Le troisième roman d’Adlène Meddi, 1994, paraît ces jours-ci chez Rivages Noir. Avec pour arrière plan l’Alger des années 90 et 2000, c’est un roman bien sombre que nous livre ce journaliste et écrivain. Il n’est pas sans rappeler (et le titre y est pour quelque chose), le 1984 de George Orwell. L’auteur algérien nous plonge en effet dans une atmosphère étouffante, où les protagonistes sont pris malgré eux dans l’embrayage de la guerre et soumis à une surveillance d’État permanente, à la Big Brother.
1994 s’ouvre avec un enterrement : le père d’Amin, un des protagonistes, était une figure centrale des services secrets algériens, et toute l’armée est donc présente à ses funérailles. Ce décès semble faire resurgir des secrets enfouis, prêts à exploser. Amin craque, et se retrouve enfermé dans un hôpital psychiatrique. Un vieil ami, Sidali, semblant partager le même fardeau qu’Amin, revient au pays après un exil de 10 ans, bien déterminé à déterrer les vieux fantômes. Que s’est-il passé en 1994 ?
On parle souvent de « décennie noire », ou « d’années de braise » pour désigner la décennie 1990 en Algérie. À cette époque, une guerre larvée entre l’Etat et des guérillas islamistes déchire le pays. Dans les rues d’Alger, personne n’est à l’abri. Le gouvernement a les yeux partout. Amin, Sidali et d’autres amis, alors étudiants, sont pris en étau dans ce climat morbide, et décident d’agir en montant leur propre organisation clandestine.Je n’en dit pas plus… Adlène Meddi nous fait remonter le fil de cette difficile histoire, promenant le lecteur entre plusieurs temporalités : 2004, 1994, et plus en amont encore.
Au cœur de ce roman, un personnage qu’on ne rencontrera jamais véritablement, mais dont on sent les effluves amers : la guerre. Elle surplombe tout le livre, rendant la lecture extrêmement sombre et intense. Pour les personnages, il n’est pas question de rédemption dans ce retour sur leur passé. Ils semblent avoir été emportés par une déferlante de violence, par un ras de marée qui n’a fait aucun survivant. Tous sont déterminés à sombrer. Comme on peut le voir au fil de l’intrigue, que ce soit dix ou vingt ans plus tard, quelle que soit la génération en question, tous finissent rattrapés par ce passé qui revient les assommer comme un boomerang.
1994 m’a aussi frappée par son lyrisme. C’est un véritable chant qui semble écrit avec du sang. Le style est à la fois poétique et tranchant, violent, acerbe. Au fil de la lecture, j’ai été comme ensevelie par toute cette haine et cette rage qui émanent du roman. Il faut avouer qu’une telle intensité est dure à avaler d’un coup. C’est un livre avec lequel il faut prendre son temps. La première partie est très énigmatique, on reste dans une aura de mystère, on cherche à comprendre les tenants et aboutissants de l’histoire. Ensuite, quand tout est déroulé, il faut accepter que ce livre traite d’un sujet douloureux et qu’il ne nous fera pas de cadeaux. Ce n’est pas une histoire qui finit bien. Une fois qu’on a accepté cela, on peut vraiment apprécier la beauté du texte, la poésie qui se détache de ces marres de sang. À lire.
Citation :
« Pourquoi, dix ans après, les fantômes du passé venaient-ils fracasser la porte du présent, déferlant comme une armée sauvage aux visages pleins de sang et de colère ? »