevalier-oree-vergerDans la veine de son précédent roman La dernière fugitive, Tracy Chevalier reprend la route des colons et du grand Ouest américain. Mais ici point de redite. Raconter l’histoire des arbres pour raconter l’histoire des hommes, voilà le biais original qu’elle a choisi pour faire revivre ce pan de l’Histoire, sous un jour nouveau et inattendu. Des pommiers, des redwoods, des séquoias qui vont conduire le destin d’hommes rudes, façonnés par la vie sur ce territoire hostile. Des arbres qui voyagent d’un continent à l’autre, d’une côte à l’autre suivant le sillage des hommes qui colonisent bon gré, mal gré, d’autres terres. C’est son attachement à ses pommiers, si amoureusement choyés, qui va décider de l’issue de l’existence de James. C’est cet amour des arbres, légué par son père, qui va mener Robert toujours plus loin, jusqu’à la côte californienne.

Mêlant différentes voix et types de narration, Tracy Chevalier nous mène à travers l’histoire de ces pionniers nomades, poussés par l’espoir d’une vie meilleure, s’accrochant à cette existence difficile, façonnant malgré eux pour des siècles, un territoire et l’histoire d’une nation. Elle évite avec une facilité déconcertante les écueils du genre et nous dévoile des aspects méconnus de la vie de pionniers. Passionnée par cette Histoire, elle place ici et là des personnages historiques, des faits, des lieux, sans pourtant jamais faire sentir sa présence dans le récit. Pas une longueur, pas une lourdeur. Jamais le souffle romanesque qui nous porte dans la lecture ne se coupe.  Jamais on ne ressent l’auteure derrière ces lignes. Le roman semble s’écrire de lui-même et Tracy Chevalier ne laisse pour seule preuve de sa présence que la finesse de son style et la subtilité de sa plume.

Tracy Chevalier

Tracy Chevalier

Le récit glisse, fluide, limpide et nous emporte avec lui. Secoués par la fièvre des marais, crachant la poussière des routes de Californie, on s’arrête, éblouis, à l’orée d’une forêt de séquoias, emplis par la beauté des paysages qu’elle parvient à faire jaillir devant nous. Les personnages se croisent au hasard de la route, se cherchent parfois pendant toute une vie, il y a là une forme de rudesse et de poésie. La rudesse des hommes à l’existence parfois amère. La poésie de ces rêves qu’ils poursuivent sans relâche. Ni la terre, ni les hommes ne sont faciles à apprivoiser dans cette étrange équipée, pourtant il s’en dégage quelque chose de terriblement humain qui vous rend nostalgique au moment de refermer le livre.  A l’approche des dernières pages, on s’arrête, le souffle court, considérant le chemin parcouru. Cette folle route qui nous mène au début d’une autre. La bouche envahie par le goût d’une pomme, une petite pomme jaune. Une reinette dorée, au goût de noix, de miel et d’ananas. Une pomme que l’on aurait ramassée, quelque part dans le Black Swamp. A l’orée du verger.

James Goodenough était un homme raisonnable, mais les pommes étaient sa faiblesse. Elles l’étaient depuis l’enfance, quand sa mère le gâtait en lui donnant à croquer une pomme sucrée. Cette saveur était rare, car le sucre proprement dit coûtait cher ; mais la douceur acidulée des pommes était presque gratuite puisque, une fois plantés, les arbres nécessitaient peu de de travail. Il frémissait au souvenir de leurs premières années sans pommes dans le Black Swamp. Il lui avait fallu en être privé pendant plus de trois ans pour s’apercevoir que les pommes jouaient un rôle aussi important dans son existence, qu’il en avait un besoin plus pressant que de whisky, de tabac, de café ou de rapports charnels.

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