Certes je ne suis pas experte en polar, néanmoins je peux quand même dire que je n’en avais jamais lu d’aussi dense. Ta mort sera la mienne réunit énormément de qualités. Je trouve même compliqué de le catégoriser dans un genre littéraire, tant il est complet. J’irais même plus loin : je ne suis pas sûre que l’on puisse parler d’intrigue.
Le nœud du roman est tout de même de savoir ce qui relie les trois personnages principaux. Pour ma part, je l’ai deviné au milieu, alors que les indices deviennent de plus en plus nombreux, et que l’on voit se dessiner la scène finale où ils seront peut-être réunis. Mais le terme d’intrigue ne me convient pas, dans le sens où l’histoire des personnages principaux a dix fois plus de puissante, de densité et d’intérêt, que l’intrigue qui les rassemble. En tout cas c’est ainsi que j’ai perçu le livre.
« L’intrigue », donc, est très simple, et basée sur les points de vue des trois personnages principaux, dont on suppose dès le départ qu’ils ont un lien. Les chapitres portent leurs prénoms : Karen, Troy, Donald.
Karen est surveillante dans le cadre d’un séminaire littéraire, qui se déroule dans un motel. C’est alors qu’un homme habillé en motard surgit et sort un fusil à pompe de son sac. Il commence à tuer les étudiants un à un. Karen parvient à se cacher, tandis qu’une évidence s’impose à elle : le tueur est venu pour elle.
Chapitre suivant : on devine de suite que Troy est le tueur en question. La deuxième personne du singulier qu’emploie l’auteur choque au départ. Cela nous paraît très original et un peu gênant tout d’abord, puis on s’y habitue. Force est de considérer que oui, c’est la seule manière de montrer à quel point ce mec est barje. L’effet rendu est excellent.
Enfin, on fait la connaissance de Donald, un policier obèse appelé sur les lieux du massacre.
L’histoire se passe au présent, et c’est grâce aux très nombreux flashbacks que l’on en apprend davantage au sujet des personnages. Cela rend d’ailleurs le livre un peu trop dense au début, selon moi. Il m’est arrivé de revenir en arrière afin de me rappeler certaines choses. Est-ce que tout est indispensable à retenir, je ne pense pas. Néanmoins, ces passages sont absolument passionnants, le passé des personnages s’y trouve très détaillé, chaque élément nous semble important.
Le polar de Fabrice Colin prend le temps d’aborder plusieurs sujets de fond. Le plus évident, bien sûr : cette tuerie ignoble. Le lecteur se doute qu’il va au fur et à mesure en apprendre davantage sur Troy, et sur ce qui l’a poussé à un tel acte. On observe, lors des scènes qui se déroulent au présent, qu’il est meurtri de l’intérieur et ne ressent absolument plus rien. Et les flashbacks vont nous aider à le comprendre… Certaines scènes, j’en profite pour le préciser, sont quasiment insoutenables.
Nous voilà au deuxième sujet abordé : celui des sectes. C’est au « Refuge » que Troy a grandi. On ne comprend pas trop au départ de quoi il s’agit. Quel est cet endroit ignoble et malsain ? L’auteur décrit en premier lieu les choses qui sont infligées au jeune garçon (emprisonnement, privation, viol… âmes sensibles s’abstenir), mais on ne sait pas où ni avec qui il est exactement. On le devine au fur et à mesure de l’histoire, où les références à l’endroit sont de plus en plus claires. Ces flashbacks terribles apparaissent alors que Troy traverse le pays en direction du motel. Pourquoi ce jour-là précisément ? Comment sait-il que Karen s’y trouve, et qu’est-elle pour lui ?
On trouve aussi abordés des thèmes un peu plus secondaires. Comme le drame qu’a vécu Donald au début de sa carrière de policier : perdre son collègue lors d’une intervention, alors qu’il était censé le couvrir… Cet événement qui a malheureusement changé sa vie, continue de le hanter, inlassablement. L’hôpital qui accueille Donald après l’accident va soigner ses blessures physiques, mais les morales vont rester.
Le polar se déroule en Utah (pour les scènes au présent) et certaines scènes se passent aux alentours de Miami. Je trouve le choix de Miami très bon : ville toujours ensoleillée et colorée, qui va être l’un des lieux de l’illustration de la dégringolade du rêve américain. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Fabrice Colin, par l’intermédiaire de cette histoire, veut nous montrer l’un des côtés les plus sombres de cette désillusion progressive. L’injustice, la colère, l’incompréhension, la dépression, la perte de ses repères…
Les personnages sont tous les trois à côté de leurs pompes, chacun à leur manière. Karen qui à l’époque s’est perdue dans diverses croyances douteuses, et n’envisage pas de mener son existence autrement que guidée par d’autres. Troy qui est détruit de l’intérieur, totalement aliéné, et n’a jamais été la personne qu’il aurait dû/pu être sans cette horrible enfance. Donald, incapable de faire le moindre choix depuis le drame, et qui fait une fixation sur l’esprit des Navajos. Il aurait aimé en être un. Il aurait aimé être fort moralement, mais il ne peut plus, il a trop peur.
Il y aurait beaucoup encore à dire sur ce livre que j’ai littéralement dévoré. Il est dur, il est dense, il est pessimiste et violent, mais il est mené d’une main de maître, les histoires des personnages sont absolument passionnantes. L’auteur nous accompagne jusqu’à ce que l’on comprenne le nœud de l’intrigue, et nous permet par la suite d’envisager l’histoire d’une manière tout à fait différente sur toute la seconde moitié.
Une manière très brutale et excessive de parler de la fin du rêve américain, et surtout de la désillusion ambiante, mais cela donne un très bon bouquin ma foi.
Fabrice Colin met son talent au service de nombreux genres littéraires : romans pour adultes, livres pour la jeunesse, littérature de l’imaginaire, et même bandes-dessinées. Quatre fois lauréat du Grand prix de l’Imaginaire, Ta mort sera le mienne est son deuxième polar publié chez Sonatine Editions.
Le chouette blog de l’auteur, où il nous raconte même ses voyages et tout : http://fabrice-colin.over-blog.com/