Hortense et Queenie, rêves et espoirs confrontés au racisme ordinaire

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Hortense et Queenie sont deux femmes que tout oppose, excepté le fait d’être nées anglaises et le désir farouche de s’extirper de leur condition. Hortense est née mulâtre dans une Jamaïque sous domination anglaise et désire plus que tout vivre en Angleterre dans une jolie maison avec une grosse cloche à l’entrée. Queenie est le reflet de l’anglaise blonde et pâle. Fille de boucher, elle n’aspire qu’à une chose, devenir une vraie dame de Londres pour s’élever socialement par un bon mariage.

Deux chemins qui, en apparence, n’auraient jamais dû se croiser mais qui vont être amenés à se rencontrer par le jeu du destin et de deux hommes entraînés pour l’amour de leur pays dans la Seconde Guerre Mondiale.

Quatre personnages, deux couples, autour desquels se construit ce roman savamment ouvragé qui nous raconte, sur fond de Seconde Guerre Mondiale, la relation ambiguë de l’Angleterre à ses populations coloniales.

C’est l’histoire tristement ordinaire de ces hommes si ardemment appelés à venir défendre la mère patrie mais qui, après avoir vaillamment combattus, ne trouvent en guise d’accueil sur le sol anglais que brimades et humiliations. Toujours mieux traités que les Noirs de l’armée américaine, certes, mais rabaissés et réduits à une vie plus misérable encore sur les îles dont ils sont issus.

C’est aussi l’histoire de ces jeunes femmes mulâtres à qui la grâce d’une peau suffisamment claire offre l’opportunité d’une parfaite éducation à l’anglaise, formées et instruites, qui ne rêvent et ne jurent que par une vie en Angleterre. Cruelle est la désillusion dès les premiers pas sur le sol anglais, elles à qui les regards ne cessent de rappeler la couleur de leur peau, elles que l’on fait mine de ne pas comprendre à cause de leur accent, elles qui ne peuvent prétendre à un emploi qualifié sur le sol anglais.

Pour tous ceux-là qui avaient si ardemment rêvé d’une vie meilleure dans le giron de cette mère-patrie, qui se sont sacrifiés pour l’effort de guerre, la gifle est cinglante, la réalité amère. Toute leur bonne éducation se heurte au racisme ordinaire. Toute leur bonne volonté ne suffit pas à se faire accepter.

Sans concession mais avec un humour fin et des personnages forts aussi variés qu’attachants, Andrea Levy retrace cette page de l’histoire, remettant les pendules à l’heure sur cette histoire d’amour contrariée entre la couronne britannique et les Caraïbes. Une mise au point tant sociologique qu’historique qui offre un portrait fascinant et choquant de l’esprit colonialiste qui perdurait encore ces années-là tant en Angleterre qu’en France.

Tantôt drôle, tantôt dur, Hortense et Queenie utilise ses quatre voix pour nous offrir des points de vues et ressentis différents de la situation. Le lecteur suit les parcours des différents personnages jusqu’à ce qu’enfin les fils du récit se mêlent, lui permettant ainsi d’apprécier la manière dont chacun fait face à cet état des choses.

Si dissemblables qu’elles puissent sembler de prime abord, Hortense et Queenie dans leur parcours de femmes, se ressemblent plus qu’on ne pourrait l’imaginer et c’est en partie ce qui va amener leurs destins à se croiser. Fantasmes et désillusions, à une nuance de peau près, la chute se révèle aussi dure d’un côté que de l’autre.

Sans préjugés, ni jugement, le roman déroule le fil de son intrigue à l’architecture soignée sur un ton grave et léger à la fois. Sous des dehors romanesques, on perçoit sans effort le reflet d’une dure réalité historique et sociologique, le fruit des recherches faites par l’auteur et le poids d’une expérience personnelle.

Car, Andrea Levy a elle-aussi porté le poids d’une couleur de peau, en naissant en 1956, à Londres de parents jamaïquains, dans une Angleterre à la mentalité très blanche. C’est sans doute de ce ressenti, de ce lien personnel avec cette histoire, que vient la force et la justesse émotionnelle de son roman.

Son écriture fine et pleine de charme emporte l’imagination de Kingston à Londres, évoquant tour à tour un vent d’exotisme et la misère d’après-guerre. Dès les premières pages, nous voilà pris au piège de cette histoire qu’on ne pourra plus lâcher. L’histoire d’une rencontre avec l’autre et un voyage dans l’Histoire qui captive le cœur de son lecteur pendant 519 pages. Paru en février aux éditions de La Table Ronde, Hortense et Queenie est une perle à lire sans hésitation.

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