Regarder tout Doctor Who (entre 1963 et 1996) – Jon Pertwee, Le Troisième Docteur
Candidat à la reprise du rôle de Doctor Who, Jon Pertwee l’obtient en 1970. C’est avec lui que les épisodes sont désormais en couleur, et que la suppression des bandes magnétiques, causant la perte de nombreux métrages, cesse. La série, désormais bien établie dans le quotidien des Britanniques, prend un nouveau départ.
Le premier Doctor William HartnellLe second Doctor – Patrick Troughton
L’ère Jon Pertwee (1970-1974)
Nouveau départ sauf que Jon Pertwee arrive avec ce qui apparaît être un handicap : le Docteur est exilé sur Terre. En effet, la production a décidé de clouer le Docteur sur Terre, pour des raisons économiques, notamment (ça coûte cher, tous les costumes et les décors), et pour tenter un Doctor Who en milieu purement britannico-contemporain, l’obligeant à plusieurs pirouettes scénaristiques plutôt bien senties. Un exil qui durera trois saisons, soit 90 épisodes (!). Au cours de ce long hiatus, par différents moyens, le Docteur utilisera tout de même le TARDIS pour résoudre des situations sur d’autres planètes (The Curse of Peladon, Day of the Daleks…), mais jamais de son plein gré, étant parfois envoyé en mission par les Seigneurs du Temps eux-mêmes, qui régleront à distance son vaisseau pour le voyage aller et le voyage retour. Bien souvent, il se rabattra donc sur Bessie, une vieille mais fidèle voiture bien typée années 1970, et restera donc au service de UNIT, pour lequel il est nommé conseiller scientifique. Un poste qui ne le satisfera jamais pleinement à cause du cadre militaire, l’enjoignant à tenter par tous les moyens de fuir en TARDIS, ce qui se révélera donc impossible.
Ainsi, le Troisième Docteur, tout juste régénéré, commence son mandat face aux Autons, les mannequins tueurs des boutiques de vêtements (Spearhead from Space), qui seront aussi là aux débuts du Neuvième Docteur (Rose), en 2005, à la reprise de la série, parallèle évidemment pas anodin, autant dans l’histoire que dans le style graphique, même avec 35 ans d’écart. Le show donne aussi naissance aux Siluriens (Doctor Who and the Silurians), ces intra-terrestres présents sur Terre avant les humains, et que l’on reverra aussi dans le « new Who ». Il fera aussi face à une réalité alternative (Inferno), et verra apparaître son miroir déformant, le Maître (Terror of the Autons). Après The Three Doctors, en reconnaissance d’avoir sauvé une nouvelle fois sauvé l’univers, le Docteur reçoit de son peuple la pièce manquante à son TARDIS, et peut repartir à travers l’espace et le temps.
A l’image de la série, Jon Pertwee donne un coup de lustre au personnage. Très grand (1m89), athlétique, il joue sur son charisme en adoptant une tenue en conséquence : veste de smoking en velours, chemise à froufous, et cape, ce qui lui vaudra d’être surnommé « fancy pants » par le Deuxième Docteur et de « dandy » par le Premier, dans The Three Doctors. Avec sa voix douce, son sourire rassurant et ses connaissances scientifiques bien au-dessus de la moyenne, le Troisième Docteur n’est plus seulement une figure tutélaire. Il s’inscrit dans la lignée d’un James Bond, autre personnage de fiction britannique en vogue à l’époque (les deux sont nés à un an d’écart, Bond en 1962 et le Docteur en 1963). Homme d’action (Jon Pertwee étant lui-même ancien soldat), on le voit souvent se battre au corps à corps, pratiquant l’aïkido vénusien, technique d’immobilisation de l’adversaire.
A la pédagogie historique de la série, Jon Pertwee a donc ajouté ce côté action, faisant du Docteur un personnage encore plus capable, et paradoxalement, quand on sait le pourquoi de sa condamnation à la fin de The War Games, beaucoup plus interventionniste. Dans Inferno, il cause la création d’une autre réalité, dans laquelle le monde est tout autant en danger. Dans The Curse of Peladon, il se fait notamment passer pour l’ambassadeur de la Terre. Et que dire du Maître : les Seigneurs du Temps préviennent le Docteur qu’il arrive, le laissant faire le sale boulot, alors que le Maître, assoiffé de pouvoir, veut créer des interférences autrement plus graves ! Cela fait du Troisième Docteur l’incarnation la plus castrée de toutes : c’est le plus viril, mais aussi le plus impuissant. Humilié par une race conservatrice, la sienne, qui le cloue au sol, ou pire, le fait travailler pour eux. Et à chaque fois qu’il tente de forcer son départ, il finit soit carbonisé par une explosion, soit, même, trompé par un faux départ qui le fait finir dans une poubelle (Inferno) !
D’abord assez égoïste, ne supportant pas l’exil, voyant la Terre comme une prison et tolérant les humains à une certaine dose, le Troisième Docteur est devenu, au cours de son mandat, un homme de principes, protecteur de mondes et de races, condamnant, à la fin de Doctor Who and the Silurians, le génocide silurien perpétré par UNIT pour empêcher leur retour. Il est aussi une figure très paternelle, expliquant toujours avec un calme olympien les tenants et aboutissants des situations dans lesquelles il se trouve, et s’érigeant en bouclier de ce peuple humain qu’il a à cœur. C’est très vrai dans sa confrontation avec le Maître, son opposé maléfique cherchant à contrôler les gens, quand le Docteur défend leur libre-arbitre. C’est aussi vrai avec ses compagnes, notamment Jo Grant, dont il vit assez mal le départ pour cause de mariage, comme si sa propre fille quittait le nid. Un comble, alors que Jo, facilement impressionnable et assez maladroite, n’était pas désirée par le Docteur au début. Il concentrera alors toute son énergie sur Sarah Jane Smith, femme plus affirmée, mais dont le sens et la vision journalistiques seront déroutés par la découverte de tous ces mondes insoupçonnés dans lesquels elle sera transportée.
Sous l’ère du bienveillant Troisième Docteur, et dotée de plus de moyens, Doctor Who passe un nouveau cap scénaristique et artistique. Là encore, le kitsch volontaire, le grain de l’image, et le social-fantastique du « new Who » sont un vrai hommage à cette percée graphique. Mais c’est une évolution à double tranchant : si la série garde le didactisme de ses débuts, elle conserve aussi un certain conservatisme social. On le voit avec la place de la femme : déjà, sous les deux premiers Docteurs, la femme était au mieux une figure d’autorité (Barbara), mais surtout une fille craintive, âgée environ de 15 à 20 ans, hyper dépendante du Docteur, et parfois même un peu sexualisée (notamment Zoe et Polly). Les garçons, eux, que ce soit Ian et Steven (Premier Docteur) ou Ben Jackson et Jamie (Deuxième Docteur), étaient plus aventureux, sorte de cautions muscles du Docteur, envoyés en première ligne, quand la femme devait rester derrière. Cela s’est un peu amélioré avec Zoe, fille ultra-intelligente quand il s’agit de plans élaborés (elle sauve la situation dans The Invasion), mais qui ne peut pas l’utiliser quand elle est dans le pétrin et se retrouve donc dépendante du Docteur.
Liz Shaw, la première assistante du Troisième Docteur, devait tordre le cou à cela. Elle est une femme mûre, intelligente, et qui ne se laisse pas bousculer par le Docteur, qui voudrait lui apprendre la vie. Leur association ne durera toutefois pas très longtemps : après seulement 25 épisodes, Liz est écartée, les scénaristes la trouvant trop intelligente, ce qui ferait de l’ombre au Docteur ! Le comble, c’est que dans l’épisode suivant, celui-ci se plaint de ne pas avoir Liz, car elle le comprend, de scientifique à scientifique… Dès lors, la série revient à une jeune femme craintive, Jo Grant, à qui le Docteur demande de ne rien faire pendant qu’il se charge de tout : la bienveillance du Troisième Docteur – qui assure donc aussi la partie muscles – se transforme donc en paternalisme frustrant. La compagne devient alors la caution douceur : c’est grâce à celle de Jo, dans The Curse of Peladon, où elle se fait passer pour une princesse, que le Seigneur du Temps pourra résoudre la situation sur Peladon. Le rééquilibrage est un peu plus prononcé avec l’arrivée de Sarah Jane Smith, journaliste de caractère, mais là encore, on dirait que le seul fait d’entrer dans le TARDIS intimide les femmes, quand les hommes sont souvent moins impressionnés. Sarah Jane sera celle dont la personnalité est la plus affirmée, étant aussi attachée au Docteur que prompt à le contester, et surtout quand il la laisse sur la touche. Cela lui offrira le titre bien mérité de compagne la plus populaire du Old Who et l’une des plus populaires de toute l’histoire de la série, elle qui aura droit à son propre spin-off, The Sarah Jane Adventures et à son retour dans le « New Who » aux côtés du Dixième Docteur.
Lassé par le rôle, marqué par le départ de Katy Manning (Jo Grant) et la mort accidentelle de son ami Roger Delgado (le Maître), ne s’estimant plus assez bien payé, et ayant des envies d’ailleurs, Jon Pertwee quitta le rôle en 1974, laissant la place à Tom Baker. Le Troisième Docteur reviendra dans The Five Doctors, pour les vingt ans de la série, puis dans Dimensions in Time, mini-épisode caritatif célébrant les trente ans de la série, alors en hiatus (1993). Jon Pertwee s’éteint ensuite, trois ans plus tard, en 1996. Aujourd’hui, son héritage est largement perpétré par son fils et premier admirateur, Sean Pertwee, récemment vu dans Gotham.
Bien mise en orbite par les bonnes performances de Jon Pertwee, Doctor Who entre alors dans une ère de stabilité, et atteint même son apogée dans les années suivantes…
Katy Manning (Jo Grant) se souvient. « Quand j’ai été castée pour Doctor Who, je n’avais fait qu’une seule série pour ITV (Man at the Top), et je sortais tout juste d’école de théâtre ! J’avais regardé Doctor Who, mais la série n’avait pas encore atteint le niveau de hype qu’elle connaît actuellement. Mais quelle série fabuleuse pour l’actrice que j’étais. J’ai adoré jouer Jo, cette fille aussi à la mode drôle, courageuse, que désobéissante et maladroite. J’ai adoré cette passion qu’elle avait pour le Docteur, si forte qu’elle était prête à donner sa vie pour lui ! Nous étions au début d’une nouvelle ère, avec la couleur, de nouvelles prouesses techniques comme l’arrêt sur images et bien d’autres choses.
L’introduction de nouveaux personnages aux côtés des anciens ; le Maître divinement joué par Roger Delgado ; le fait d’avoir de vrais soldats pour jouer les figurants et ainsi renforcer UNIT, avec le Sergent Benton, Mike Yates, et le Brigadier joué par le merveilleux Nicholas Courtney ; le fait d’avoir un Docteur banni sur Terre… Après la première année, les audiences ont atteint leur plus haut niveau, et l’âge des spectateurs a évolué, en même temps que la série visait un public large, et qu’elle devenait peu à peu culte. Les storylines étaient à chaque fois des aventures, mais derrière, il y avait des messages engagés, contre le plastique, la pollution, la guerre, et en ce sens, la série était très en avance sur son temps. J’étais fascinée, et j’ai passé du temps à apprendre sur les effets spéciaux, la musique électronique, le mixage de sons, grâce aux équipes techniques, avec lesquelles j’avais un lien très fort. C’était le cas aussi avec le casting, et notamment avec Jon Pertwee : nous nous sommes entendus dès le premier jour, nous avions une vraie et solide affection l’un pour l’autre, qui se manifestait tous les jours, devant et derrière la caméra, tout comme avec le reste de l’équipe. Il y eut beaucoup de grandes et belles histoires, bien trop pour en choisir une ou deux.
Je suis juste si fière d’avoir fait partie de ce show si inspirant, si généreux. J’ai appris énormément, notamment avec Jon Pertwee, dont la passion et la dévotion furent inspirantes. J’ajoute qu’en tant que femme, j’ai toujours été traitée équitablement. J’ai grandi pendant cette série, devant et derrière la caméra. J’ai eu l’opportunité de réaliser la plupart de mes cascades (nous le pouvions à l’époque), grâce à la team Havoc (un groupe de cascadeurs professionnels) et aux encouragements de Jon Pertwee. Et puis quelle joie ce fut de revenir, 40 ans plus tard, en tant que Jo Jones, cette fois, aux côtés de Matt Smith dans The Sarah Jane Adventures, mais aussi dans les Big Finish audios, où j’ai joué Jo Jones comme Jo Grant, aux côtés de nouveaux personnages. En intégrant la série, au début, je n’aurais jamais pu imaginer que tout cela m’arriverait. Mon visage s’est retrouvé sur des timbres, et j’ai même des petites figurines à mon effigie, des choses que je trouvais au fond de mes paquets de céréales. Je remercie tous ceux qui ont travaillé sur Doctor Who, depuis ses débuts et jusqu’à maintenant. Grâce à leur amour incessant et leur respect pour la série, les deux cœurs de Doctor Who vont continuer à battre pendant encore des années. Mais sans les merveilleux fans, dans le monde entier, il n’y aurait pas Doctor Who ! »
Léo Corcos