Après des mois d’attente fébrile, voilà enfin venu Ne dites jamais jamais, troisième volet des aventures de notre fille du futur, Pénélope Filledejane et de son amie médiévale Andréa, sorti le 6 avril aux éditions Syros.
Souvenez-vous, au sortir du second tome, Ne retournez jamais chez une fille du passé (critique par ici), nous avions laissé nos deux protagonistes dans un fameux pétrin. Pénélope, devenue à son époque élève agrégée, n’avait pu résister à la tentation de refaire un saut dans le passé revoir Andréa… Et peut-être aussi son frère Pierrick. Seulement les choses ne sont pas passées aussi simplement qu’elle l’espérait, loin de là. A force de voyager dans le temps, les choses finissent invariablement par se combiner en de fameux embrouillaminis. Il suffit de connaître Marty McFly pour le savoir.
Après avoir tenté de sauver les hommes de la Grande Grippe de 2019, voilà Pénélope et Andréa, accompagnées d’Antarès, surprenant nouveau venu de l’aventure, obligées de partir ensemble dans le futur à la recherche de Pierrick. Comment vont-elles réussir à se sortir de ce pétrin ? Pierrick et Antarès parviendront-ils à passer inaperçus dans un futur où être un homme est une anomalie qui vous condamne à mort ? Et Andréa réussira-t-elle à se fondre avec son allure d’adolescente médiévale dans ce monde où toutes les femmes sont grandes, magnifiques, libérées, sûres d’elles et maîtrisent des technologies inconnues ?
Dans Ne dites jamais jamais, nos deux héroïnes vont encore une fois se serrer les coudes pour affronter les épreuves qui les attendent. En dépit de leurs différences culturelles, elles vont faire front commun pour protéger les hommes de leur vie. Mais bien des choix difficiles vont entraver leur route et il faudra toute la force de leur amitié et de leurs convictions pour faire face.
Avec Ne dites jamais jamais, Nathalie Stragier conclut en beauté cette trilogie de la fille du futur et en arrive au point d’orgue du raisonnement sous-jacent à cette fiction. En nous projetant directement dans le monde du futur de Pénélope, elle nous renvoie un reflet déformé des inégalités sociales entre hommes et femmes de notre société actuelle. En effet, à travers le regard de ces femmes du futur, on constate que cette société ultra féministe, post épidémique, en apparence idéale, ne s’est construite que sur des préjugés, des a-priori et des mensonges quant aux individus de sexe masculin. Si cette vision futuriste imaginaire peut paraître loufoque, faire rire ou sourire tout au long de la fiction, en revanche elle pousse aussi à réfléchir et à se questionner. Si une telle société, si extrême soit-elle, nous apparaît incongrue, inimaginable, voir choquante, pourquoi à l’inverse, tolérons-nous des comportements similaires dans notre monde ? Pourquoi nous paraît inacceptable en fiction de tuer un individu en raison de son identité sexuelle, alors que dans notre monde nous laissons des fillettes être privées de liberté, d’éducation, du droit à disposer d’elles-mêmes, être mariées et/ou excisées de force, juste parce que ce sont des filles ?
Avec humour et dérision, Nathalie Stragier porte à travers cette trilogie, un regard critique et juste sur notre société où le manque de parité homme-femme reste un sujet brûlant. Il n’est pas question ici de grand brûlot féministe, de juger ou de déterminer qui a tort ou raison. En imaginant le choc des rencontres entre cette société à l’extrême inverse de la nôtre et notre monde, elle nous pousse avec humour et légèreté à questionner nos réactions et nos contradictions.
La trilogie de Pénélope et Andréa est une fiction intelligente, redoutablement bien écrite, où se mêlent dans un parfait équilibre l’imagination débordante de Nathalie Stragier, son redoutable talent de raconteuse d’histoires et son regard lucide. Par le biais de la lecture c’est une excellente façon d’inciter les adolescents, les jeunes adultes (et même les adultes) à s’interroger sur la place de chacun, sur les inégalités. Le tout avec légèreté et une grande finesse de plume qui rendent la chose plus qu’agréable.
Outre la question féministe, Ne dites jamais jamais est aussi une ode à la tolérance, à l’acceptation de la différence. Comme je l’ai souligné plus haut, la répulsion de ces femmes du futur à l’égard des hommes ou leur commisération par rapport à ceux qu’elles appellent les médiévaux, n’est que le résultat d’une lourde ignorance, de l’accumulation de clichés et de préjugés transmis de générations en générations. En choisissant de poser les choses de cette façon, Nathalie Stragier nous incite aussi implicitement à changer notre rapport à l’autre. A dépasser les idées préconçues pour aller vers l’autre.
De mon point de vue, cette trilogie est un merveilleux cadeau à mettre entre les mains de jeunes lecteurs. Une façon originale et drôle d’ouvrir leurs esprits, d’élargir leurs perspectives sans avoir l’air d’y toucher. Ce troisième tome, impeccablement ficelé, riche de rebondissements, y apporte l’ultime touche tout en se dévorant d’une traite. En le terminant, j’ai été particulièrement touchée de voir que Nathalie Stragier avait donné à chacun de ses personnages le nom de figures féminines importantes ayant contribué à apporter leur pierre à l’édifice dans différents domaines. A n’en pas douter, l’auteur a réussi là un habile tour d’écriture pour donner naissance à une trilogie loufoque, décalée, drôle, addictive et intelligente.