Depuis 1992 et son très remarqué premier roman Hygiène de l’assassin, Amélie Nothomb occupe la scène médiatique de chaque rentrée en publiant annuellement un nouveau roman. Une valeur sûre pour Albin Michel, son éditeur historique, qui publie aujourd’hui Riquet à la houppe.
En 2012, Amélie Nothomb publiait Barbe bleue, réécriture affirmée du célèbre conte éponyme. Cette année, c’est Riquet à la houppe, moins populaire et pourtant classique, qu’elle revisite, en y faisant ouvertement référence dans le texte pour ceux à qui l’information aurait échappé. Vingt-cinquième ouvrage d’une carrière d’un quart de siècle : la plus française des auteurs belges peut désormais se vanter d’avoir passé plus de la moitié de sa vie à publier. Un cap. Un symbole de longévité.
Perrault a raconté l’histoire il y a plusieurs siècles déjà, je ne risque donc pas de mentionner des éléments compromettants de l’intrigue. Pour le suspense, on repassera. Mais l’intérêt, on l’aura compris, n’est pas là. Deux enfants que tout oppose viennent au monde. Trémière est d’une beauté renversante et passe presque la totalité de son temps à regarder avec une intensité rare tout ce que le hasard dépose sous ses yeux. La laideur de Déodat n’a de commune mesure que son calme et son intelligence, la découverte des livres et du dictionnaire le sauve de l’horreur du monde. Un jour, leurs destins se croisent et tout bascule.
Dans le premier chapitre de Riquet à la houppe, Amélie Nothomb nous fait revivre les premières années contemplatives de l’héroïne de Métaphysique des tubes. Sagesse extrême, précocité, admiration des parents, extase face à la beauté : rien n’y échappe. À l’adolescence, Déodat voit la nature s’acharner sur lui. Non contente de l’avoir vu naître avec un visage des plus repoussants, elle le fait bossu et acnéique. Il suffirait d’un paragraphe de plus pour retrouver les traits d’Épiphane, héros tragique d’Attentat. De son côté, Trémière traverse cette période si souvent cruelle de la vie avec plus de facilités, bénéficiant d’un physique semblant s’embellir encore de jour en jour. Mais Amélie Nothomb profite de ce passage pour s’étendre sur l’adolescence des filles et en faire un portait peu glorieux, à l’instar des propos tenus sur le sujet par un certain Prétextat Tach, personnage central d’Hygiène de l’assassin. L’originalité des prénoms, bien sûr, et les discrètes références au Japon finiront de convaincre que c’est bien un Nothomb que l’on a sous les yeux.
Amélie Nothomb renoue avec un exercice qu’elle maitrise : la réinterprétation du conte. Les personnages semblaient formatés pour la plume de notre Amélie nationale. D’un coup de plume – ou de Bic crystal en l’occurrence – les personnages de Perrault se font nothombiens. De quoi rafraîchir ces récits oubliés et remettre au goût du jour un genre peu usité aujourd’hui.
Si on se réjouit de la forte présence des animaux, toujours sympathiques – pour eux-mêmes ou pour la description qui en est faite – on s’interrogera tout de même sur le nombre de lignes (pages ?) consacrées aux descriptions précises de variétés d’oiseaux. Qu’à cela ne tienne, le lecteur pardonne tout à Nothomb et ne se lasse ni de ses chapeaux ni de sa plume. À titre personnel, je ne me lasserai probablement jamais des romans (peu ou très) autobiographiques d’Amélie Nothomb qui sont sans doute ses meilleures performances. Mais la réécriture d’un conte est un exercice de style périlleux qui convient bien à l’auteure de Stupeur et tremblements.