June a eu la chance d’interviewer Nathalie Stragier, l’auteure de Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous et Ne retournez jamais chez une fille du passé, déjà critiqués sur les Petits Livres par ici.
Bonjour Nathalie Stragier, c’est un honneur et un plaisir que de te recevoir pour ce second numéro de la nouvelle formule du Have You Met. Auteur et scénariste, quelle invitée de choix ! Je suis curieuse d’en savoir plus. Peux-tu nous raconter ton parcours ?
Bonjour June. Je te remercie de me mettre à l’honneur sur ton blog ! Mon parcours, alors… J’ai grandi dans le Nord, à Tourcoing, loin du monde du cinéma ou de l’édition. Quand j’étais collégienne, j’ai eu l’intention extravagante de devenir écrivaine, mais j’ai vite chassé de ma tête cette idée aussi invraisemblable que prétentieuse. Je préparais mon bac L quand il m’est venu l’idée à peine moins fantasque de faire du cinéma. J’ignore par quel miracle mes parents n’ont pas cherché à m’en dissuader, mais je les en remercie. Le bac en poche, j’ai passé deux ans à Nantes, dans la prépa Ciné Sup du lycée Guist’hau. J’ai ensuite intégré la Fémis, département scénario (l’écriture tout de même, tiens, tiens), et à la fin de mes études, j’ai immédiatement commencé à travailler comme scénariste pour la télé, sur des téléfilms ou des séries.
Parmi mes lecteurs, je pense que peu connaissent la FEMIS, peux-tu la présenter et nous raconter ton passage là-bas, comment tu as vécu ta formation ?
La Fémis est située à Paris, et forme aux différents métiers du cinéma. Il s’agit d’une école publique qui recrute à bac + 2, sur concours. Etudier à la Fémis est une grande chance. Cette école dispose de moyens à la hauteur de sa réputation, et permet à des jeunes n’ayant aucun contact dans ce milieu, d’apprendre un métier passionnant. Ce sont trois années fabuleuses. Pendant la première, chacun s’essaie aux différents postes, de l’écriture au montage, en passant par le tournage. Puis, les étudiants se spécialisent dans le domaine choisi. Dans mon cas, le scénario. Pendant deux ans, les futurs scénaristes (cinq seulement par promo) écrivent et font lire leurs textes, quotidiennement. Une excellente façon d’apprendre à structurer une histoire, à développer des personnages, mais aussi à écouter l’avis des autres, et à retravailler, encore et encore. La première version n’est jamais la bonne !
Outre les romans Young Adult avec la saga de Pénélope, la fille du futur, tu écris aussi des histoires pour enfants, pour les revues J’aime Lire ou Je bouquine. Depuis combien de temps fais-tu cela et comment t’est venue cette envie ?
Mon premier texte pour J’aime lire est paru en 2011. A cette époque-là, je vivais en Finlande, et par la force des choses, j’avais pris un peu de distance avec le monde de la télé. J’en ai profité pour essayer une autre forme d’écriture qui me tentait depuis peu… Ayant tendance à manquer de confiance en moi, j’ai commencé par un texte court, que j’ai envoyé par la poste à Bayard presse, en croisant les doigts. Ça a marché, j’ai recommencé, puis écrit d’autres histoires, pour Je Bouquine cette fois… Et comme personne ne s’est levé pour me pointer du doigt en criant à l’imposture, j’ai pris une année pour écrire le tome 1 de la Fille du Futur, qui est parti par la poste, comme les autres…
Quelle lectrice étais-tu étant plus jeune et est-ce que cela a joué sur ta vocation professionnelle ?
J’adorais les bibliothèques ! Tous ces livres à portée de main, offerts en nombre quasiment illimité ! Je lisais donc beaucoup, et de tout, souvent plusieurs bouquins à la fois, passant de l’un à l’autre dans la même journée. Je fais d’ailleurs toujours cela. Mais à l’époque, ce monde de l’écriture me semblait encore inaccessible…
Scénariste et auteur, deux métiers qui racontent des histoires de façons différentes. Qu’est ce qui te motive à porter ces deux casquettes ?
Beaucoup de points communs entre ces deux métiers : il s’agit toujours de raconter une histoire, en effet. Mais en pratique, cela se fait de façon assez différente. Les scénaristes travaillent souvent à deux, avec le réalisateur par exemple, ou même en atelier d’écriture, pour les séries en particulier. Le producteur et le diffuseur (la chaîne) interviennent également beaucoup. Les sommes en jeu sont importantes, et cela prive parfois les auteurs de liberté. Mais quand on réussit à contourner ces difficultés, le résultat est grisant. L’écriture de romans est plus solitaire, ce qui ne me déplaît pas. Par ailleurs, les contraintes sont moins fortes, dans la mesure où imprimer un livre coûte beaucoup moins cher que de tourner un film. L’auteur est donc plus libre. Il est davantage respecté par l’éditeur. C’est aussi très sympa de circuler dans les salons et de rencontrer les lecteurs. En revanche, on est beaucoup moins bien payé ! A l’arrivée, les deux fonctions se complètent assez bien.
L’écriture de scénario est un exercice assez spécifique, est-ce difficile de passer de cette écriture là à celle d’un roman Young Adult ou d’une histoire pour enfants ? Comment as-tu réussi à passer de l’un à l’autre ? Est-ce que le fait de savoir rédiger un scénario t’a aidée à structurer tes idées ?
Etre scénariste, c’est pour moi avoir plusieurs points forts : le capacité à structurer l’histoire, en effet, et le souci constant de garder un récit rythmé. Sans doute ai-je aussi fait la part belle aux dialogues, par déformation professionnelle à nouveau. En revanche, j’étais parfois un peu embarrassée pour les descriptions. Dans un scénario, elles sont quasiment inexistantes, et quand leur présence s’impose, elles sont brèves et efficaces, comme un document technique pour le tournage. J’ai parfois dû me pousser un peu pour que la trilogie ne soit pas trop sèche de ce point de vue là. Je crois d’ailleurs que le tome 1 comporte peu de descriptions. C’est différent dans le tome 3, puisque nous y découvrons enfin l’époque de Pénélope, et que cela vaut bien quelques informations plus détaillées. Mais globalement, écrire sous forme littéraire a été un grand plaisir.
Dans les romans de Ne revenez pas jamais, tu imagines le monde du futur de Pénélope comme une société de femmes uniquement et le regard décalé de cette héroïne nous fait réfléchir. Comment t’est venue cette idée ? Et est-ce une façon pour de souligner par contraste les inégalités hommes-femmes de notre époque ? D’apporter une réflexion ?
J’aime beaucoup raconter des histoires qui se passent ici et maintenant, mais en décalant juste un élément, qui change alors le regard que nous portons sur notre monde. Oui, bien-sûr, inventer le personnage de Pénélope, qui n’a jamais vu d’homme de sa vie, est un puissant procédé pour questionner notre société un chouïa patriarcale. En me mettant dans la peau de Pénélope, je ne pouvais que m’étonner de tous ces petits détails qui font notre vie quotidienne. Et plus j’avançais dans mon travail, plus je constatais à quel point l’égalité n’est pas acquise. Nous sommes tellement habitués aux attentes que la société porte sur chacun de nous, selon que l’on soit fille ou garçon… L’humour est une arme redoutable pour pointer ces travers et dysfonctionnements.
Dans le monde du cinéma anglo-saxon, il y a un certain remous ces dernières années concernant le manque de place et d’initiative laissé aux femmes réalisatrices ou actrices. Est-ce que quelque chose que tu as pu constater également en France ? Le fait d’être une femme a-t-il des répercussions quand on travaille dans le monde du cinéma français ou européen ?
La SACD publie chaque année un rapport sur cette inégalité entre hommes et femmes. En 2016-17, le titre en était « Où sont les femmes ? Toujours pas là ! » Les chiffres le confirment. A la télé, 30% seulement des œuvres de fiction sont écrites par des femmes. Comme dans de nombreux secteurs, les femmes peinent à se faire une place. Les préjugés de genre s’érodent, mais résistent encore.
Le troisième tome des aventures de Pénélope et Andréa sort bientôt. Comment s’est passé cette nouvelle session d’écriture ? Savais-tu déjà, à la fin du tome 2, ce que tu leur réserverais pour la suite ?
Quand je pars sur une écriture, je structure toujours l’ensemble de l’histoire. J’aime savoir où je vais, car à mon sens, le récit doit tendre dans une seule et même direction, tout le temps (ce qui est plus facile à dire qu’à faire !). J’avais donc en tête, depuis le début, la structure globale de la trilogie. Elle se précisait au fur et à mesure. Quand j’écrivais les tomes 1 et 2, je prenais des notes pour la suite. Les idées s’échappent parfois, il faut les poser sur le papier sans attendre !
Des projets en cours que tu peux évoquer ? Des envies ?
Plusieurs ! Il va falloir choisir…
Qu’est-ce-qui te motive à te lever le matin ? Qui te donne la pêche ?
J’aime les débuts de projets, les nouvelles histoires à construire… Ensuite, quand on a les mains dans le cambouis et qu’on manque de recul, c’est plus difficile. Cette étape de l’écriture est parfois éprouvante. En ce moment, ce n’est pas le cas, j’entame donc chaque journée avec plaisir et sans angoisse ! C’est la période où tout est possible…
Un dernier mot pour la fin : ton conseil pour un jeune auteur ou scénariste qui voudrait se lancer ?
Travailler. Travailler plus. Travailler encore. Puis ne pas se décourager.