Avec Si tard, il était si tard, James Kelman signe un récit étonnant au style hors norme qui intrigue et déroute à la fois. Paru le 10 septembre aux Editions Métailié, l’ouvrage a reçu le Booker Prize en 1994. Reconnu pour son style brut, acide et drôle, James Kelman signe ici un véritable tour de force narratif.
Au terme d’un weekend de beuverie, Sammy se réveille un dimanche matin dans une rue de Glasgow, complètement désorienté. Ses chaussures lui ont été échangées, il n’a plus de portefeuille, ni d’ailleurs de souvenirs de ce qui a bien pu se passer les heures précédentes. Et la situation ne va pas s’arranger. Encore aviné, son comportement lui attire une altercation avec la police. Embarqué au poste, les choses dégénèrent et il se réveille aveugle. Sa vie bascule alors. En tentant de faire reconnaître son handicap nouveau, il se heurte à l’absurdité du système social et administratif. Mais ce n’est pas encore là le seul de ses soucis. De retour chez lui, sa petite amie a disparu et la police semble s’intéresser à lui pour différentes raisons.
Si tard, il était si tard est une admirable prouesse narrative. James Kelman parvient à nous immerger complètement dans l’esprit de Sammy, au cœur de ce dialogue continu qu’il entretient avec lui-même. Plongé dans le flot ininterrompu de ses pensées, on se retrouve aussi désorienté et désemparé que lui face à cette situation brumeuse et insolite.
Que s’est-il passé durant ce fameux weekend ? Où est passée Helen ? Pourquoi les policiers s’intéressent-il autant à lui ? Comment va-t-il parvenir à s’en sortir, seul et aveugle dans cet imbroglio ?
Avec ce style cru, vivant et brut qui le caractérise, dans Si tard, il était si tard, James Kelman nous projette presque littéralement dans la peau de Sammy. Perdu et déconcerté au début du récit, le lecteur s’accroche à la logorrhée mentale du personnage, parfois submergeante, pour tenter de comprendre ce qui lui arrive. Au fur et à mesure que Sammy prend ses marques dans sa nouvelle condition, le lecteur trouve peu à peu ses repères. Naviguant à l’aveugle, on apprend de pensée en réflexion les méandres de son ancienne vie tout autant que l’on suit son parcours chaotique dans cette nouvelle existence.
On se retrouve avec lui mis devant le fait des incohérences administratives, au cœur de situations confinant à l’absurde. Au détour de son langage cru, on parvient peu à peu à apprivoiser ce personnage un peu rude, à le cerner. On se surprend même à admirer sa force de caractère, son acceptation de son état, sa volonté de survie envers et malgré tout dans cette descente aux enfers.
Qui est véritablement Sammy ? Dans quelles affaires a-t-il trempé ? Quelle est la clé de ce fameux weekend ? Autant de zones d’ombre qui nous happent dans la lecture et nous obsèdent. Si tard, il était si tard est un récit rocailleux, aussi peu évident à aborder que son personnage à cerner. Pourtant, il mérite que l’on fasse l’effort de pénétrer l’intrigue et de se laisser guider par les pensées de Sammy. C’est un roman qui emporte son lecteur dans un autre monde dont il nous démontre la dureté, quitte à nous perdre un peu. Un style particulier qui prend le risque de ne pas plaire à tout le monde, voire de rebuter complètement certains lecteurs. Audacieux, certes, mais à ne pas mettre en toutes les mains, car le charme opère ou pas.
« Oui désolé de vous interrompre Docteur mais vous voyez quand vous dites «allégué » ?
Oui ?
Êtes-vous en train de dire que vous ne me croyez pas vraiment aveugle ?
Pardon ?
Vous dites que vous me croyez pas aveugle ?
Bien sûr que non.
Alors qu’est-ce-que vous êtes en train de dire ?
Je vous l’ai dit il y a une minute.
Vous pourriez répéter s’il vous plaît ?
Concernant les stimuli visuels présentés vous avez semblé incapable de réagir.
Alors vous dites pas que je suis aveugle ?
Ce n’est pas à moi de le dire.
Oui mais vous êtes médecin.
Oui.
Alors vous pouvez donner un avis ?
N’importe qui peut donner un avis.
Un commentaire
Pingback: Si tard, il était si tard. | JUNE and CIE