Garde-corps de Virginie Martin : la vie des femmes

À l’occasion de la rentrée littéraire, les éditions Lemieux publient Garde-corps, le premier roman de la chercheure et politologue Virginie Martin. Un bref récit situé dans le monde politique, où affleure l’engagement féministe de l’auteure.

Gabrielle Clair est une ministre du travail brillante, dévouée et ambitieuse. Elle évolue dans un monde d’hommes, où on lui rappelle régulièrement qu’elle n’est « qu’une femme », mais elle puise dans le machisme ambiant la force d’aller toujours plus haut, avec beaucoup de cynisme parfois. Sa rage de vaincre lui vient aussi de son enfance, et du viol que lui avait infligé un garçon plus âgé qu’elle. Toute l’école l’avait su et quelqu’un avait écrit en grand « Gabrielle la pute » sur le mur des toilettes du collège. C’est pour que Gabrielle la ministre de la République efface définitivement Gabrielle la pute que l’héroïne a réussi l’ENA et se donne à fond dans ses fonctions.

Garde-corps, premier roman de Virginie Martin est une succession de chapitres courts, alternant l’histoire de Gabrielle ministre et l’évocation de l’enfance et du viol, épisode fondateur. Avec ce dispositif, les événements importants de la vie du personnage (ceux du présent comme ceux du passé) sont évoqués avec une concision efficace et l’enchaînement des deux époques crée un suspens qui invite à tourner les pages pour connaître le dénouement.

Si la concision est synonyme d’efficacité pour plusieurs scènes de Garde-corps, elle est aussi le principal défaut du livre. La réduction de Gabrielle à quelques scènes-clés rapidement brossées tisse un lien mécanique entre le passé traumatique du personnage et sa volonté de réussir en tant que ministre : l’obsession de l’ascension sociale du personnage s’expliquent entièrement, semble-t-il, par le viol qu’elle a subi. Ç’aurait pu être une histoire complexe et subtile – ce n’est finalement qu’un récit assez simpliste. On sait qu’avant d’être romancière, Virginie Martin est une chercheure travaillant notamment sur le féminisme. Son premier roman se ressent très fort de ses travaux antérieurs. Au lieu de créer, avec le personnage de Gabrielle, un être de chair et de sang, doté d’une épaisseur psychologique, elle la réduit à quelques traits élémentaires, chargés de porter les théories féministes de l’auteure et de dénoncer la condition des femmes aujourd’hui.

Un tel message est loin d’être négligeable et mérite pleinement sa place dans la littérature. Sur le plan des idées, Garde-corps est indispensable. Dommage néanmoins qu’elle ait échoué à les incarner d’une manière vraiment convaincante.