Monsieur Viannet, le dernier roman de la sociologue et romancière Véronique Le Goaziou, qui vient de paraître aux éditions La Table Ronde pour la Rentrée littéraire. Une petite perle qui, dès les premiers instants de lecture, nous prend en haleine et nous emporte sans préambule dans un monde souvent peu exploré. En effet, Véronique le Goaziou nous prend la main et nous fait entrer dans la vie d’Alexandre Viannet, qui représente à lui seul l’univers des exclus de la société, des pauvres et des marginaux.
J’ai lu le livre d’une traite, prise par le rythme poétique et saccadé de cette brillante écrivaine, qui nous fait découvrir dans Monsieur Viannet le véritable son du désespoir et de la solitude, celui
que ressentent Monsieur Viannet et sa femme.
Alexandre Viannet, la quarantaine, a déjà l’allure d’un vieillard. Son corps est recouvert de tâches et il tousse sans arrêt. Il vit dans un minuscule et glacial appartement près de la place de la République, à Paris. Il a été de nombreuses fois en prison, avoue avoir tué son père, boit du matin au soir et ne sort pratiquement plus de chez lui. Sa femme et lui vivent de peu, et ont pour seul mobilier un matelas posé au sol, un pouf et une vieille télévision. On fait la connaissance de ces deux âmes perdues à travers le regard de la narratrice, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’elle doit rencontrer les anciens habitants d’un centre de réinsertion – dont faisait partie Alexandre Viannet.
Elle reviendra à trois reprises dans le studio du couple afin de s’entretenir avec Monsieur Viannet sur ses souvenirs du centre, mais aussi sur sa vie en général, son enfance, et, dans une moindre mesure, sur son avenir. La narratrice, tout comme le lecteur, ne peut qu’être bouleversée face à ces deux personnages qui semblent si désespérés d’exister. Madame Viannet a presque perdu la tête. Elle demeure prostrée sur le pouf, face à la télévision, et ponctue ces entretiens par des propos sans cohérence, proférés d’une voix stridente et nerveuse.
Le silence pesant que nous impose ce huis-clos rappelle le vagabondage des personnages de la pièce de théâtre de Beckett, En Attendant Godot. Monsieur et madame Viannet errent sans but dans une pièce glaciale, n’ont plus rien à se dire. Seule la présence de cette interlocutrice inespérée semble les faire exister. Peu à peu, on en apprend plus sur leur passé difficile. Pour Alexandre Viannet, la vie est une boucle du malheur, et quand on est mal né, il est impossible de s’en sortir. Les galères s’accumulent, et cela finit toujours mal : familles d’accueil, délinquance, prison, pauvreté, maladie. Tout s’enchaîne. C’est ce qui m’a le plus touchée : le désespoir latent que dégagent ces deux personnages qui n’attendent plus rien de la vie et qui semblent comme enfermés dans les rouages de la pauvreté, condamnés à l’exclusion. C’est là que l’on ressent le plus le regard de sociologue de l’auteure. Si Monsieur Viannet est incontestablement une œuvre de littérature, Véronique Le Goaziou choisit d’y aborder un thème un peu délicat, celui de la pauvreté et de la précarité qui prévalent aux marges de la société. L’histoire de ceux dont on préfère ne pas parler, et qu’on ne veut pas voir. Dans ce récit, elle leur a donné une voix qui ne peut que nous bouleverser.
Le récit est bien mené et on ne s’y ennuie pas un instant, malgré de longs passages dialogués et assez peu d’action. Comme je vous l’ai dit, il se lit d’une traite et on peut difficilement en sortir indemne. En effet, âmes sensibles, s’abstenir, car le tableau de la réalité que nous peint Véronique Le Goaziou n’est pas des plus joyeux.