Les vies parallèles de Greta Wells d’Andrew Sean Greer vient de sortir aux éditions de l’Olivier. Après avoir suivi les cours de « creative writing » d’Edmund White et Robert Coover, Andrew Sean Greer a publié dans des revues telles que Esquire, puis publié notamment L’Histoire d’un mariage en 2009. Les vies parallèles de Greta Wells est sorti en 2013 aux Etats-Unis.
New York, 1985. Greta vient de perdre son frère jumeau Félix, son âme soeur, son meilleur ami, mort du sida. Elle doit également faire face au départ de son petit-ami Nathan, qui ne supporte plus tout ce malheur. Soutenue par sa tante Ruth, sa confidente, Greta décide de subir un traitement d’électrochocs, en espérant que cela pourra l’aider à surmonter sa dépression. Ces séances vont lui permettre de voyager dans le temps : des allers-retours entre 1918, 1941 et 1985, dans les corps de différentes versions d’elle-même. Les Greta de 1918 et 1941 sont mariées à Nathan, celle de 1941 a même un fils avec lui. Et Félix est toujours vivant dans les deux autres mondes. Passée la surprise, Greta se demande la raison de ces voyages, et si elle est censée en faire quelque chose. Elle profitera aussi de ses « retrouvailles » avec son frère et Nathan, car elle sait que ces visites dans les « autres mondes » sont comptées.
Pour choisir les romans que je vais critiquer, je me fie généralement à mon instinct : un bel article de presse, le résumé d’une histoire qui fait écho à quelque chose de familier, qui me rend curieuse. C’est ainsi que j’ai choisi Les vies parallèles de Greta Wells, que les éditions de l’Olivier m’ont envoyées. Immédiatement, comme cela m’arrive parfois, le ton de l’auteur m’a de suite accroché. Cette manière presque innocente, d’une neutralité assumée, de raconter à la première personne l’histoire de Greta, et lui faire énoncer des phrases sur le sens de la vie et de l’amour, qui ont été pour moi de vrais moments de grâce.
« […] en revenant à la vie, les morts conservent aussi ce qui ne nous manquera jamais chez eux. Les plats ratés, les retard perpétuels, les coups de téléphone qui ne terminent pas par un « Je t’aime ». Ils ne sont pas meilleurs ; ils sont simplement de retour. »
Par l’intermédiaire des allers-retours dans le temps de son héroïne, Andrew Sean Greer se lance dans une fresque grossière du XXème siècle. Alors que la Greta de 1985 voit ses proches décimés par le sida, celle de 1918 va vivre l’annonce de la fin de la Première Guerre Mondiale, et ressentir une joie toute relative, puisqu’elle sait qu’un nouveau conflit mondial éclatera vingt ans plus tard. On sent la volonté de l’auteur de peindre des moments plutôt que de réelles descriptions de chaque époque. Andrew Sean Greer se contente de raconter ce que voit Greta : l’horizon new-yorkais aux fumées industrielles, une fête de quartier, les vêtements d’époque, quelques précisions de mœurs sociales… Sans plus. Il faut bien avoir en tête que décrire ces époques historiques n’est pas le but, ni le centre, des Vies parallèles de Greta Wells. Certains lecteurs pourront peut-être le regretter, considérant que l’auteur aurait pu se contenter d’époques moins « clés ».
Les vies parallèles de Greta Wells est en anglais The Impossible Lives of Greta Wells. Un titre beaucoup plus évocateur de la dimension philosophique du roman. Greta sait que ces passages dans ses vies parallèles sont éphémères et qu’ils se termineront à la fin de ses séances d’électrochocs. Au fur et à mesure qu’elle apprend à connaître ses autres existences, elle se rend compte qu’elles ne sont dans l’absolu pas si différentes de sa vie « réelle ». Félix et Nathan sont toujours auprès d’elle, mais dans le mensonge. Félix ne peut pas vivre au grand jour son amour pour les hommes, quant à Nathan, lui et Greta se trompent mutuellement : avec Leo en 1918, avec une autre femme en 1941. Cependant, dans les faits, les Gretas ne réagissent pas pareil devant les événements : alors qu’une manquera de courage, l’autre en aura à revendre, et ainsi de suite… C’est ainsi qu’une Greta aura repris contact avec le Nathan de 1985, alors que la Greta de 1985 en était incapable…
A la fin des Vies parallèles de Greta Wells, l’auteur opère une accélération. On y voit une volonté de mêler davantage les époques. Greta ne sait plus vraiment quelle Greta elle est, et nous non plus. Les Félix et les Nathan se mélangent aussi. Alors que les descriptions physiques des personnages ne perdent pas en précision, on se perd dans cette tentative de les distinguer tous, qui ne résiste pas à l’accélération de l’histoire et le raccourcissement des chapitres. C’est finalement la morale de l’histoire, qui peut paraître simpliste mais qui a une efficacité redoutable à la lumière de ces allers-retours dans le temps, que je laisse l’auteur vous expliquer ci-dessous :
« On inventera peut-être un jour un appareil photo capable de saisir, le moi fugitif – pas l’âme, le moi – et nous pourrons alors vraiment voir lequel nous étions, un certain jour, et repérer les vies changeantes que nous menons et dont nous prétendons qu’elles n’appartiennent qu’à une seule personne. Pourquoi est-il impossible de croire que nous avons autant de têtes que les monstres, autant de bras que les dieux, autant de cœurs que les anges ? »
« Jamais je n’aurais cru que je pleurerais encore devant lui. pas après ce qu’il m’avait fait subir dans mon monde. Il y a ce que vous espérez et puis, au-delà, comme un trophée sous clé et hors de portée dans une vitrine, il y a la chose que vous n’osez espérer. L’obtenir sans s’y attendre, sans préavis et – pire que tout – sans le mériter en quoi que ce soit transforme le monde en un lieu surnaturel. Un lieu dans lequel les prières ne sont pas exaucées ni les torts réparés, où les équilibres sont rompus et les sanctions et les récompenses distribuées au hasard […] »