Le Fusil de Chasse est un minuscule roman épistolaire, écrit par le Japonais Yasushi Inoué, écrivain très connu au Japon, et paru en 1949. Publié au Livre de Poche en France, il ne comporte pas plus de 87 pages, et ne contient que trois lettres en tout et pour tout. Trois lettres écrites par trois femmes différentes et qui s’adressent à un seul et même homme, Josuke Misogi, passionné par la chasse. Mais
elles ont pour point commun de décrire, sous trois angles différents, un même amour dévorant qui bouleverse profondément leur vie. Très touchant, cette courte histoire est si prenante qu’on la lit d’un trait. Petit tour d’horizon de l’amour au Pays du Soleil Levant.
La première lettre est rédigée par Shoko, une jeune fille dont la mère, Saiko, vient de mourir. Bizarrement, elle s’adresse à Josuke pour raconter les derniers instants de sa mère, très malade, mais qui a avoué à sa fille qu’elle avait avalé du poison pour mettre fin, semble-t-il, à une souffrance bien plus grande que l’affaiblissement physique… Car la jeune Shoko a lu le journal intime de sa mère que cette dernière lui a demandé de brûler dans le jardin, durant les derniers jours de son agonie. Et là, on découvre que Saïko, divorcée, entretient une relation passionnelle avec Josuke, alors qu’il a une femme. Shoko est anéantie par cette nouvelle, déconcertée par les amours clandestines des adultes. C’est d’autant plus psychologique que durant l’enfance de Shoko, son père biologique a trompé sa femme Saïko et a même eu un enfant de cette relation adultère. Et c’est au tour de sa mère d’entrer dans la transgression en étant la maîtresse de Josuke. Tous les sentiments explosent dans cette première lettre du Fusil de Chasse, comme des feuilles d’automne emportées par le vent. L’amour, le secret, la honte, la culpabilité, le deuil et le regret… Tout est décrit avec simplicité et ça va droit à l’essentiel, comme une estampe japonaise brièvement exécutée.
La deuxième lettre de Fusil de Chasse est rédigée par Midori, la femme de Josuke. Jeune femme vivante et souriante en apparence, elle dévoile qu’elle n’ignore rien de la passion cachée de son mari… Décidée, elle choisit de se retirer dans un lieu coupé des hommes. Enfin, la troisième et dernière lettre représente réellement le point d’orgue de ce récit à elle seule. Bouleversante, elle trace le déroulé de cette grande passion, d’autant plus douloureuse qu’elle devait restée secrète. Un amour qui ne débouche sur nulle part. Et Saïko, écrasée par la culpabilité, « le péché » qui est omniprésent pour elle, est soulagée par la mort comme seule délivrance. Le plus étonnant, c’est que Josuke ne s’exprime jamais dans le texte. Désigné par le « vous » ou le « tu », il demeure une silhouette insaisissable, parfois représenté par son fusil de chasse, qui bien sûr, est un symbole phallique d’importance. Le fusil revêt aussi son attribut de mort, comme lorsque Midori sent que son mari pointe cette arme dans son dos, comme pour vouloir la tuer… Il ne se personnifie de manière tangible que lorsqu’il décide de publier ces lettres dans un journal sur la chasse. C’est ainsi que, selon Le Fusil de Chasse, ces lettres seraient parvenues jusqu’à nous… Le roman peut trouver son inspiration dans Les Liaisons Dangereuses, mais il n’est pas érotique pour autant. Il fait davantage penser à Lettre d’une inconnue, pour le vibrant témoignage d’une femme qui écrit une dernière fois à son bien-aimé.
Le texte de Fusil de Chasse est imprégné de la beauté de la nature, et c’est ce qui le rend si unique. L’harmonie retrouvée dans les pages évoque le jardin zen par excellence, et malgré les souffrances des personnages, tout laisse une impression de douceur. Les paysages font partie du récit, avec la lune qui se lève la nuit tandis que Shoko lit le journal de sa mère, ou quand Saïko et Josuke traversent la montagne et ses forêts, tout en parlant de leur passion. Sans compter la description des fleurs et des saisons qui passent. Le Fusil de Chasse est l’un des écrits les plus connus de Yasushi Inoué, et ce serait dommage de passer à côté. Il est à contempler sereinement. Et tel le thé vert que l’on déguste, il laisse un délicat souvenir amer.
J’ai brûlé le Journal dans le jardin, aujourd’hui. Le grand cahier est devenu une poignée de cendres, et, tandis que j’allais chercher un peu d’eau pour noyer le feu, un léger tourbillon a tout dispersé, en même temps que les feuilles mortes.
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