Notre famille, récit d’Akhil Sharma, est sorti le 8 janvier aux éditions de l’Olivier. Ce roman dramatique est sensible m’a accrochée du début à la fin. Second roman de cet auteur indien (après Un père obéissant traduit en France en 2003), il raconte l’histoire du jeune Ajay qui quitte avec sa famille son Inde natale pour vivre à New York dans les années 70. Son frère et lui vont être poussés par leurs parents à la « réussite à l’américaine », mais le destin va en décider autrement pour l’aîné, Birju.
Alors que leur père est déjà à New York depuis plusieurs semaines, Birju, Ajay et leur mère reçoivent enfin leurs billets d’avion. Ajay ne réalise absolument pas ce qui est en train de lui arriver. Du haut de ses huit ans, rempli de fierté, il attend le départ ; très vite, ils quittent l’Inde. Les premiers temps new-yorkais de la famille sont racontés du point de vue d’Ajay, comme tout le reste du roman. Ce choix narratif donne à Notre famille un ton très particulier, teinté d’innocence. Pour autant, Akhil Sharma ne nous épargne rien des évènements ; par le truchement du personnage d’Ajay, on comprend tous les tenants et les aboutissants de cette nouvelle vie qui commence.
Dans la première partie du roman, Birju, l’aîné des deux frères, s’entraîne pour passer le concours de la Bronx High School of Sciences. Le concours fraîchement réussi, les deux garçons partent en vacances chez leur tante dans les alentours de New York. C’est alors qu’un drame survient, qui va changer la vie d’Ajay pour toujours, ainsi que celle de sa famille.
Dans Notre famille, Akhil Sharma retranscrit avec brio les pensées d’un jeune garçon, qui de chapitre en chapitre devient un peu moins jeune. Les propos mûrissent peu à peu. La vision de la vie change, ainsi que l’espoir, la lucidité, le regard sur le monde et sur sa propre famille. Sur son pays aussi, devenu lointain. L’Inde lui manque, comme un souvenir voilé dont on ne sait plus s’il est réel ou s’il s’agit d’un rêve. Et en même temps, il se sent américain, avec tout ce que cela comporte : le désir de se réaliser, de réussir, d’être bien vu. Le désir d’être heureux aussi, qu’il apprend à apprivoiser avec maladresse. Ajay sera-t-il jamais heureux ?
La vie d’Ajay fait étrangement écho à celle de l’auteur. Né en Inde en 1971, Akhil Sharma émigre aux États-Unis à huit ans. Après des études de lettres, diplômé de la Harvard Law School, il entre dans une banque dont il démissionne pour se consacrer à l’écriture. Dans Notre famille, l’auteur arrive à nous faire partager ce que cela signifie d’être indien et d’arriver aux États-Unis dans les années 70. Le sentiment d’être différent, le devoir de réussir, mais aussi les réunions entre familles indiennes, la pratique de la religion, la difficulté d’intégrer une société complètement différente. Le rêve américain semble ne pas vraiment exister pour ces familles, qui tentent de s’intégrer sans pour autant renier leur culture et leurs croyances. Notre famille nous parle de désillusion, sans annihiler tout espoir dans les yeux du petit Ajay.
Grâce à son personnage innocent, toujours dans le factuel, l’auteur arrive à nous transmettre les émotions avec beaucoup de justesse. Ajay nous fait partager sa vie et ses sentiments, ses doutes et ses espoirs. Il nous livre ses observations avec simplicité et sincérité, jusqu’à ses pensées les plus dures et les plus bouleversantes. Notre famille est une grande réussite, d’une sensibilité et d’une justesse absolument maîtrisée.