Henning Mankell : Sable mouvant, l’homme derrière le romancier

Henning Mankell, dans cet ultime ouvrage paru le 17 septembre aux éditions du Seuil, navigue entre les fragments épars de sa vie, les bribes de mémoire de tout ce qui a pris, à un moment ou un autre, un sens dans son existence et qui resurgit face à la perspective d’une disparition prochaine. Dépassant le cadre de la simple autobiographie, Mankell plonge dans les méandres de l’histoire, la sienne comme la nôtre, pour faire face à l’angoisse la plus profonde de tout être vivant : celle de la mort.

C’est un livre dont on connait l’issue puisqu’Henning Mankell nous a quittés le 6 octobre dernier. Un livre qui commence par l’annonce d’une fin qui s’approche, qui rôde. Une lecture peu évidente que nous laisse Henning Mankell pour ce dernier ouvrage et, cette fois, le romancier s’efface derrière l’homme. L’homme mis à nu, qui fait face à l’inéluctable, à ses peurs et à ses interrogations. Pour ne pas se laisser aspirer par les sables mouvants de sa peur, Henning Mankell choisit de la questionner, de la décortiquer. Avec une lucidité bouleversante, il analyse son propre rapport à la maladie mais surtout à la mort. Non seulement le sien, mais celui de l’humanité toute entière. Flânant entre les fragments de sa vie et les moments de la petite et de la grande Histoire, il analyse avec humilité notre condition d’être humain et s’interroge : comment nos choix nous définissent-ils ? Quelles traces allons-nous laisser aux générations futures ou aux êtres vivants qui nous succèderont ? Comment nous percevront-ils ?

On voit avec émotion cet homme aux portes de la mort tenter de se projeter dans ce futur qui ne sera pas le sien. Mais ici, pas de pathos, ni d’auto-apitoiement, pas de grandes envolées moralisatrices. Loin de se centrer sur le malheur de sa personne, Henning Mankell replace humblement son existence dans le flot de l’humanité et transforme cette plongée dans son passé en une réflexion presque philosophique.

Fourmillant d’anecdotes, de rencontres, d’évènements, de moments d’Histoire qui ont marqué sa propre histoire, il nous entraîne avec lui et au fil de la lecture de Sable mouvant se noue un dialogue silencieux qui nous pousse nous-aussi à nous interroger. Avec la mort qui rôde comme une ombre en toile de fond de ces fragments de vie, c’est quelque part le sens que nous donnons ou pouvons donner à notre existence par nos actes et par nos choix que Mankell finit par questionner avec intelligence.

Henning Mankell

Bien loin du morbide, Henning Mankell se dresse debout face à la mort entre ces lignes, fidèle à l’homme de conviction qu’il aura été, et évoque toutes ces parcelles de vie, de mémoire, d’histoire qui ont fait de lui un homme vivant. Sable mouvant est une réflexion positive et lucide sur la vie même et l’on ne peut qu’être bouleversé par son courage. Déroutant et émouvant à la fois. Une volonté de transmettre et de questionner le futur de l’humanité qui résonne au-delà du livre.

« Mais par-dessous tout, je vis dans l’attente de nouveaux moments de grâce. Nul ne peut me voler la joie de créer moi-même ou de prendre part à ce que d’autres ont créé.

Des instants qui viennent. Qui doivent venir, si la vie doit avoir pour moi un sens. »