Femme absolument d’Adeline Fleury : un nouveau féminisme ?

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Femme absolument, tel est le titre de l’essai que la journaliste et écrivaine Adeline Fleury a publié au printemps chez JC Lattès. Après Petit éloge de la jouissance féminine (Françoise Bourin, 2015), Fleury poursuit son exploration de la situation des femmes aujourd’hui et de l’évolution de leurs droits et attentes. L’angle choisi pour Femme absolument, résolument optimiste, peine à convaincre.

« Le nouveau féminisme » : c’est ce que l’éditeur a choisi de placarder sur le bandeau de Femme absolument d’Adeline Fleury. Pas vraiment un cadeau à l’auteure : introduit d’aussi prétentieuse façon, un livre se doit – au moins – de révolutionner son sujet, sous peine de paraître tout bonnement ridicule.

Pour relever ce défi, Adeline Fleury propose un essai en six parties (plus une préface), inspiré peu ou prou des sections qui scandent le second tome du Deuxième sexe (intitulé « L’expérience vécue ») : enfance, adolescence, jeunesse, maternité, renaissance et maturité. Adeline Fleury ne fait d’ailleurs pas mystère de son inspiration : un extrait du livre de Simone de Beauvoir est placé en exergue de chaque partie de son livre. Rêve-t-elle Femme absolument en Deuxième sexe du XXIe siècle ? Voilà qui expliquerait l’ambition exhibée sur le bandeau du livre.

Là où Simone de Beauvoir tentait une présentation distanciée des différents états de femme, Adeline Fleury part de sa propre expérience de vie et assume une écriture à la première personne. Femme absolument est d’abord une autobiographie. Celle d’une femme qui fut une petite fille pas-traitée-comme-une-fille par son père, puis une adolescente violée, avant de devenir une femme et une mère qui cherche à concilier sa vie de femme libre, professionnellement et sexuellement épanouie, avec ses devoirs vis-à-vis de son enfant. De ce parcours de vie, Femme absolument tire ensuite des conclusions sur le devenir-femme et l’identité féminine en général.

La démarche a le mérite de l’honnêteté et de la concrétude. Elle marque cependant aussi les limites de l’ouvrage. Il semble en effet difficile de bâtir une théorie sur un seul sujet observé. Adeline Fleury affirme à plusieurs reprises avoir aussi interrogé les femmes de son entourage : même ainsi élargi, l’échantillon ne peut guère être considéré comme représentatif de la condition féminine en France. On doute que la majorité des citoyennes de ce pays se retrouvent dans le cas particulier de cette femme éduquée, indépendante, vivant à Paris, au physique séduisant. Non qu’Adeline Fleury soit une « privilégiée » : femme violée, mère divorcée, issue de la classe moyenne modeste, c’est par sa résilience et son travail qu’elle a pu s’en sortir et trouver le chemin vers une vie épanouie.

Un parcours qu’on ne peut que saluer et qui démontre qu’en Europe aujourd’hui, un espace existe pour des femmes qui choisissent de travailler tout en étant mères et qui refusent de dépendre d’un homme. On se réjouit évidemment avec l’auteure de ce qui constitue une avancée récente et indiscutable dans la situation des femmes. On se demande toutefois pour quel pourcentage de la population féminine un tel accomplissement est aujourd’hui réellement possible. Le livre d’Adeline Fleury semble nous dire que toutes peuvent y parvenir si elles le souhaitent. On en doute.

Mais ce qui étonne tout particulièrement dans ce livre, c’est le soin que prend l’auteure à se distancer du féminisme et même à affirmer qu’elle n’est pas féministe. C’est faire peu de cas de toutes les féministes qui l’ont précédée et sans le combat desquelles elle ne pourrait jouir de la liberté qui est la sienne aujourd’hui. C’est aussi étonnant pour un livre qui prétend nous introduire au « nouveau féminisme » : si le nouveau féminisme, c’est de ne plus être féministe, les inégalités criantes qui subsistent encore entre les hommes et les femmes ont de beaux jours devant elles. Surtout, à la lecture du parcours d’Adeline Fleury, on se demande bien pourquoi elle refuse le féminisme. Prenons le viol qu’elle a subi lors de son adolescence. Marlène Schiappa, qui avant d’être une Secrétaire d’état contestable fut une excellente essayiste, montre bien, dans Où sont les violeurs ? Essai sur la culture du viol (éditions de l’Aube, 2017), à quel point le viol est lié au patriarcat et est donc un enjeu crucial des luttes féministes. Autre exemple : le travail. Adeline Fleury l’affirme : « je n’ai pas l’impression d’avoir souffert du machisme au travail » (p. 96). Une affirmation qui est aussitôt suivie par ces lignes hallucinantes : « Oui, les chefferies des rédactions sont majoritairement masculines, oui, j’ai dû galérer pour que mon salaire s’aligne sur celui des reporters ‘mâles’, non, dans aucune des rédactions où j’ai fait mes armes je n’ai été victime de sexisme agressif. J’ai travaillé avec des machos, mais en majorités des ‘bons’ machos, de ceux qui respectent les femmes et leur boulot. […] Une fois un ‘bon macho’ qui n’était pas si bon que ça a dépassé les bornes. […] Un soir après le bouclage il s’’est jeté sur moi dans l’ascenseur. Alors que des années avant j’étais demeurée incapable de repousser mon agresseur, là j’ai aussitôt été sur la défensive. Je lui ai passé l’envie de tenter de recommencer en lui serrant les testicules entre les mains » (p. 96-97). Inégalité salariale, harcèlement sexuel, collègues machos… tout cela ne serait pas si grave au prétexte que ce n’est pas du sexisme… agressif (sic).

Si c’est cela le nouveau féminisme, les machos de tous poils (puisqu’il y aurait les bons et les autres) peuvent dormir tranquilles…

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