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Doctor Who (1963-1996) – Paul McGann, Le Huitième Docteur

En 1996, la série est arrêtée depuis sept ans, et pour la relancer, les Britanniques s’allient aux Américains, histoire de ressusciter un produit phare et de lui offrir une seconde jeunesse à l’international. Ce fut leur première erreur…

Le premier Doctor William Hartnell

Le second Doctor – Patrick Troughton

Le troisième Doctor – John Pertwee

Le quatrième Doctor – Tom Baker

Le cinquième Doctor – Peter Davison

Le sixième Doctor – Colin Baker

Le septième Doctor – Sylvester McCoy

 

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Le film Doctor Who (« Le Seigneur du Temps » en VF) avec Paul McGann

Sylvester McCoy revient jouer le Septième Docteur pour passer le flambeau à son successeur. Paul McGann est choisi pour jouer le Huitième Docteur, ce qui ne plaît pas aux Américains, qui voulaient quelqu’un de plus célèbre. Il fut donc question de voir Sting, le chanteur de Police, tenir le rôle-titre. Si McGann, un Britannique, garde le rôle, c’est un Américain qui aura le rôle du Maître. Et avant qu’Eric Roberts n’obtienne le rôle, Christopher Lloyd, alias Doc Brown dans Retour vers le Futur, tenait la corde. On aurait donc pu avoir Sting face au Doc Brown dans ce film : ça fait sourire, mais ça montre bien que les considérations n’étaient pas seulement celles d’un revival d’une série mythique…

Ensuite, nombre de scénaristes et de producteurs s’attellent au script de ce téléfilm. Les idées sont toutes aussi farfelues les unes que les autres : le Maître et le Docteur se découvrent demi-frères, enfants d’un Seigneur du Temps disparu nommé Ulysse. Le Docteur serait alors parti à la recherche de son père, trouvant sa trace en Egypte, pendant que le Maître prendrait le contrôle du Conseil des Seigneurs du Temps. Les Daleks auraient pu aussi devenir des humanoïdes changeurs de forme, le Docteur aurait voyagé avec un extraterrestre et soldate américaine accompagnée d’un bouledogue, et le Maître aurait pu contrôler une armée de morts vivants. Au travers de tous ce « processus créatif » s’est impliqué Steven Spielberg, le roi du divertissement à l’américaine, avec sa société Amblin. Déjà, ça partait donc mal, puisque ce qui se dégage de ces premières idées, c’est que ceux qui travaillaient dessus n’avaient soit pas vu, soit pas compris la série.

Seule une idée demeure : donner une mère terrienne au Docteur, ce qui, à côté des idées susmentionnées, passe pour un trait de génie. C’est précisément ce prétexte scénaristique ne reposant sur aucun fondement qui sera à l’origine de nombre de mauvaises idées du film. Le film, justement. Dans une voix off cosmétique et fainéante, on apprend que le Maître a été exécuté pour ses crimes par les Daleks (pourquoi ? Comment les Daleks ont-ils survécu aux événements de Remembrance of the Daleks ?) et réduit en cendres. Il obtient une dernière volonté (de la part des Daleks ? Il y a de quoi douter) : être ramené sur Gallifrey par le Docteur, ce que celui-ci accepte, l’enfermant dans une boîte. Un contenant peu solide puisque le Maître, même réduit en cendres réussit à percer la boîte, et en sort sous forme… d’une liqueur baveuse (pardon ?) et fait crasher le TARDIS sur Terre (pardon ?), au milieu d’une fusillade dans le quartier chinois de San Francisco (on n’est plus à ça près). Et littéralement au milieu : le TARDIS se matérialise, ce qui protège un jeune Sino-Américain, Chang. La porte s’ouvre, le Docteur sort, et il prend trois balles dans le bras et la jambe. Par la suite, déboussolés par son système interne inhabituel, les médecins réussiront à… provoquer la mort du Docteur, malgré ses réveils et ses alertes sur ledit système interne. Il se régénère, mais est amnésique, et en plus, Chang (pour qui il a pris les balles, rappelons le) lui a volé ses affaires. Le Maître, lui, s’infiltre dans le corps d’un jeune ambulancier, lui conférant des yeux de serpent (histoire qu’on comprenne bien). Puisqu’il ne tiendra pas longtemps sous cette forme, il cherche à ouvrir l’Oeil de l’Harmonie, qui se trouve dans le TARDIS (pas juste de l’énergie, mais bien l’Oeil lui-même, celui qui normalement alimente Gallifrey toute entière…), et qui ne s’ouvre qu’avec un œil humain (parce que pourquoi pas, après tout) pour attirer le Docteur dans un piège et lui voler ses régénérations. Pour ouvrir l’oeil dans un premier temps, le Maître manipule Chang, parce que, dit-il, le TARDIS « l’aime bien ». Le TARDIS qui l’a vu voler les affaires du Docteur ?

On ne vous a donné que le début du scénario du film, et pourtant, on peut déjà voir que les scénaristes n’ont rien compris à leur matériau original. En s’associant avec les Américains, les Britanniques ont décidé de se renier pour privilégier une marque. Les Américains ont souvent lorgné sur la possibilité d’avoir un Doctor Who à l’américaine, ou en tout cas de profiter de son aura pour ses propres intérêts, et avec cette production, ils ont eu les deux à la fois. La BBC a accepté de laisser de côté l’identité d’une de ses institutions, vieille, alors, de 33 ans. Ce n’était pas vraiment une production Doctor Who qui a été mise en marche, mais une sorte de produit d’appel pour une marque souhaitant s’exporter. Ca ne pouvait donc pas marcher.

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Le résultat final ressemble à un mauvais film de science-fiction à l’américaine, coincé entre l’idée de perpétuer un héritage pour les initiés (puisque Sylvester McCoy est là) et celle d’essayer de capter un public de novices. Le TARDIS en est le symbole. Il ressemble à un vaste salon, où, dans un coin, il y a la console de commandes. On y voit même le Docteur lire au coin du feu. Et dans la salle à côté, il y a l’Oeil de l’Harmonie, devenue gigantesque source de pouvoir du TARDIS. Le Septième Docteur, lui, est représenté comme un Lord. En entrant à l’intérieur, on a donc l’impression d’atterrir dans un immense palais, pas un vaisseau maquillé en cabine de police qui brouille les dimensions et qui regorge de salles. Les Américains, en forçant les Britanniques à s’adapter à leurs standards grandiloquents, ont tué tout le mystère entourant le TARDIS. Les rares choses qu’on ait jamais vues (et encore, furtivement) dans le vaisseau sont la salle de récupération (Castrovalva), la chambre d’Adric, et l’entrepôt de costumes (Time and the Rani, The Twin Dilemma). Ce qu’on voit essentiellement, c’est surtout la salle des commandes, et les dialogues laissent supposer qu’il y a plus, sans jamais le montrer, pour que le spectateur fantasme son propre TARDIS. Sous le poids de la folie des grandeurs américaine, plus de place pour ledit fantasme. C’est pareil pour le Docteur : son attachement pour les humains laisse à penser qu’il est un peu plus qu’un Seigneur du Temps. Avec le film, aucun suspense : il est à moitié humain, dont la seule « excentricité » est son charisme.

Le pire vient de sa régénération : pendant que le responsable de la morgue regarde Frankenstein à la télévision en mangeant du pop corn, le Docteur se régénère, descend de son brancard mortuaire, et part. Là, dans un parallèle tout sauf subtil, la créature de Frankenstein se réveille, grogne, au milieu des éclairs, pendant que le Docteur, régénéré et drapé de blanc, arrive dans une salle remplie de miroirs, voit son visage, et tombe à genoux de façon christique en criant « QUI SUIS-JE ? », l’orage frappant aussi à l’extérieur de l’hôpital. La régénération, passage si symbolique d’un questionnement existentiel, est dévoyée, ce qui laisse songeur sur l’idée qu’ont les producteurs du personnage du Docteur. Plus de place pour les interrogations ; le film préfère nous gueuler à la figure sa prétendue anormalité. Sans parler des effets spéciaux tordant le visage de Sylvester McCoy, le tout agrémenté d’éclairs pour simuler la régénération… Rien n’est déployé pour faire réfléchir : le film préfère jouer sur les impulsions primaires des spectateurs par un mélange d’artifices aussi subtil qu’un bélier.

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L’autre grave problème, c’est la relation du Docteur à sa « compagne ». Déjà, le film ne dira jamais ce qu’il est advenu d’Ace, la dernière compagne en date, et pourquoi le Septième Docteur voyage seul. Dans ce long-métrage, on rencontre Grace Wilson, une médecin suspendue après l’échec de l’opération sur le Docteur, et récemment larguée par son petit ami qui juge qu’elle ne prête pas assez attention à lui et trop d’attention à son boulot. Grace est une nouvelle représentation clichéifiée de la femme. Sa première apparition a lieu en robe de soirée (elle déboule d’un opéra pour soigner le Docteur) qui met surtout en valeur ses formes. Ensuite, elle rate donc son opération, et se laisse complètement aller, puisque le Seigneur du Temps la retrouve, et après s’être posée des questions sur qui est cet homme, elle… l’embrasse. S’ensuit une scène romantique extrêmement gênante entre un Seigneur du Temps amnésique et une médecin qui tombe dans les bras d’un parfait inconnu un peu dérangé. Par la suite, elle est loin d’être d’une grande aide (sauf à la toute fin), complètement dépassée par les événements, et elle refusera de repartir dans le TARDIS avec lui, non sans bien sûr lui laisser un dernier baiser. Son personnage a tout simplement subi le film.

Ce film est une insulte, tout bonnement. Tout est absolument forcé, pour essayer de faire rentrer le plus de Doctor Who possible en 1h25. Pour essayer de concilier deux publics extrêmement différents, la production a décidé de sacrifier tout ce qui faisait le charme de la série et suscitait la curiosité : son inépuisable part de mystère. Le relationnel ambigu entre le Docteur et sa compagne n’est plus implicite, il est plus qu’explicite. La compagne elle-même est un cliché ambulant aberrant de bêtise, comme si le Docteur était juste un bourreau des cœurs vendeur de fantasmes. La fusillade dans Chinatown dont réchappe un petit Chinois voleur et attiré par le lustre et le pouvoir est non seulement un cliché, mais elle frise avec le racisme de base. Le TARDIS est devenu une espèce de caverne d’Ali Baba. Le Maître n’est plus seulement machiavélique, il est devenu une espèce de Terminator (vraiment, c’est un homme grand, baraqué, avec des lunettes noires et un manteau noir…) en caricature de lui-même. Le scénario est désespérément lent (il faut une heure pour avoir un début d’action). Le Septième Docteur, dernier vestige de la série originelle, est réduit au silence (littéralement, il a peu de dialogues), sacrifié sur l’autel du business. Il laisse place à un Huitième Docteur sans aucun relief ni épaisseur, surjouant la candeur pour exagérer un côté humain évoqué au détour d’une conversation et sorti de nulle part, ce qui le dépossède de toute son essence de Seigneur du Temps. Une espèce de héros américain, en somme, l’incompris qui finit par mettre tout le monde d’accord. Un écueil vu et revu (la poursuite en moto est le clou de ce triste spectacle…) qui n’a rien à voir avec la complexité attachante et intarissable du Docteur.

Ce film ne ressemble en rien à ce qu’est, a pu être, ou même sera Doctor Who, parce que toute la mythologie y est diluée. L’Oeil de l’Harmonie, l’une des plus puissantes sources d’énergie gallifreyenne (elle nourrit une planète) se retrouve dans le TARDIS. Le Huitième Docteur propose des Jelly Babies (comme le Quatrième Docteur) à tout bout de champ, et le générique est piqué à l’ère Pertwee, comme une espèce de totem façon feu clignotant pour se raccrocher aux branches. Mais ce à quoi on assiste ressemble surtout à une mauvaise comédie romantique américaine de Noël (ou de fin d’année, puisque toute l’action a lieu le 31 décembre). Les producteurs, en cas de succès, prévoyaient six téléfilms de la sorte par an. Il n’en sera rien, et c’est tant mieux. Le téléfilm a été un succès commercial au Royaume-Uni, mais pas aux Etats-Unis, ce qui a empêché toute poursuite en série. Trois ans après, en 1999, comme une manière de se purger, le Huitième Docteur sera parodié dans l’épisode caritatif du Comic Relief, intitulé The Curse of Fatal Death. On y voit Rowan Atkinson jouer le rôle d’un Docteur très fleur bleue, arrêtant tout pour se marier avec sa compagne.

En 2005, même si Paul McGann aurait aimé revenir, Russell T Davies, le nouveau showrunner, choisit de faire table rase pour son revival, et confie le rôle à Christopher Eccleston, le Neuvième Docteur. Le Huitième, lui, reviendra dans un mini-épisode, intitulé Night of the Doctor, qui explique sa régénération en War Doctor, et sert de transition avec l’épisode spécial des 50 ans, The Day of the Doctor. Un mini-scénario très bien mené, mais qui montre que Paul McGann, incapable d’élever son niveau de jeu sans surjouer, n’était pas fait pour ce rôle. Les aventures du Huitième Docteur ont essentiellement continué en comics et en audios. Quant aux Américains, ils peuvent aujourd’hui voir Doctor Who grâce à BBC America, née deux ans après ce film. Et sans compromission de la série envers des producteurs véreux prêts à salir une institution et la transformer en mauvaise série B.

 

Tout cela ne doit pas cacher tout ce qui a été accompli durant 26 saisons. A travers ses interprètes, grâce à sa longévité exceptionnelle à travers les époques, Doctor Who a posé nombre de jalons que ce film bâtard, sorte de mixture infâme de tout ce qui fait la série, et tant d’autres productions sur le voyages dans le temps, ont tenté, sans succès, d’imiter (et ce dès les années 1990 avec The Stranger, véritable copier/coller de Doctor Who qui mit en scène Jon Pertwee, Peter Davison et Colin Baker !). Le retour de la série, en 2005, fut autant une renaissance qu’un hommage : Rose, épisode d’introduction du Neuvième Docteur, met en scène les Autons, comme dans l’épisode d’introduction du Troisième Docteur, Spearhead from Space. La première d’une longue série de références disséminées çà et là : pour ne pas refaire les mêmes erreurs, mais sans oublier d’où on vient.


Léo Corcos

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