Le personnage fétiche de Daniel Pennac a fait son grand retour en janvier chez Gallimard. Dix-huit ans plus tard, nous retrouvons la folle tribu Malaussène, qui n’a rien perdu de sa loufoquerie ou de sa malice. Seulement, en dix-huit ans, tout ce beau monde a bien grandi/vieilli. Verdun est devenue juge, les plus jeunes Maracuja, C’est-Un-Ange et Monsieur-Malaussène courent les bonnes causes humanitaires et animales autour du monde et le Commissaire Divisionnaire Coudrier, désormais à la retraite, s’est lancé dans la rédaction d’un essai sur l’erreur judiciaire, Le Cas Malaussène. Le susnommé Benjamin Malaussène aspire, quant à lui, à la tranquillité.
Ce qui est beaucoup demandé dans son cas… Alors forcément, quand un homme d’affaire notoire, parti dans un accoutrement abracabrant toucher un parachute doré exorbitant, s’évanouit dans la nature. Et que le dit homme d’affaire disparu avait quelques dossiers en litige avec la justice via une certaine juge Verdun Talvern. Comment ne pas penser qu’un sérieux nuage d’ennuis fond à grande vitesse sur la tête de ce pauvre Benjamin… Et encore vous êtes loin du compte !
Ravie étais-je après une si longue absence de retrouver le personnage de Benjamin Malaussène dont la seule évocation est la promesse d’aventures complètement délirantes et épiques. Et de ce côté-là, j’ai été servie : du grand banditisme, un kidnapping, le retour des inspecteurs Titus et Silistri sur la brèche, un écrivain en retraite forcée dans le Vercors sous la surveillance de Benjamin, les Vévés de la reine Zabo, sans parler des grandes initiatives familiales parfois désastreuses.
Un premier volet qui s’annonce donc haut en couleurs et en rebondissements, avec l’entrée en scène de nouveaux personnages où l’on retrouve, avec un plaisir non dissimulé, l’ambiance et le ton chers aux afficionados de notre bouc émissaire dans ce récit plein d’humour et de tendresse.
Seulement voilà, l’objet est, certes riche et palpitant, mais aussi complexe. Premier nom, première page, nouveau personnage, direction le lexique. Alors c’est un petit jeu entre Pennac et le lecteur, car chez Pennac, et en particulier dans la saga Malaussène, les personnages sont très étoffés et bénéficient chacun de leur petite biographie. Mais cela m’a laissée perplexe. Je me suis demandé comment, dans cette savante toile d’araignée, le lecteur nouveau venu allait parvenir à prendre ses repères entre les nouveaux personnages et le dédale des anciens. Pour le vieux routard de la Saga Malaussène, il faut déjà le temps de reprendre ses marques dans cet univers où dix-huit ans se sont écoulés. Retrouver les anciennes têtes. Relier les parcours. Alors quid du nouveau qui doit tout assimiler. Oui, la question m’a tourmentée. D’autant plus que, ô coupable éditeur, le lexique est dans l’ordre alphabétique et non l’ordre des notes, un choix pratique qui peut se discuter pour qui veut rapidement se retrouver dans le récit, sans s’embrouiller en prime dans les noms.
Cela n’a pas pour autant gâché mon petit bonheur, car, pour qui connaît la maison, on a vite fait de retrouver son fauteuil, ses chaussons, localiser les nouvelles têtes, c’est une question d’habitude et de connivence avec l’auteur. Tout au long du récit, Daniel Pennac joue avec malice sur les thèmes de l’erreur judiciaire et de l’innocence coupable. Le canevas de l’intrigue est finement tissé, farfelu parfois, drôle souvent et l’on s’amuse à s’y perdre jusqu’au cliffhanger final. Car, ce n’est là que le premier volet du triptyque, et une fois encore Malaussène n’est pas au bout de ses peines s’il veut se sortir de la tempête qui s’apprête à lui fondre dessus. Ainsi que le révèle Daniel Pennac lui-même dans l’entretien livré aux éditions Gallimard : « Le pauvre, il va morfler, c’est sûr ! Ce n’est qu’un début et il n’y a pas moyen d’arrêter le combat : il va, une fois de plus, payer son innocence au prix fort. Ah, si seulement il n’était pas monté dans ce TGV ! »