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Lucky Man : le revers de la médaille

Lucky Man a donc repris, ce week-end, pour une deuxième saison. Assez discret, le show crée par Stan Lee se repose sur ses acquis et reste un divertissement de bonne facture. Explications.

ATTENTION SPOILER TRANSITIONNEL GLOBAL SUR TOUT LUCKY MAN. LECTURE A VOS RISQUES ET PÉRILS.

Rappelons que dans la saison 1 de Lucky Man, le fait de détenir le bracelet de chance était pour Harry Clayton un vrai cadeau empoisonné : certes il lui a permis d’empocher de l’argent, de faire avancer des enquêtes, mais lui a aussi apporté beaucoup d’ennuis, tant personnellement que professionnellement, le menant à être emprisonné, désavoué par sa hiérarchie, traqué pour le pouvoir qu’il possède, jusqu’à sa famille kidnappée par Nikhail Julian/Golding. Les Clayton s’en sortent, mais non sans séquelles. Désormais, Harry ne veut plus utiliser le bracelet, qu’il considère comme appât à ennuis, et dont le côté « je donne/je te prends » l’effraie. Sauf qu’il rencontre quelqu’un avec le bracelet, et qui le porte depuis bien plus longtemps que lui, Isabella Augustine…

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Rien de fondamentalement révolutionnaire, donc : la série reprend là où elle s’est arrêtée, et repart sur ces bases d’efficacité, installant confortablement le spectateur dans une routine d’enquête à double entrée, à la fois collective (policière, ordre public) et individuelle (la quête d’Harry pour retrouver Golding, le fait de vouloir se débrouiller sans le bracelet, résister à l’idée de se remettre à jouer). Harry Clayton continue de cultiver ce petit côté Jim Gordon : comme lui, on lui a donné une tâche presque sacrée (être le chevalier blanc dans une affaire et une ville grise voire franchement noire), comme lui il en a payé le prix, a suscité les jalousies, est passé par la case prison, et comme lui, quelque chose semble lui échapper. En choisissant de porter le bracelet, d’en assumer la responsabilité, mais de ne pas l’utiliser, il en revient à quelque chose de plus terre à terre, de plus « lui » : puisque le bracelet ne lui donne aucune réponse, il ira les chercher lui-même ; mais prêt, s’il le faut, à prendre lesdites responsabilités. Le personnage de Harry est donc voué, un peu contre son gré tant on voit bien la différence d’efficacité avec ou sans le bracelet, à faire face à la charge mythique dans le bracelet, et donc à son rôle dans la manière dont cette charge s’exprime ; de sorte qu’il doit faire face à ce décalage entre lui et l’irruption du fantastique au sein de son quotidien. Clayton est du reste un homme en décalage constant : il peut embrasser sa femme et lui dire qu’il l’aime, mais pas non plus trop, il peut faire des trucs avec elle et sa fille, mais pas revenir vivre avec elle, sa femme lui dit qu’elle l’aime, mais elle ne l’appelle pas en cas de problème. Et même à la police, il y a toujours opposition de style entre le fin Clayton et le bourru Orwell, ou la froideur de Winter (no pun intended).

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Ce qui est intéressant cependant dans cette reprise de Lucky Man, c’est que désormais, Harry Clayton (James Nesbitt toujours aussi serein et à l’aise) a totalement embrassé le statut du « Lucky Man ». En choisissant de ne pas utiliser le bracelet, paradoxalement, c’est une façon de reconnaître ce statut, tout en cherchant à le fuir. Mais lui-même finit par comprendre tout l’enjeu de ce bracelet quand il voit des matériaux de chantier lui tomber dessus, et le manquer miraculeusement, alors même qu’il n’avait pas explicitement activé son pouvoir. Désormais, cette chance est inhérente à lui, l’enveloppe pleinement, comme Isabella Augustine, une autre porteuse, mais plus expérimentée, vient lui dire : elle fait partie de sa vie. D’où, dès lors, la conviction pour Harry Clayton qu’il doit pouvoir prendre cette chance en main et lui faire face au lieu de la refuser, comme le montre son nouveau rendez-vous avec Isabella pour lui demander de tout lui apprendre quant à la maîtrise du bracelet, notamment sur le côté Yin/Yang. Mieux, il a été absous professionnellement : la tentative d’Orwell de récupérer Suri à son compte ne marche pas, il finit rétrogradé, et même un Winter affaibli (Steven MacKintosh assez bluffant en revenant) vient lui demander pardon quant à son attitude durant l’affaire Golding, et n’a de cesse de vanter ses qualités. On a donc, au travers du manifeste du flic intègre mis en cause mais réhabilité, toujours cet enjeu de pouvoir, de capacité à pouvoir ou non bouleverser les choses, dans quelle mesure, et avec quels moyens. En rappelant, avec la dégradation du DI Orwell, qu’il y a toujours quelque chose au-dessus qui vient sanctionner les actions et exactions, écueil finalement assez classique de ce genre de procéduraux (le méchant flic s’efface, le bon flic renaît).

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Une sorte d’aura semble déteindre sur Lucky Man et son personnage principal. Peut-être trop, compte-tenu du fait que tout repose sur lui : Anna Clayton se définit surtout par ses atermoiements, Isabella Augustine reste encore le grand flou, Eve elle-même semble dépassée par les événements et n’arrive même plus à retenir Harry… Tout juste Suri, même si elle reste assez secondaire tant son rôle n’a pas foncièrement évolué, parvient à peine à surnager. Lucky Man se repose assez sur ses lauriers en ce début de saison, proposant surtout une rupture dans la continuité, et prenant le temps de poser ses enjeux. Mais tout le problème pour Lucky Man va être de solidifier ces enjeux et de proposer quelque chose de transcendant, mêlant thriller, procédural, système, pour ne pas s’enfermer dans une routine feuilletonnante qui la rangerait au mieux dans la case « sympathique ». Par exemple, concernant Golding, pour l’instant, nous savons juste que c’est un mafieux à double identité, mais nous n’avons pas de vraies nouvelles. A l’instar d’Harry Clayton, nous sommes condamnés à découvrir au jour le jour ce qui pourrait se passer. Comme avec les pages d’un comics, le spectateur doit attendre de tourner la page (ou d’acheter le tome suivant, c’est selon) avant de voir LA case révélatrice… L’arrivée d’Isabella Augustine comme plus longue porteuse du bracelet rebat un peu les cartes, dans le sens où le bracelet n’est pas un épiphénomène, mais bien quelque chose d’ancré.

Lucky Man est diffusée sur Sky depuis le 24 février, et on attend un vrai soubresaut !

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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