La Servante du Seigneur de Jean-Louis Fournier, depuis sa sortie en cette rentrée littéraire 2013, a fait grand bruit. Pour la sensibilité de son écriture et son ton percutant, bien sûr, mais aussi parce qu’il s’est retrouvé au coeur d’une affaire judiciaire inédite dans l’édition. Que s’est-il passé ? Et le livre en lui-même, que vaut-il ?
Jean-Louis Fournier, quelques jours après la sortie de La Servante du Seigneur, a en effet été obligé d’insérer un « droit de réponse ». Ce droit de réponse a été exercé par sa fille Marie, qui se considère comme victime des propos que son père tient sur elle. Jean-Louis Fournier nous raconte qu’elle est tombée dans l’extrémisme religieux ; révoltée, elle ne se laisse pas faire. Deux versions du livre circulent donc depuis la fin du mois d’août : la seconde contient 5 pages supplémentaires rédigées par la fille.
Une affaire qui nous rappelle que les écrivains ont depuis quelques mois de plus en plus de comptes à rendre à la justice, même si leur livre a été à la base appelé « roman ». Rappelons-nous entre autres Grégoire Delacourt et Scarlett Johannson, et sans aller jusqu’à parler d’affaire de justice, d’autres auteurs sont accusés de « mensonge » par leur public, alors qu’ils publient des « romans ». Il faudrait d’ailleurs parfois rappeler à certains lecteurs la définition du mot « roman »… Mais passons. Et parlons plutôt du contenu de La Servante du Seigneur.
Servante du Seigneur, parce que référence à « Monseigneur », un personnage du livre. L’homme qui a influencé et fait tomber la fille de l’auteur dans cet extrémisme. Jean-Louis Fournier raconte dans de très courts chapitres sa relation devenue compliquée avec sa fille, alors qu’elle était autrefois si simple. Des rapports idylliques, basés sur la complicité et l’humour. Simplicité que Marie n’hésite pas à démentir dans son droit de réponse, faisant référence au mal-être qu’elle a ressenti adolescente et jeune adulte. Elle mentionne aussi une dépression. Voilà pourquoi selon moi le droit de réponse apporte quelque chose de différent au texte de Jean-Louis Fournier. Il remet beaucoup de choses en question, et finalement rend les propos du père assez troublants. On sent que lui aussi perd pied dans cette célébration du souvenir de sa fille. Le lecteur, je pense, n’aura pas envie de démêler le vrai du faux, mais cette différence de vision des choses pèse dans la balance, et rend le livre plus triste.
Marie (car du coup à présent nous connaissons son prénom), influencée donc par « Monseigneur », quitte Paris et s’isole dans une maison au bord de la mer. Son père, qui vient de perdre sa nouvelle épouse, vit très mal cet éloignement brusque. L’auteur fait des allers-retours constants entre passé et présent. On devine à quelle époque les choses ont basculé. Il parle d’une époque où sa fille était beaucoup là pour lui, à le soutenir suite au décès de son épouse. On les imagine complices, très liés. Et d’un seul coup, la machine s’inverse, et Marie se découvre une vie spirituelle qui l’éloigne de sa vie d’avant, de ses amis, de sa famille. Jean-Louis Fournier ne mâche pas ses mots quant à ce phénomène cruel qui lui a enlevé sa fille, alors qu’elle, de son côté, affirme avoir repris goût à la vie…
Peut-être suis-je un peu trop curieuse, mais j’aurais aimé en apprendre davantage sur les étapes du glissement de Marie dans l’extrêmisme religieux. On est toujours un peu curieux de savoir comment ce genre de chose peut se produire chez un être humain… Nul doute que la fille de Jean-Louis Fournier aurait été encore plus en colère de voir ces explications précises étalées dans La Servante du Seigneur, alors que ce livre-là ne constitue finalement qu’une série de regrets formulés par son père. Jean-Louis Fournier reste très vague. On ne sait pas grand chose sur Monseigneur. Qui il est, d’où il vient. Ce n’est peut-être pas utile, finalement… Le flou permet la poésie, comme le prouve cet extrait :
J’ai fait la connaissance de Monseigneur. Il est habillé en noir, il a des bottines qui brillent et des oreilles pointues comme Belzébuth.
Je te l’ai fait remarquer, tu as ri.
On a dîné tous les trois. Quand elle parle, il la regarde avec dévotion. Quoi qu’elle dise, même « passe-moi le sel », Monseigneur est aux anges. Il m’a plusieurs fois dit, au cours du repas, « votre fille est extraordinaire ».
Je n’ai pas besoin de lui pour le savoir. Tu n’es pas comme les autres.
Tu es beaucoup mieux que les autres.
Quelques années après le très remarqué Où on va, papa ?, qui concernait ses fils handicapés, c’est de sa fille dont nous parle cette fois-ci Jean-Louis Fournier. On se laisse porter par la prose courte mais percutante d’un père blessé et perdu.
Pour finir, je vous propose 2 articles, sur actualitte et lefigaro.fr pour en savoir plus sur le côté judiciaire.