Doctor Who (Disney+) : la parenthèse de la nostalgie
La rumeur bruisse outre-Manche : Doctor Who ne continuerait pas sur Disney + pour ses prochaines saisons. Faute de rentrer dans ses frais, la maison-mère de Mickey renverrait le (gros) bébé à la BBC pour la suite des aventures d’un ou une Docteur dont l’identité reste à définir. Une belle métaphore des tâtonnements actuels de la série. Mais comme chaque Whovian le sait : tout est lié
ATTENTION, SPOILERS SUR LA FIN DE LA SAISON 2025 !!!
Cela fait plus d’un mois que Ncuti Gatwa s’est régénéré en Billie Piper et on ne sait toujours pas comment on doit gérer la nouvelle. Et pour cause : Billie Piper n’est pas le 16e Docteur, ou en tout cas pas officiellement.
Dans le générique de fin, elle n’est pas créditée comme étant Le Docteur et l’actrice comme le showrunner Russell T Davies ont volontairement laissé planer le doute, renvoyant les spectateurs aux futurs épisodes en cours de préparation. Certains journaux indiquent qu’il faudra attendre début 2027 pour la diffusion, diffusion qui n’aura donc pas lieu sur Disney +. Ça fait long, assez long pour partir dans nombre de théories. Mais avant d’essayer de deviner ce que va faire Russell T Davies (RTD), il est bon de se poser un peu pour comprendre ce qu’il a fait depuis son retour.
Une première saison (trop) gentille
C’est peu dire que le come-back de RTD a été bien accueilli par les fans, qui s’ils ont apprécié le Docteur Jodie Whittaker, ont nettement moins apprécié l’enrobage scénaristique proposé par Chris Chibnall, jugé beaucoup trop neutre, fade et finalement assez oubliable. Voir revenir Davies, l’homme qui a ressuscité Doctor Who en 2005, qui a amené l’un des Docteurs les plus adulés de l’histoire de la série (David Tennant), l’homme de Doomsday, Midnight ou encore The End of Time, c’était l’assurance de voir Doctor Who retrouver sa gloire. RTD débarque dans les mêmes conditions : lancer une nouvelle rupture dans la continuité, une saison 1 non-excluante des 39 précédentes, avec un nouveau Docteur. Dans le même temps, la BBC signe un accord avec Disney +, permettant à la série de bénéficier d’une exposition internationale encore plus forte et de moyens en hausse.
En un mot : une corne d’abondance et de confiance. Ça a pourtant plutôt bien commencé. En choisissant, dans trois épisodes spéciaux de transition, de ramener David Tennant, mais dans un nouveau rôle de Quatorzième Docteur, en installant la bi-génération comme alternative à la régénération, Davies faisait les choses dans l’ordre, soldant l’héritage et le rangeant au rayon archives. Ncuti Gatwa et Millie Gibson pouvaient commencer leur voyage.
Une première saison somme toute sympathique, légère… trop, quand on connaît Davies : avec Doctor Who, It’s a Sin ou Years and Years, il a montré sa grande capacité à ausculter ce qui fait bouger une époque, une société. Il sait aussi mettre en scène la mélancolie, la souffrance, les ténèbres qui peuvent se cacher derrière la légèreté. Dans cette saison 1 new look de 8 petits épisodes, on fait connaissance avec ce Quinzième Docteur extrêmement péchu et survitaminé, mais pas brillant comme l’étaient Matt Smith ou David Tennant.
Cela d’autant que son temps d’antenne est réduit sur deux épisodes (73 Yards et Dot and Bubble) puisque Ncuti Gatwa filmait aussi Sex Education. Et paradoxalement… ce sont peut-être les deux meilleurs de la saison. 73 yards met une compagne dans la peau du Docteur, en expérimentant cette vie faite d’effets papillons et le poids à porter une fois qu’on écrase un papillon. Dot and Bubble est un réquisitoire acharné et mordant contre la déconnexion et l’isolement dans lequel nous plongent les réseaux sociaux.
Ça ne veut pas dire que Ncuti Gatwa est mauvais, au contraire, il irradie l’écran quand il apparaît et il est éminemment sympathique. Simplement, même s’il bouge beaucoup, il subit aussi beaucoup : quasi absent pendant deux épisodes, impuissant face aux jeunes qui l’ignorent dans Dot and Bubble, il l’est aussi avant que Rogue, personnage sorti de l’épisode du même nom, sorte de simili-Jack Harkness, se sacrifie par amour pour lui ; avant que les Beatles ne le sauvent de Maestro (The Devil’s Chord), un ennemi surpuissant largement teasé pour une apparition finalement assez oubliable ; ou que des soldats lui permettent de ne pas se faire vaporiser par une mine (BOOM). Il croit aussi voir une réincarnation de sa petite fille Susan Foreman (la toute première compagne, aux côtés du Premier Docteur William Hartnell) pour s’apercevoir que… pas du tout, elle s’appelle juste Susan.
In fine, le seul moment où le Quinzième Docteur a le contrôle, c’est dans le dernier double-épisode (The Legend of Ruby Sunday/Empire of Death) où il… tue Sutekh (le grand et gros méchant qui tirait les ficelles depuis une saison – oui le Docteur tue) et invente un TARDIS à partir des souvenirs de Ruby (ah la magie de Disney !), tout ça pour retomber sur ses pattes en chancelant avec l’idée que la mère de Ruby est en fait quelqu’un d’ordinaire, qu’on a toujours cru que c’était quelqu’un de dingue alors qu’en fait PAS DU TOUT, mais l’attente génère l’excitation et donc ça a fait rappliquer les pires vauriens de la galaxie. Pauvre Ruby, compagne intéressante au demeurant, mais qui en aura bavé cette saison pour finalement… assez peu. On a là quelques éléments annonciateurs des futurs atermoiements.
Une deuxième saison brinquebalante
Après un épisode de Noël (Joy to the World) sympathique mais mémorable uniquement pour le personnage d’Anita, c’est le début d’une seconde saison de 8 épisodes avec une nouvelle compagne, Belinda Chandra. L’actrice avait déjà joué le rôle de Mundy Flynn, l’un des personnages principaux de l’épisode BOOM dans la saison précédente. Il est révélé que Belinda et Mundy ont un lien de descendance qui intrigue le Docteur, mais comme Belinda veut rentrer chez elle après sa rencontre après le Docteur… on n’en saura jamais rien.
Première frustration d’une longue série pour cette compagne attachante, qui rappelle Martha Jones, lui ressemble un peu dans le caractère, mais… n’a pas son aura ni son poids. Belinda aime le voyage mais ne pense qu’à rentrer chez elle et donc n’a qu’une influence très marginale sur le Docteur et ses aventures : quand elle n’est pas faite prisonnière (Wish World, The Reality War, The Robot Revolution), elle subit les événements (The Well). Elle souffre de la comparaison avec toutes les autres compagnes, et notamment avec Ruby, dont le poids dans la saison passée a été déterminant. Et ce n’est pas la fin de son voyage, qui la voit enfin rentrer pour s’occuper de sa fille créée de toutes pièces, dans un nouveau grand moment de “ta gueule c’est magique” qui lui donne de l’épaisseur : ce n’est qu’un dommage collatéral de plus dans son passage finalement anecdotique.
La saison en elle-même n’est pas anecdotique : aucune des saisons de Doctor Who ne l’est, parce que chacune, avec plus ou moins de poids, ajoute sa pierre au vaste édifice spatio-temporel qu’est la série. Le souci, avec cette saison, c’est qu’elle sent bon le réchauffé Daviesien. Par exemple le retour sur Midnight, la planète visitée par le Dixième Docteur, où se cache une créature invisible et mortelle. La différence, c’est qu’on y revient à une époque où la planète ne s’appelle plus Midnight et où la créature ne fait plus de l’imitation mais oblige les gens à s’entretuer en les rendant paranos. Pourquoi ce changement ? Nul ne sait. Le double épisode final, lui, utilise des recettes déjà éprouvées : comme Harold Saxon, la Rani a réussi à prendre le contrôle du monde de manière orwellienne ; comme pour Saxon, le Docteur, prisonnier de l’une de ses nemesis Seigneur du Temps, s’échappe et sauve la mise. On a évoqué la Rani, ou plutôt les Rani, puisqu’il s’agit de l’identité secrète de Mrs Flood, laquelle se bi-génère et laisse place à une alter ego plus autoritaire.
Mais parlons-en : cette Dame du Temps renégate est un méchant culte de l’univers de Doctor Who, vestige de son époque plus kitsch, et si ses épisodes sont mémorables, ce n’est pas pour la qualité de ses scripts. C’est d’ailleurs seulement sa 3e apparition dans la série (après 1985 et 1987) et elle ne fera pas exception : Archie Penjabi singe, dans l’attitude et jusqu’à la coiffure, Kate O’Mara, l’interprète originelle, surjouant la méchante dans un pas de deux avec la plus effacée Mrs Flood, ce qui est drôle au début mais pas très sérieux, surtout quand elle disparaît bêtement, avalée par Omega, un Seigneur du temps ancien et supposé surpuissant qu’elle a voulu réveiller. Un être omnipotent, déjà apparu lui aussi dans la série (1972-1973), mais qui là ressemble à un chien de l’enfer qu’il suffit de repousser façon Ghostbusters pour le calmer. Pour le fanservice, pas de souci, pour la cohérence, le spectacle et le propos… on repassera.
Il y a quand même des idées originales et bien senties dans cette saison. D’abord parce que Davies, connu de longue date pour ses engagements en faveur de la communauté LGBT, pousse le curseur d’une série qui n’a jamais fait de cas de genre, de race, d’origine, et qui prône le multiculturalisme. Au risque de se faire taxer de woke et de social justice warrior, des mots qui n’effraient que ceux qui les emploient : Doctor Who est une série progressiste et l’assume depuis toujours, ce qui dans le monde actuel fait un bien fou. Et puis Doctor Who opère un virage encore jamais vraiment vu : réfléchir sur elle-même. The Story and the Engine, avec ce salon de barbier transformé en vaisseau qui fonctionne aux histoires extraordinaires.
L’épisode Lux, avec un personnage de dessin animé qui se trouve être un dieu maléfique avide de lumière, est le premier où Doctor Who se moque franchement d’elle-même tout en rendant hommage aux fans, en envoyant le Docteur et Belinda dans une dimension où ils sont les personnages d’une série télé. Et puis il y a Conrad Clark. Dans la veine de Dot and Bubble, Davies continue d’explorer la société d’aujourd’hui, celle des réseaux sociaux, où fake news et désinformation font rage, sans garde-fous, et peuvent très vite devenir virales. En l’occurrence, Conrad piège Ruby pour expliquer au monde que UNIT et le Docteur sont d’immenses fraudes mettant en scène des invasions extraterrestres à grand renfort d’acteurs et d’effets spéciaux, alors que ça n’existe pas, et que donc le gouvernement britannique jette de l’argent par les fenêtres. Un piège dont s’extirpent nos personnages préférés mais qui donnent des idées ensuite aux pires ennemis du Docteur puisque Conrad se transforme en bras armé d’un régime orwellien administré par la Rani. Retournement de situation : au-delà des menaces interstellaires et interplanétaires, les dangers pour le Docteur viennent aussi de sa planète Terre chérie et de ses évolutions… ou plutôt, en l’occurrence, de ses régressions et de son repli sur soi. Le germe du doute a été planté chez les humains, qui jusqu’ici ne lui avaient jamais mis de bâtons dans les roues. Est-ce que les idées de Conrad survivront, malgré son destin à la fin de cette saison ?
Nostalgie et incohérence
Il est permis d’espérer, précisément parce que ça ne se ferait pas avec Disney +. Le défaut, c’est que Doctor Who va perdre des moyens. Mais la BBC a toujours proposé une série ambitieuse, et si cela veut dire retrouver une certaine indépendance, pas de problème. L’impression qui persiste, à la fin de cette deuxième saison, ce n’est pas que Russell T Davies ait perdu la main. De la créativité peut-être, mais il sait toujours y faire. Non, on dirait surtout qu’il répond à un cahier des charges impossible : faire une nouvelle saison 1, en archivant le reste sans l’oublier (raison pour laquelle les autres Docteurs ne sont pas sollicités – seule Jodie Whittaker fait un caméo plus symbolique qu’autre chose dans le dernier épisode) ; continuer à plaire aux téléspectateurs habitués ; plaire à une nouvelle audience, et notamment américaine ; le tout en 8 épisodes au lieu de 12 ou 13. Et pour tenir tout ça, eh bien il faut reprendre les mêmes recettes… avec un peu de poudre de fée. Car il y a sûrement eu, aussi, une légère poussée dans le dos de Disney, qui après avoir saboté Star Wars en jouant à fond la carte de la nostalgie, a visiblement eu la tentation de faire pareil avec Doctor Who.
Et puis comment expliquer cette volonté soudaine de faire réapparaître Susan Foreman, la petite-fille du Docteur, tout en laissant celui-ci dire que… les Seigneurs du Temps ne peuvent pas procréer ? Comment peut-il avoir une petite-fille (un fait a priori établi depuis le premier épisode en 1963) et derrière se dire infécond ? La seule raison, c’est pour enfin lever le mystère sur les capacités de Susan : en 1963, la mythologie autour de Doctor Who était naissante et bien qu’on comprenne qu’elle n’est pas humaine, la jeune femme n’est pas restée assez longtemps à l’écran (à peine deux saisons) pour qu’on connaisse l’étendue de ses capacités. Maintenant que la série a permis à Carol Ann Ford, l’interprète de Susan, de faire un caméo pour dire “retrouve moi”, il y aura peut-être une réponse un jour… En attendant, deux saisons à nous hurler “Susan” à la figure, c’est assez frustrant. Tout comme nous parler régulièrement de “Celui qui attend”, le “Patron” des différents méchants qui se succèdent. Teaser oui. Pendant deux saisons, c’est beaucoup.
Et puis bien sûr, il y a le cas Billie Piper. Pourquoi ? Comment ? Là encore, rendez-vous plus tard. Mais de quoi l’ex-Rose Tyler, est-elle le vrai visage ? D’une demande de Disney de retrouver un nouveau personnage familier pour rehausser artificiellement des audiences il est vrai faiblardes (de 3.5 millions de spectateurs pour l’épisode 1 à 2.2 millions pour le dernier épisode – qui était aussi diffusé en cinéma ce qui peut fausser les chiffres) ? Mais alors pourquoi Disney s’en va-t-il avant de connaître la fin de l’histoire ? Est-ce alors une simple volonté de Davies de surprendre et de continuer d’explorer la physiologie d’un Docteur ? Certes, on a déjà vu celui-ci prendre le visage d’un personnage qu’il a déjà croisé (Sixième et Douzième Docteur). Mais il va falloir une explication bien solide, sachant que Rose Tyler est officiellement dans une autre dimension depuis 15 ans.
Il ne faut pas exclure non plus des pressions de la BBC, qui depuis quelques années laisse toujours planer un doute sur le futur d’un de ses atouts majeurs. Ncuti Gatwa peut peut-être donner une clé de compréhension : là où la plupart des titulaires du rôle du Docteur durent trois ans, il ne sera resté que deux, malgré sa popularité. L’acteur, qui ne se ménage pas, se dit éreinté par le rôle (argument également avancé par la plupart de ses prédécesseurs), lui qui a en parallèle un peu tourné Sex Education pendant la saison 4. L’explication est plus que plausible, même si elle est légèrement assombrie par ces reshoots, intervenus en février, à deux mois de la diffusion et qui concernaient le final de la saison… Cela conduirait à penser que Gatwa ne serait pas parti de son plein gré, ou, en tout cas, que ce que nous avons vu n’était pas le plan A. Quoiqu’il en soit, vu les faibles audiences télé, ça n’a donc pas suffi à Disney… mais à ce stade où tout le monde se retranche derrière une communication officielle, on n’en saura pas beaucoup plus. S’il y a une autre vérité, elle éclatera plus tard.
Disney +, tout ça pour ça ?
A ce stade, vous pensez peut-être que ce long article s’égare. Vous n’auriez pas tout à fait tort. Mais il faut dire qu’après avoir décortiqué ce début d’ère Davies II, il reste plus de questions que de réponses : beaucoup de teasing, déployé avec force moyens, et pour l’instant pas grand-chose. Ruby est installée comme une jeune femme mystérieuse alors qu’en fait elle ne l’est pas tant que ça. Belinda, on l’a dit, ne restera pas dans les mémoires. Susan Foreman passe de manière énigmatique. Ncuti Gatwa part alors qu’il atteignait sa vitesse de croisière. Que pèsent les quelques idées bien senties sur la société par rapport aux questions laissées sans réponses sur le Docteur et son univers ? En un mot : que veut nous dire RTD ? Il y a un sentiment, sinon de gâchis, du moins de frustration, de manque, alors que la série va devoir digérer un nouveau tournant, avec le risque que l’ère Gatwa soit finalement, en termes d’importance, pire que l’ère Whittaker : une simple parenthèse, écourtée par le manque d’audiences.
C’est un peu pareil pour Disney +. Cette deuxième incursion américaine dans l’institution SF britannique n’est pas aussi honteuse que la première, il y a près de trente ans, quand fut réalisé le téléfilm Le Seigneur du Temps, insulte télévisuelle malheureusement passée à la postérité. La firme de Mickey n’a visiblement pas été aussi intrusive que la Fox et Universal à l’époque. Mais suffisamment pour mettre Davies sous pression et finalement, telle la bonne maison de production américaine qu’elle est, se retirer au plus vite dès que ça ne colle pas bien niveau chiffres. Tout ça pour ça… Et si “Celui qui attend”, le grand vilain, c’était Disney ? Il faudra alors l’appeler Celui qui est parti.