L’Avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic est l’un des romans de la rentrée littéraire des éditions de l’Olivier. Un récit peut-il changer une vie ? Telle est la question. Dans ce roman, où l’on se plonge comme on se laisse envahir par la nuit qui tombe, le récit est celui enchevêtré de Paul et d’Amélia Dehr, une mystérieuse héritière.
Paul travaille comme gardien de nuit dans un hôtel pour payer ses études d’architecture. C’est là qu’il fait la connaissance d’Amélia. Entre la chambre 313 et les cours sur « la ville de demain », leurs destins se lient. Leur aventure est brûlante, exclusive. Mais Amélia disparaît sans laisser de traces. Ce que Paul ignore, c’est qu’Amélia est partie à la recherche de sa mère dans une Sarajevo qui portent les stigmates de la récente guerre civile et cherche à s’en débarrasser.
Quand Amélia revient 10 ans après, elle n’est plus tout à fait la même. Ce qu’elle a vu et ce qu’elle n’a pas vu à Sarajevo l’a changée. Paul peut-il encore sauver Amélia et peut-il surtout se sauver lui-même de la folie de ce monde ? Si L’Avancée de la nuit nous plonge dans les conséquences du conflit le plus meurtrier en Europe depuis la seconde guerre mondiale, il questionne intelligemment la politique sécuritaire de nos gouvernements. Ainsi les personnages vivent dans un état d’urgence qui est en fait « une urgence molle, indéfinie, permanente ». Un système où les armes nouvelles telles les canons à eau sont testées sur la population, « sur la ville dans la ville ».
Par un tour de passe-passe qui tient autant du talent que de la magie, on passe d’un récit à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un lieu à l’autre par la seule maîtrise des mots. Jakuta Alikavazovic est née en France d’une mère bosniaque et d’un père monténégrin. Protégée physiquement du conflit qui ravage le pays d’origine de ses parents, elle est tout de même marquée par les échos qu’elle reçoit. Son style singulier, nous plonge dans les conséquences de cette guerre sans jamais l’évoquer frontalement.
C’est un sentiment étrange qui nous envahit à la lecture de L’Avancée de la nuit. Pour les trentenaires, la guerre d’ex-Yougoslavie est à la fois trop proche pour avoir été dans les livres d’histoire et trop lointaine pour en avoir des souvenirs. Pourtant les cicatrices sont là. Que ferons-nous de ce récit ? Et puis, un récit peut-il changer une vie ?