Le voleur d’estampes de Camille Moulin-Dupré, est paru aux éditions Glénat. Ce manga 100% français se focalise sur un art japonais ancien : les estampes et leurs mystérieux personnages. Comme dans une œuvre d’Hokusai, on glisse dans la brume des paysages, on marche sous les feuilles d’érable, on déguste du poisson frais et on fume de l’opium. Petit tour d’horizon au pays des images du Monde Flottant.
Un bien étrange voleur, tout de noir vêtu, s’introduit la nuit chez les plus nantis pour leur voler leurs biens. Pas pour revendre ni s’enrichir, mais pour « rééquilibrer la balance » et rendre justice au petit peuple. Parallèlement, le gouverneur s’installe dans le Port et promet la main de sa fille à son colonel. Celle-ci est désespérée à la perspective de ce mariage forcé, et s’échappe dans les vapeurs d’opium.
Le tout est vraiment magnifique, avec des références faites à des personnages nippons vus dans beaucoup d’estampes. Grâce à ce système de collage de nombreux « Ukyo-e » déjà existants et tombés dans le domaine public (l’auteur lui-même déclarant les avoir utilisés dans son œuvre selon une interview sur No Life), Camille Moulin-Dupré reconstitue toute une palette d’un univers encore sous-exploité. Quelques références drôles et bien senties ont été laissées, comme le clin d’œil érotique à propos du poulpe et de la femme du pêcheur. Le voleur est comparé au Tengu, démon légendaire qui peut vous occire dans les bois, la nuit tombée. Les armures de samouraï sont de toute beauté, les villageois ajoutent une touche de pittoresque, et les jeunes filles ne sont pas si sages qu’on croit.
Là ou ça pêche, c’est davantage au niveau de l’histoire, car on ne comprend pas très bien quel est le but de l’auteur. Le héros vole par ennui et pour se sentir exister, mais à force, il ressemble davantage à une sorte de « Robin des Bois » en moins abouti car il ne se passe rien d’autre, si on excepte sa rencontre fortuite avec la fille du gouverneur. Cependant, les personnages restent cantonnés dans des stéréotypes caricaturaux, surtout quand il s’agit de montrer le père ou le futur mari, trop souvent ridiculisés. De plus, les dialogues comportent beaucoup trop de lieux communs, comme dans les phrases suivantes : « Vous n’êtes plus une enfant ma fille, le grand air vous fera le plus grand bien, je suis le gouverneur, je veux qu’on m’obéisse, etc ». Et ce sont des phrases qu’on a l’impression d’avoir entendues trop de fois auparavant. Les dialogues manquent donc de maîtrise, et auraient mérité d’être plus travaillés.
Enfin, une dernière chose me gêne dans Le voleur d’estampes, mais plus par principe : les personnages, éminemment nippons, fonctionnent… à la française, ce qui est un peu perturbant. La population locale soutient le voleur et n’a de cesse de se révolter, toujours d’une façon un peu trop manichéenne et très frontale. Hors, jamais au grand JAMAIS les Japonais ne se révoltent aussi ouvertement, car ils ne remettent jamais en question l’autorité ! Si révolte il y a, elle se fait de manière plus dérobée, plus insidieuse, et plus inattendue car tout est une affaire de mystère, de discrétion, de politesse, de dérobade, de sacrifice, de respect soumis, d’honneur, et d’hara-kiri… Les Japonais sont ainsi : c’est davantage le feu qui brûle sous la glace. Et si la colère éclate, c’est dans une violence totale. Chez les Nippons, la plus pure délicatesse côtoie la violence la plus inouïe, car tout est exacerbé.Et c’est tout cet esprit-là qui manque dans Le voleur d’estampes, qui se veut certes poétique, mais qui n’est pas très approfondie au niveau de l’intrigue et de la psychologie. >Et le manichéisme est clairement de trop, car au niveau des mangas, presque jamais rien n’est manichéen. Il y a encore trop de maladresses dans la manière d’amener l’histoire et les personnages, dans ce premier tome du Voleur d’estampes.
Seul le protagoniste de la jeune fille est réussi : elle est la seule à faire preuve d’une véritable introspection, et parvient à séduire à tous les niveaux de lecture. Mais c’est dommage pour le personnage du voleur, qui reste assez terne. Avec l’utilisation de ces sublimes dessins qui ne compensent pas une psychologie peu travaillée et un scénario qui n’en est pas un, l’ensemble ressemble à une très belle coquille vide. Ce qui est dommage. Heureusement, un tome 2 du Voleur d’estampes est à paraître, ce qui conclura cette histoire. On a hâte d’en savoir un peu plus sur le sort réservé à la jeune fille, et au dénouement réservé au voleur…