Une histoire naturelle des dragons vient de paraître aux éditons l’Atalante. La figure mythologique du dragon a de tous temps fasciné et c’est évidemment avec cette même fascination que je me suis jeté sur ce livre et sa couverture présentant un écorché de dragon.
Pensez donc, voilà ce qu’on me proposait en exergue :
« Soyez avertis, cher lecteur : les volumes de cette série contiendront des montagnes gelées, des marais fétides, des étrangers hostiles, des compatriotes hostiles et à l’occasion des membres de ma famille hostiles, de mauvaises décisions, des mésaventures géographiques, des maladies dépourvues d’attrait romantique et une abondance de boue. Vous poursuivrez votre lecture à vos risques et périls. »
Avec un tel contrat de lecture, c’est avec plaisir qu’on se laisse emmener pour un voyage fantastique, captivant mais aussi surprenant.
Une histoire naturelle des dragons est le premier tome des mémoires de son héroïne, Lady Trent. Maintenant devenue âgée, cette naturaliste d’un genre nouveau doit arrêter ses explorations pour revenir sur son travail et nous en narrer la genèse. En évoquant son enfance puis ses jeunes années, Lady Trent nous prépare à l’accompagner à la chasse au dragon. Préparez vous à être plongé-e-s dans une légère uchronie, un monde qui ressemble à s’y méprendre au nôtre à l’époque victorienne, si ce n’est que les noms ont été habilement transformés, et surtout, grosse différence, que les dragons arpentent les terres sauvages. Ce sont les dernières créatures porteuses de mystère pour la science naturelle qui se formalise timidement, des créatures qui passionnent la jeune Isabella Trent.
Le premier tiers du livre raconte donc l’enfance de notre intrépide héroïne. Disons le clairement c’est une tête brûlée prête à courir au devant de mille dangers pour apprendre tout ce qu’elle peut sur ces dragons qui la fascinent. Après de nombreuses aventures de jeunesse, son caractère bien trempé vaudra à Isabella de rejoindre rapidement sa première expédition visant à étudier les dragons en Vystranie (un endroit qui a tout pour rappeler la Slovaquie). Nous allons donc suivre la formation de Lady Trent s’habituant à la vie en territoire inconnu, se frayant une place dans un monde masculin qui voudrait la voir rester à sa part congrue, puis enfin découvrant les mystérieux dragons de Vystranie.
Le style d’Une histoire naturelle des dragons est très agréable à lire, le vocabulaire rend le ton d’une dame éduquée mais aussi d’une aventurière de l’époque victorienne. Les passages sont très bien découpés, le ton est énergique sans longueur, ce qui donne une lecture agréable tolérant malgré tout les pauses et interruptions (oui je pense à vous qui lisez dans les transports).
Pour ma part, je suis tombé sur ce livre en Angleterre et je l’ai donc lu dans sa version originale. Le langage passe très bien si vous avez un bon niveau d’anglais. Certaines tournures de phrase très vieillottes pourraient vous obliger à relire plusieurs fois un passage, mais le vocabulaire reste assez facile et l’avantage d’un anglais plus classique reste indéniablement les tournures et les mots qui ressemblent plus au français, si l’on prend garde aux faux amis, bien sûr. La traduction française d’Une histoire naturelle des dragons est de bonne qualité et je vous invite chaudement à foncer sur la version française si vous voulez une lecture plus agréable.
Pour ce premier roman de sa série sur Lady Trent et ses études des dragons, Marie Brennan nous donne un roman qui a tout pour captiver. L’écriture d’Une histoire naturelle des dragons accroche et, même si le premier tiers prend du temps à mettre en place le décor de toute la saga ainsi que l’intrigue de ce tome, on se laisse prendre très rapidement dans l’histoire et il n’est plus possible de quitter le livre.
Les années plus jeunes de l’héroïne peuvent sembler un passage un peu long, mais Marie Brennan en profite délicieusement pour revenir sur la place de la femme dans la société du XIXe siècle. Je dois dire que j’ai été très agréablement surpris de trouver du féminisme dans de la littérature fantastique. Dans ce genre littéraire les personnages féminins ont longtemps été des faire-valoir ou des « récompenses » pour le héros. Ici il y a une réflexion et une volonté de mettre cela en exergue, sans jouer la carte de l’outrance. Le pari est tenu et plutôt intéressant. L’écriture de Marie Brennan restitue à merveille une sensibilité féminine et je ne doute pas que son propre passé de femme dans le milieu académique lui sert de référentiel à bien des moments dans le livre. Subtilement amené sans être trop ostentatoire, ce féminisme est un ajout très intéressant dans la littérature fantastique actuelle.
Ne réduisons cependant pas ce livre à ce seul trait, aussi pertinent qu’il soit. Il y est également question de personnages et de relations humaines. J’ai vraiment apprécié le fait que le personnage principal puisse changer d’avis, réaliser ses erreurs, ses jugements sur les personnes et commenter sur les événements relatés. Là aussi, Marie Brennan sort des personnages monolithiques des canons du genre. Isabella Trent est une universitaire et elle a souvent des réactions inadaptées socialement qui, si elles ne jouent pas sur quelque chose que vous avez vécu, rend le personnage attachant et profond; Lady Trent est maladroite et cela rend le personnage encore plus réaliste.
La découverte du monde uchronique par ses yeux est également très bien maîtrisée, sans tomber dans la tentation de trop en dire, la narration en focalisation interne est vraiment très bien maîtrisée. Enfin, un dernier aspect particulièrement plaisant, pour nous aider à rentrer dans l’étude scientifique des dragons, rien de tel qu’un récit écrit par une spécialiste. Marie Brennan n’a certes pas chassé le dragon dans son habitat naturel mais elle a étudié la biologie et sait donc rendre dans le travail de son héroïne tout un tas de détails pertinents autant qu’intéressants. Une histoire naturelle des dragons est aussi agrémenté de dessins qui aident à l’immersion (oui, je le confesse, j’aime lire des livres avec des images!).
Vous l’aurez donc compris, j’ai vraiment apprécié la lecture de ce premier tome. Afin d’être honnête avec vous et tous les autres livres dont je parlerai, si je devais trouver un petit défaut à ce premier tome c’est que, mettant en place le personnage principal et le monde dans lequel il évolue, il prend du temps à vraiment entrer dans le vif du sujet. Même si les petites scénettes de l’enfance de Lady Trent sont intéressantes, on a un peu de mal au début à voir vers quoi va tendre l’histoire ; ce défaut est cependant corrigé dans la seconde moitié où tout s’accélère.
J’avoue donc envisager avec délectation l’arrivée prochaine dans ma liste de lecture du tome 2 de la saga de Lady Trent mais je reconnais pour le moment que Marie Brennan a déjà su transformer son essai.