La Fenêtre panoramique de Richard Yates, en anglais Revolutionary Road, a été publié dans sa première édition en 1961. Frank et April Wheeler sont un couple de jeunes américains qui vivent à quelques kilomètres de New-York dans une jolie résidence. April y élève leurs deux enfants, tandis que Frank prend le train tous les jours pour aller travailler chez Knox, où était déjà employé son père avant lui.
Le début de La Fenêtre panoramique donne le ton : April, qui a participé à une pièce de théâtre via une association de quartier, est terriblement déçue de sa prestation et de celle de la troupe en général. On apprend qu’elle aurait voulu être actrice, qu’elle s’est mariée et est tombée enceinte très tôt, qu’elle a mis ses rêves de côté pour offrir une vie confortable à ses enfants. Avec aigreur et ressentiment, April décide de ne plus parler à son mari. On comprend qu’elle lui en veut indirectement d’avoir cédé avec elle à cette vie si rangée et monotone, de n’avoir pas davantage lutté pour suivre les rêves qu’ils avaient en commun.
Quelques jours plus tard, April sort de sa torpeur et communique de nouveau avec Frank. S’en suit une discussion saine et honnête, lors de laquelle ils décident de tout quitter pour aller vivre en Europe… Ils prennent alors leurs dispositions pour vendre leur maison, et quitter le pays dans les mois suivants. Ils l’annoncent progressivement à leur entourage, leurs voisins et amis les Campbell, leur agent immobilier Mrs Givings, le directeur de Frank… Tous regrettent qu’ils partent, regret qui naît d’une jalousie : la jalousie de n’avoir pas eu le courage eux-mêmes, d’aller voir au-delà de leur bien propre et jolie fenêtre panoramique.
Malgré l’influence directe qu’il a eu sur des écrivains tels que Raymond Carver et Richard Ford, Richard Yates a bénéficié d’une reconnaissance posthume, encouragée en 2009 par l’adaptation cinématographique de La Fenêtre panoramique réalisée par Sam Mendes (Les Noces Rebelles en français). Aujourd’hui qualifié de classique, c’est une bombe qu’il avait lâchée à l’époque, aussi bien dans le fond que dans la forme. Richard Yates égratigne subtilement le rêve américain à travers un texte qui n’en a pas l’air, et qui décrit avec une fausse simplicité les différents états d’esprits de Frank et d’April. Cette écriture qui effleure nous permet de saisir le paradoxe de la situation : l’envie sociale d’être des parents exemplaires, de répondre au modèle de la banlieue résidentielle, et en même temps cette certitude vaniteuse de valoir mieux que tous les autres, d’avoir compris que la vie, ce n’est pas ça, et qu’ils méritent un quotidien qui les élèvera vers autre chose. Et finalement, c’est un peu ce que pensent tous les personnages que croisent Frank et April, qui deviennent porte-paroles d’une déception et d’une désillusion nationale ambiante.
Lire La Fenêtre panoramique, c’est un peu se confronter à ses démons. Ceux qui nous répètent que la vie est censée être plus extraordinaire que ça, et qu’on manque de courage, pour aller voir ce qu’il y a au-delà du bout de notre nez. Les personnages de Frank et d’April nous ressemblent, chacun dans leur genre. Frank, persuadé de valoir mieux que son père, ce brave travailleur qui a su s’élever au-dessus du lot en collaborant avec le directeur de son entreprise, qui a réussi une vie de famille stable, bien comme il faut. Non, Frank n’est pas le même : lui, il veut découvrir sa véritable ambition, être connecté à sa réelle personnalité, ne pas se mentir et aller vers ses rêves. Malheureusement, il finit toujours par se faire rattraper par le quotidien. Alors non, ce n’est pas de sa faute s’il faut remettre à plus tard les projets d’aventures.
Quant à April, actrice ratée devenue mère de famille trop tôt, elle a davantage conscience de son mal-être et de sa difficulté à revêtir chaque jour ses vêtements de parfaite femme d’intérieur. Elle dérape en paroles plus facilement que son mari, qui lui conseille d’ailleurs vivement de suivre une psychothérapie. Il est important d’être bien dans ses pompes et de savoir pourquoi on fait ou ne fait pas les choses. Le souci, c’est qu’April n’en sait rien. Pourquoi elle en est arrivée là, alors qu’elle avait imaginé tout autre chose. Elle se croit un peu folle, se sent un peu proche du fils de Mrs Givings, John, qui lui est fou déclaré et ne se gêne pas pour dire ce qu’il pense comme il le pense. Mais il a le droit : il est malade.
« Dans le train qui le conduisait à son travail, il était l’un des voyageurs les plus jeunes et les plus sains ; mais il s’assit avec l’air d’un homme condamné à une mort très lente, sans douleurs. Il se sentait très vieux. »
3 commentaires
Excellent article ! Je n’ai pas lu le ivre mais j’ai vu le film quand il est sorti au cinéma. Une vraie bombe! Doucement dérangeant, bouleversant : il nous prend aux tripes sans que l’on comprenne vraiment pourquoi cet émoi. Au fond, peut-être que c’est simplement parce que nous sommes tous dans cette situation…
Merci Audrey :))
Je te conseille le livre, il apporte encore autre chose par rapport au film !
Je prends bonne note!