J’ai quelque chose à te dire : l’amour, la mode et la mort

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J’ai quelque chose à te dire d’Anne de Bourbon-Siciles vient de paraître aux éditions de l’Archipel. Il s’agit du deuxième roman de l’auteure, après son très remarqué Chant du Pipiri. La couverture du livre montre une jeune femme blonde qui sourit face au soleil, avec en toile de fond un magnifique ciel bleu. On pourrait ainsi s’attendre à une histoire légère et pleine d’espoir, une saga romantique à lire au bord de la plage. Mais ne vous fiez pas à cette belle image ensoleillée, car le roman est tout autre.

Greta, la jeune héroïne du récit, n’aura droit qu’à un ciel lourd et chargé de nuages tout au long de sa vie. Elle paiera très cher de n’avoir pas « suivi le bon chemin », phrase qu’elle se répètera souvent. Attention car cet article comporte quelques spoilers !

j-ai-quelque-chose-a-te-direGreta a 20 ans en 1970. Elle est née dans une famille aimante. Son père, Sam, un anthropologue juif, a fui l’Europe à cause des pogroms. Sa mère, Molly, une irlandaise catholique, tient une galerie d’art. La petite famille vit à New York et coule des jours paisibles, jusqu’à ce que Greta tombe amoureuse de John, un Américain de son âge issu d’une famille riche et puissante. Le lecteur peut supposer que le reste de l’histoire de J’ai quelque chose à te dire sera tout aussi insouciant, mais il n’en est rien… Dès son premier rendez-vous avec John à Central Park, Greta rencontre un mendiant qui se promène autour des bancs. Là, il la fixe du regard, et lui lance à propos de John : « N’y allez pas, Miss. ce n’est pas le bon chemin ». Phrase prophétique s’il en est, car John va se révéler être tout sauf un Prince Charmant.

Au fil des jours, Greta va découvrir que c’est un goujat, qu’il aime les bagarres, glisse des plaisanteries racistes d’un goût douteux, et qu’il peut se révéler brutal et égoïste, y compris lors des rapports sexuels. La pauvre Greta découvre la sexualité d’une manière bien expéditive, et nous sommes à mille lieues de tout romantisme. Mais celle-ci, encore naïve, ne parvient pas à parler de la situation face à ses parents très pudiques, qui en retour, n’osent pas lui poser de questions, et elle s’enfonce dans une relation très frustrante avec John, y compris quand elle doit supporter la belle-mère méprisante et castratrice, tout ça par amour. Il faudra un grave accident de voiture pour mettre un terme à cette drôle de relation, où John, voyant que Greta ne pourra jamais avoir d’enfant, s’évanouit dans la nature. Il ne s’agit pas vraiment d’un spoiler, car cela se sait dès la quatrième de couverture de J’ai quelque chose à te dire. C’est tout son monde qui s’écroule, ainsi que ses beaux rêves de fonder un jour une famille. Et c’est terrible pour Sam et Molly, qui voient toute filiation désormais impossible.

Rien n’est épargné à la pauvre héroïne, ni même au lecteur, qui ne s’attendait pas à cette irruption cruelle de la réalité. C’est vraiment un choc, et l’on se sent vraiment désolé pour Greta, qui poursuit sa route comme si de rien n’était. Qu’à cela ne tienne, elle déménage à Paris pour se consacrer aux articles de mode, où elle excelle. Elle fera la rencontre du Prince François dans les cercles mondains du quartier Saint-Germain, et fera la connaissance de la troublante Aiko, grande photographe de mode japonaise qui fuit les journalistes comme la peste, mais qui n’hésite pas à se confier à Greta sur des sujets très lourds, comme la mort par exemple.

La mort. Elle hante une bonne partie de J’ai quelque chose à te dire, comme lorsque Molly voit sa santé décliner de manière terrifiante ou que Sam préfère s’éteindre dans le quartier juif de Vienne, là où sont ses racines. Une touche de fantastique prédomine dans le récit, débutant avec le sans abri rencontré dans Central Park, ou s’installant majestueusement dans le vieux château de la Dordogne, avec des portraits qui intriguent et un escalier hanté. Finalement c’est en Turquie, sous les étoiles d’Istanbul, que Greta renouera avec le grand amour et fera la paix avec elle-même. Car le mot « destin » ne se rapproche-t-il pas de la « destination » ?

j-ai-quelque-chose-a-te-dire-2L’écriture de J’ai quelque chose à te dire, est, quant à elle, exceptionnellement bien maîtrisée. Tout est en délicatesse, en exactitude et en profondeur, et on ne lâche pas le roman une seule seconde. Greta prend de l’assurance et de la maturité avec les années, et tous ses faits, y compris sa souffrance, sont décrits et vécus avec beaucoup de sobriété et de dignité. C’est le cas jusqu’à la toute dernière page du livre, qui bouleverse. Sans jamais tomber dans la facilité ou le happy ending, l’héroïne tente de maîtriser son destin auquel elle ne peut échapper. Car le récit ne sombre jamais dans le pathos et garde toujours sa justesse. L’ouvrage pourrait être ainsi diviser en trois parties : l’amour, la mode, la mort. Aiko, qui revient justement à la fin du livre, ne serait-elle pas finalement la mort elle-même ?

Anne de Bourbon-Siciles est une princesse, héritière des Bourbons, et sa connaissance de l’élite et de la mode transparaît bien dans J’ai quelque chose à te dire. Elle est ici dans son élément, ce qui explique la réussite de son écriture. Échappant à tous les clichés et aux codes, elle décrit avec beaucoup de sensibilité les mésaventures de la vie. C’est un auteur à suivre de très près, et on attend son troisième livre avec impatience.

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