Avec Des forces étranges, c’est par un recueil de nouvelles aussi glaçantes qu’irrésistibles que les éditions Allia ont choisi de ramener d’entre les morts Leopoldo Lugones. A la fois monstre et virtuose, ce poète argentin nous saisit par la modernité de son style. Comme toujours avec les éditions Allia, le livre est joli et le papier agréable.
Des forces étranges, c’est un peu comme une contemplation silencieuse face au désastre. Les nouvelles commencent ainsi par une situation ordinaire. Puis vient le moment où tout vacille et les événements prennent des proportions insoupçonnées. D’un riche propriétaire faisant face à l’apocalypse, à un homme tourmenté par la forme de son ombre, les protagonistes de chaque histoire ont cette torpeur en commun face à un incommensurable. A la fois sujet et marionnette de leur destinée, on est emporté avec eux dans l’imaginaire de l’auteur.
De quoi vaut-il mieux se rappeler chez Lugones ? Sa folie ou son talent créatif ? On ne saurait finalement vraiment séparer l’un de l’autre. Bien qu’un peu ampoulé, son style est efficace et place le lecteur en un spectateur circonspect face au devenir de ses héros.
Invariablement, la tension monte jusqu’à atteindre un certain pallier après lequel elle retombe violemment, laissant le lecteur avec une multitude de questions. Une réussite aussi mystérieuse que psychologique, qui parvient à nous transporter dans un univers quasi parallèle où l’on se retrouve indirectement confronté à des situations et des destins à la fois terribles et hors du commun.
Mon cœur palpitait, comme au pressentiment d’un dénouement malheureux.
– Ne regardez pas, lui dis-je.
– Je verrai ! Répondit-il d’un ton impérieux qui me fit placer, malgré moi, la feuille de papier en pleine lumière.
Nous pâlîmes tous deux horriblement. Là, sous nos yeux, le crayon révélait un front déprimé, un nez aplati, un museau bestial. Le singe ! La chose maudite !