Une chronique aujourd’hui pour rendre à Julie Maroh ce qui lui appartient : le récit poétique et doux d’une histoire d’amour, de la vie de deux femmes, qui s’aiment. La bande dessinée « Le bleu est une couleur chaude » a remporté le prix du public du festival d’Angoulême en 2011 et inspiré le réalisateur de « La vie d’Adèle« , Palme d’Or 2013 à Cannes. En attendant (im)patiemment la sortie en octobre de ce film prometteur et acclamé, je vous invite à découvrir cette BD de Julie Maroh, qui est une merveille.
Julie nous conte l’histoire de Clém, son cri d’amour envers Emma, « l’être de sa vie ». Clém est une jeune lycéenne lambda qui évolue dans la grisaille de la ville, du quotidien, du carcan étroit des conventions sociales. Ses tentatives amoureuses restent de courts feu-follets. Jusqu’à Emma. La petite fille délaisse alors le rose pour river ses yeux sur l’interdit, la chevelure turquoise d’une longue silhouette androgyne. Une passante éphémère qui teinte de bleu et de sa présence les pensées de Clém, ses rêves, ses envies. Plus tard, un ami homo emmène Clém dans le minuscule « quartier gay » de Lille. Emma la voit, la poésie reprend. Entre la lycéenne et la jeune étudiante en art, une relation complice, intime et fusionnelle se tisse. Attirances intellectuelle, sentimentale et sexuelle s’imbriquent et échappent au contrôle des deux jeunes femmes. Trop vite la réalité, la peur, le quotidien viennent agiter leur cocon. La violence éclate: les parents de Clém qui jettent leur fille à la porte, les camarades qui rient de « la gouine » de la classe, jusqu’à l’ex d’Emma qui n’accepte pas la rupture et qui, blessée, cherche à blesser.
Grandir, se vivre en tant que femme qui aime les femmes. Assumer, ignorer, militer, oublier… Le parcours vers l’acceptation de soi n’est le même pour personne et il ne sera certainement pas le même pour Emma et Clém. La narration de l’histoire de l’adolescente puis de la jeune adulte, via ses carnets intimes lus par Emma m’a bouleversée. C’est le récit d’une rencontre et d’un amour immense. C’est aussi ce récit qui interpelle, celui d’une jeune fille qui se découvre différente et qui doit se construire. Se construire en même temps que ses repères familiers s’écroulent, reconstruire un foyer, une identité, découvrir que le bonheur, que la couleur chaude, n’est pas là où on l’attend.
« Depuis cette nuit de mes 17 ans où je me suis retrouvée à la porte de ma propre maison, cette nuit où mon père défiguré par la colère m’a déclaré « Si tu pars avec elle, tu n’es plus ma fille »… mon esprit est rarement en paix. »