Chanson douce vient de recevoir le Prix Goncourt 2016. Son auteur, Leïla Slimani, livrait là son premier roman, paru chez Gallimard pour la rentrée littéraire. À la frontière du thriller et du roman social, Chanson douce nous entraîne dans les méandres psychologiques d’une nounou au bord du gouffre.
On l’apprend dès les premières lignes : un drame est survenu au sein d’une famille. La nounou des Massé a tué les enfants dont elle avait la garde. Le premier chapitre est factuel et terrible. Sans appel.
Mais que s’est-il passé pour que Louise, la nounou « parfaite », lâche ainsi la rampe et commette l’impensable ? C’est ce que Chanson douce nous propose de découvrir. Tout au long du roman, Leïla Slimani dresse le portrait des différents protagonistes et excelle en la matière. Jamais clichée, toujours nuancée et mesurée, elle nous raconte l’histoire de Myriam et Paul Massé, décrit le caractère de leurs enfants, leur situation professionnelle, leurs problèmes… en somme, la route qui les a menés jusqu’à ce jour funeste.
Alors qu’un inspecteur de police interroge les témoins directs et indirects de cet assassinat, Leïla Slimani nous rapporte un certain nombre de faits. Si le meurtre ne peut pas être expliqué, il existe une multitudes de choses qui l’ont un jour rendu inévitable. Quand le basculement s’est il donc produit ? Quel rapport de force sous-jacent cette famille et sa nounou ont-elles entrenus pour que cette femme fragile commette ce meurtre ? Car Louise a toujours été fragile ; c’est ce que l’on apprend au fil des chapitres centrés sur son personnage. Enfance austère, mariage sans amour, maternité mal vécue… Louise, aujourd’hui veuve, n’a plus de nouvelles de sa fille et de gros problèmes d’argent. Elle s’accroche aux Massé comme à une bouée de sauvetage. Rien ne compte plus que le temps passé avec eux. Louise développe avec la famille une inquiétante relation de dépendance. On comprend bien que le couple n’a à aucun moment eu l’intention d’en profiter, mais la situation se complexifie et les limites deviennent floues. Qu’est-ce qui oblige Louise à rester aussi tard, à faire le ménage, à préparer le dîner ? Est-ce normal que le couple lui propose de les accompagner en vacances en Grèce ? Jusqu’où peut aller cette relation intime, qui ne le sera jamais complètement puisque Louise reste leur employée ? Cette dernière multiplie les réactions étranges, presque inquiétantes.
C’est là que s’exprime la virtuosité de Leïla Slimani. Peu à peu, Louise commence à nous faire peur. Quels drames, quelles frustrations, quelles peines transporte donc cette femme pourtant inoffensive, qui « ne ferait pas de mal a une mouche », jusqu’à devenir cette personne menaçante et dangereuse ? À quoi Myriam et Paul ont-ils participé bien malgré eux, quels ont été leurs manquements, leurs maladresses ?
Chanson douce est un roman social terrifiant et absolument réussi. En optant pour un point de vue plutôt extérieur et une expression factuelle, Leïla Slimani parvient tout de même bien souvent à nous briser le cœur.
Chanson douce brosse le portrait de diverses catégories d’individus, qui nous semblent tous un peu familiers. Ils se rencontrent et interagissent, portant les marques ou le poids de leur passé et expériences, pour le meilleur et pour le pire. Le personnage de Louise fait planer une ombre inquiétante, que l’on sait menaçante. Le roman prend alors des allures de thriller psychologique. La nounou est ancrée jusqu’au cou dans la réalité et les affres de son époque, qui apporte à certains ce qu’elle enlève à d’autres. Depuis quand portait-elle cette folie destructrice, cette soif de vengeance contre le monde, et ce qui l’a menée jusque là est-il vraiment identifiable ?
Un prix Goncourt mérité pour un premier roman parfaitement mené à découvrir sans hésiter.