ONE PIECE RED : Trop de chansonnette tue le Shonen (Spoilers)
One Piece : Red (ワンピース フィルム レッド) est le quinzième long-métrage de la franchise du pirate au chapeau de paille, sorti le 6 août 2022. Remportant un franc succès, il arrive déjà derrière le long métrage « Demon Slayer : Le Train de l’Infini » en termes d’entrées au Japon. Ce film est-il à la hauteur de ce succès ? SmallThings est allé le voir au Grand Rex.
Attention, cette critique contient beaucoup de spoilers, y compris sur la fin du film.
Luffy et son équipage se rendent sur l’île d’Elégie pour assister à un concert de la chanteuse « Uta », celle dont la voix devra changer le monde. Ce n’est pas par hasard qu’elle s’appelle Uta, ce mot signifiant « chanson » en japonais. Luffy est heureux de la retrouver, car elle n’est autre que la fille de Shanks lui-même. Ils se sont même connus durant l’enfance. Cela s’inscrit déjà difficilement dans le lore de One Piece, car jamais elle n’est mentionnée dans le manga principal… Mais sa disparition est mieux justifiée par la suite, on y reviendra.
L’histoire de One Piece Red, qui se voulait être un simple shonen à la base, a tendance à se perdre en chemin. Uta est finalement complètement « yandere » (un type de fille très violente dans les mangas qui veut tout contrôler, y compris les gens qu’elle aime) et décide de capturer tout l’équipage de Luffy. Elle en fait de même avec son public, afin que plus jamais ils ne soient malheureux. Elle veut créer une nouvelle ère, débarrassée des pirates : et elle reproche à Luffy d’en être un, justement. Ce qu’elle refuse de voir, c’est que Luffy n’est pas un pirate comme les autres, avide de pillages et de violences : c’est lui qui va restaurer la paix et instaurer une nouvelle ère. Mais Uta n’écoute jamais rien, ce qui est assez frustrant.
C’est là tout le problème de One Piece Red : où est passé l’esprit shonen ? Où sont les combats, les stratégies, les amitiés fortes, l’esprit chevaleresque ? Tout ce que nous voyons, c’est une gamine hystérique qui traite tous ceux qui l’entourent comme ses jouets, quitte à les casser, « tout ça parce qu’elle se sent seule, la pauvre, tu comprends, c’est pour ça qu’elle veut maintenir prisonnier tout le monde ». Mouais. Je n’ai pas du tout adhérer à ce délire-là, de même que le public dans la salle du Grand Rex. Beaucoup de gens étaient déconcertés de cette direction que prenait l’histoire. Certes, il faut des antagonistes, mais on ne s’attendait pas à ce que le principal opposant soit Uta, ce qui est déjà une grosse déception…
Le scénario part beaucoup trop loin dans le WTF
Okay, Uta a maintenu tout le monde prisonnier avec les pouvoirs de sa voix. Elle a certainement mangé un fruit-démon, ce qui expliquerait pourquoi elle est aussi puissante. Sauf qu’on apprend… que rien de tout ça n’est arrivé. Les concerts multicolores, les effets spéciaux, les pouvoirs d’Uta… tout cela est faux. Dans la réalité, elle chante toute seule sur une île abandonnée, avec un public profondément endormi. Telle la seule fée éveillée dans la Belle au Bois Dormant, elle contrôle les rêves des spectateurs et les maintient dans un monde illusoire où tout est rose bonbon, là où le malheur ne peut pas exister. Un peu comme dans Matrix, l’équipage au chapeau de paille devra trouver un moyen de fuir le monde virtuel. Et ça continue de partir en sucette quand Uta s’énerve toujours plus comme une gamine et décide de transformer tout le monde en nounours pour mieux les contrôler. D’accord… Je persiste à penser que ce n’était pas une bonne idée. Heureusement, nos héros ne restent pas là à ne rien faire : Robin part étudier dans des ruines pour en savoir plus sur cette île mystérieuse. On apprend qu’Uta, dans sa colère, pourrait réveiller ‘Tot Musica », un démon de la musique capable de tout détruire… mais aussi créer une échappatoire à ce monde virtuel.
Shanks sauve le scénario
Dans la réalité, nos héros ne peuvent rien faire car ils sont endormis. Uta a carrément décider de se suicider en refusant de dormir, et quand elle mourra, plus personne ne pourra se réveiller. La Marine intervient, sans trop de succès, mais heureusement, Shanks est là pour ramener sa fille à la raison ! Et c’est un soulagement car c’est bien après plus d’une heure de chansons assommantes et de gamineries frustrantes que papa Shanks est enfin là ! Vous croyez que la présence de Shanks va calmer sa fille ? Nooooonnnnnn ! Elle est encore plus furieuse d’avoir été abandonnée jadis et elle veut invoquer Tot Musica ! (Facepalm)
Et c’est là, que OUF le scénario de One Piece Red se reprend un peu. Brandon, celui qui a recueilli Uta sur l’île étant petite, lui raconte tout. Shanks l’avait amenée sur l’île d’Elegie il y a plus de dix ans pour l’amener dans une académie de musique, au vu de son talent manifeste. Mais elle avait invoqué Tot Musica une première fois par accident. Le démon s’étant réveillé, c’est lui qui a détruit toute l’île. Shanks et Brandon s’étaient mis d’accord pour que ce soit Shanks qui endosse toute la culpabilité sur lui en s’enfuyant avec son équipage, faisant croire au monde entier que l’île avait été ravagée par sa faute. A cause des pirates. Ce fut un beau moment, car enfin, l’esprit du shonen était revenu dans le film : Shanks, le mentor de Luffy, a fait preuve d’un esprit chevaleresque en épargnant sa fille de l’opprobre. C’est une idée très bonne, et on comprend mieux la solitude et le désarroi d’Uta.
Mais Uta réagit ainsi, ce qui nous a tous excédés : « Je savais déjà tout ça ! Mais je veux tout détruire quand même ! »… Pourquoi… Juste pourquoi ? Là, c’est juste de la pure hystérie à ce stade. Rien n’est logique : elle en veut toujours aux pirates alors que rien n’est de leur faute ! Elle veut juste rester dans son autodestruction, quitte à emporter le plus de monde possible avec elle. Alors c’est vrai qu’elle se drogue aux champignons « insomnites » pour ne pas dormir et qu’ils ont pour effet de faire perdre la raison, mais là ça en devient juste ridicule. Le spectateur n’adhère plus du tout. Si le personnage avait été mieux écrit, avec plus de nuances et de profondeur, on aurait peut-être compris, mais là, ça ne prend pas.
Une critique des Idols au Japon ?
Ce long-métrage est d’autant plus déconcertant que One Piece ne veut pas faire du One Piece.
A la fin, quand « Tot Musica » est invoqué, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à « Sis Puella Madoka Magica », un animé en 12 épisodes sorti en 2011, qui montrait des magical girls qui, quand elles vont mal, se transforment en gigantesques monstres avec un univers bien à eux, les « sorcières ». « Tot Musica » m’évoque fortement une sorcière qui symbolise très bien la tristesse, la solitude et l’autodestruction d’Uta. Seulement, dans « Madoka », ces sorcières sont bien mieux écrites : une magical-girl ne devient pas une sorcière du jour au lendemain. C’est à la suite d’une longue descente aux enfers que cela survient, et chaque détail existe dans un but précis : la sorcière symbolise le mal-être de la magical girl, elle est à l’image de son désespoir. Les personnages principaux sont nuancés, et surtout, ils reconnaissent que c’est en partie de leur faute. A l’image de Sayaka, une jeune fille qui a accepté de devenir magical-girl pour sauver l’amour de sa vie, et qui sombre dans le dépit amoureux en voyant qu’il ne s’intéresse plus à elle.
Mais comme déjà dit, Uta n’est pas un personnage suffisamment bien écrit pour que le spectateur adhère à sa peine… Le film est trop long et en même temps rushé. Pire encore, elle n’est que la fille adoptive de Shanks (on s’en doutait un peu) et rien n’est expliqué sur ses origines. Qui sont ses vrais parents ? Pourquoi a-t-elle été abandonnée ? A quoi ressemble le fruit démon qu’elle a mangé ? Plus bizarre encore, on voit des flash-backs de son enfance où elle est entourée de paysannes affamées qui lui supplient de faire quelque chose contre les pirates. Qui sont ces personnes ? On ne sait rien de rien, on est laissés à des questions sans réponse.
Mais ce long-métrage a peut-être plus de signification qu’on ne le croit. Est-ce qu’il ne serait pas une critique de la folie des « Idols » au Japon ? Les Idols sont des jeunes chanteuses qui deviennent des stars, mais c’est beaucoup plus extrême : elles sont soumises à un emploi du temps chargé jusqu’à l’épuisement, elles n’ont pas le droit d’avoir de petit ami, et elles sont souvent suivies par des hordes d’otakus pour la plupart très extrêmes, les « hikikomoris » qui ne sortent que très peu de chez eux. Je caricature beaucoup, mais quand on voit Uta qui vend du rêve jusqu’à ce que son public échappe au monde réel, on peut se poser des questions. L’otaku est bercé d’illusions jusqu’à ce qu’il en oublie de vivre, et l’idol reste malheureuse car elle est seule et parfois harcelée par des fans indélicats. De plus, c’est assez frappant comme Uta se prend pour un dieu dans son propre monde d’illusions, et empêche toute liberté à son public. On ne peut s’empêcher de penser au gourou d’une secte, et il y a beaucoup de sectes très destructrices au Japon. Peut-être que ce long-métrage dénonçait les travers du Pays du Soleil Levant, mais hélas, il le fait moins bien que la fin d’Evangelion…
One Piece n’est plus One Piece
A la sortie du cinéma : quelle déception !
One Piece n’est plus One Piece : l’esprit shonen était largement mis de côté, tout ça pour montrer une idol pas mal hystérique sur les bords qui réclame juste un peu d’attention. C’est très frustrant et on est décontenancés : qu’est-ce que les scénaristes ont voulu faire ? Certes, on voit beaucoup de personnages intéressants, mais je n’ai jamais senti que Luffy était le héros de l’histoire, au profit d’une Uta fade et sans consistance. Il y a bien eu des scènes de combats à la fin contre Tot Musica (et heureusement, sinon il n’y aurait rien eu) mais c’était très peu comparé à ce qu’on a l’habitude de voir. Stampede était tellement mieux à côté ! De l’action dans tous les sens, Luffy qui part à la chasse aux trésors… C’est ça qu’on veut voir ! Là, il y avait TROP de chansons, ça en devenait insupportable. Il y a bien eu 3 chansons en trop, dont la dernière. Uta est sauvée, mais là, elle chante encore ! Tout le public a réagi en étant excédé. Et il y avait de quoi. L’ensemble donne l’impression d’une coquille vide sans saveur, le tout avec beaucoup de déceptions.
Et dernière chose inquiétante, c’est les débordements dans les salles de cinéma, à l’image de ce qu’il y a eu à Marseille. Cela renvoie à une mauvaise image des fans de manga en France, et ce n’est pas une bonne nouvelle. En attendant, replongeons-nous plutôt dans le manga qui touche à sa fin, et qui est bien mieux que ce film accident.