Doctor Who (1963-1996) – Tom Baker, Le Quatrième Docteur
Et dire que, manquant d’argent après son dernier film, il travaillait sur un chantier quand on l’a appelé pour lui proposer le rôle… Aujourd’hui, Tom Baker est indissociable du rôle du Docteur.
Le premier Doctor William HartnellLe second Doctor – Patrick TroughtonLe troisième Doctor – John Pertwee
L’ère Tom Baker (1974-1981)
Sa grande taille (1m91), son large sourire enfantin, sa voix de stentor, mais surtout, son chapeau, son long manteau et son écharpe bariolée (beaucoup trop grande du fait d’une erreur de la costumière, mais que Baker garda telle quelle pour faire chuter ses ennemis) ont fait de lui le Docteur le plus identifiable de la série. Aujourd’hui, que ce soit en convention, sur YouTube (notamment dans l’Epic Rap Battle of History entre le Docteur et le Doc Brown), ou même ailleurs (dans les Simpson par exemple), il est le Docteur le plus représenté et référencé. Avec sept ans d’aventures télés, il est aussi le Docteur qui est resté le plus longtemps à l’écran, sa popularité conduisant les producteurs à le dissuader de quitter la série, saison après saison.
Un an après The Three Doctors (épisode du dixième anniversaire) et onze ans après ses débuts, la série est maintenant bien installée dans le paysage télévisuel, disposant de moyens plus importants, s’exportant à l’international (notamment aux Etats-Unis et en Italie), et s’imposant comme une référence. Pour la dernière partie de City of Death (qui se déroule à Paris !), l’audience grimpe à 16 millions de spectateurs ! Un contexte hyper favorable pour toute l’énergie de Tom Baker, très à l’aise devant la caméra, au point parfois de faire du dépassement de fonction et de contester les scénarios établis, difficulté supplémentaire avec laquelle les script-editors durent composer.
La popularité du Quatrième Docteur s’explique aisément quand on voit ses performances. Tom Baker est celui qui s’est le mieux approprié l’essence même du personnage. Souvent, il faut un round d’observation aux Docteurs, dû à la confusion que provoque la régénération, et c’est seulement à la fin de son premier épisode que le nouveau Docteur est bien en place. Pas pour le Quatrième, qui a tout fait en même temps. Dès ses débuts, dès cette confusion (Robot), sa personnalité est bien affirmée. Il est un électron libre (il est à deux doigts de s’enfuir dans le TARDIS, seulement rattrapé par une Sarah Jane et un Brigadier souvent dépassés par sa folie), un véritable gigolo déroutant mais profondément attachant et dont on ne saurait se passer. Les débuts du Quatrième Docteur sont canons : alors qu’un immense robot menace, et qu’il se remet tout juste de son changement de corps, il ne se départit jamais de son grand sourire et se permet même pléthore de blagues (celle sur le Titanic étant la meilleure). En accentuant un peu plus le côté extra-terrestre du Docteur, en interprétant un être à la fois très solitaire et avide de compagnie, qui nous ressemble à la fois énormément et pas du tout, Tom Baker a rendu son personnage plus fédérateur.
Grâce à l’image même renvoyé par son corps et sa tenue iconoclaste, le Quatrième Docteur est naturellement le protecteur de la Terre en particulier, et de l’espace-temps de manière générale, le seul rempart face aux menaces, et l’être dont tout dépend. Si cela lui donne une immense importance, cela le met parfois devant des situations cruciales. Dans l’excellent épisode Genesis of the Daleks, il est pour la première fois confronté à Davros, créateur des Daleks. Et là, il hésite à détruire la chambre d’incubation des premiers représentants de ces mutants tueurs, premier dilemme d’une série d’affrontements, mais surtout de mise à mal des principes du personnage du Docteur en général, et du joyeux drille qu’est le Quatrième Docteur en particulier.
Par sa voix, sa stature, que seul le Brigadier peut vaguement lui contester, la quatrième incarnation entend imposer son point de vue, celui de faire les choses bien, dans le respect de tout, de toutes et tous. Quand on les respecte, il est un joyeux drille souriant, offrant des « Jelly babies » ; quand on ne les respecte pas, il met toute sa force pour que la situation se règle. Il s’oppose aux demandes de ses compagnons qui veulent faire comme lui et à celles des militaires qui veulent l’utiliser, il s’impose au sein des Seigneurs du Temps (The Deadly Assassin), et montre de la colère face au Maître et à Davros, ses deux plus grands rivaux. C’est aussi vrai dans l’arc de « La Clé du Temps » (The Ribos Operation – The Armageddon Factor), où il se retrouve face aux responsables de l’équilibre de la terreur universelle : le Gardien Blanc, protecteur du bien ; et le Gardien Noir, apôtre du mal.
Son corps, encore, il le met aussi en jeu physiquement, pourvu qu’il protège toute réalité, n’hésitant pas à se défendre lui-même (The Deadly Assassin, face à un Maître décharné dont le but, justement, est de retrouver un corps, matrice même des Seigneurs du Temps), ou à prendre tous les risques (The Brain of Morbius, épisode qui a fait du bruit avec les dernières révélations de la saison 12). Quitte parfois à en mourir (Logopolis, où il se sacrifie). Lui qui est peut-être l’incarnation la plus hors-cadre de toutes, c’est celui qui revient sur Gallifrey, dans The Deadly Assassin, où il combat autant la vilenie du Maître que le conservatisme des Seigneurs du Temps, en se présentant à la présidence du conseil de la planète, pour être corps parmi les corps, dans une société où le physique est quelque chose de très relatif.
Le corps, enfin, qui rythme l’évolution du Quatrième Docteur. Interprète le plus jeune jusqu’alors (40 ans), Tom Baker fait montre, au début, d’un enthousiasme non-dissimulé pour ce rôle qui l’a sauvé d’années de galères. Aux côtés de Sarah Jane, il compose le duo le plus fusionnel de la série : la journaliste, pas plus décontenancée que ça par le changement de visage du Docteur, oppose son droit de savoir à un Seigneur du Temps qui, comme son prédécesseur, aurait tendance à la laisser derrière pendant qu’il s’occupe de tout. Sarah Jane participe activement aux aventures, faisant face et survivant aux Daleks comme aux Cybermen, restant dans le TARDIS quand Harry Sullivan, le médecin/homme d’action engagé pour la caution virile, s’en va au bout de trois arcs. Le Docteur et elle s’assemblent naturellement, car l’un est l’excentricité qui manque à l’autre, et l’une est l’humain qui manque à l’autre.
Après le départ de Sarah Jane, malgré la qualité persistante des épisodes, la relation entre le Docteur et sa compagne ne sera plus aussi fusionnelle, et cela s’en ressentira sur l’ambiance entourant son mandat. Leela succède à Sarah Jane, mais cette femme guerrière ne ressemble pas vraiment au Docteur, et même sur le tournage, Tom Baker, pas fan du tout du personnage, sera très dur avec l’actrice Louise Jameson, malgré leur réconciliation par la suite. Pour combler un peu cet écart, la série introduisit K9, le chien-robot très attachant, capable d’aider le Docteur et Leela à (se) comprendre grâce à son immense banque de données. Après un temps d’adaptation, et face au professionalisme de Louise Jameson pour prouver sa valeur à Tom Baker (comme Leela avec le Docteur), leur relation devint bien meilleur, et ce décalage de caractères fut très bien intégré.
Ce personnage de femme virile ayant peu satisfait la production, la série retourne alors à une compagne intelligente, mais moins active, avec Romana, une Seigneur du Temps new generation interprétée par Mary Tamm dans l’arc de « La Clé du Temps ». Celle-ci quittera le rôle face au manque d’évolution de son personnage, contrairement à ce qu’on lui avait promis. Dans une régénération totalement absurde et invraisemblable (la raison n’en sera jamais expliquée), Romana prend les traits de Lalla Ward, dont la relation avec Tom Baker ira bien au-delà de l’écran.
Les deux acteurs entament une relation amoureuse sur le tournage de City of Death, deuxième épisode de la saison 17, qui se terminera de manière orageuse au moment de The Leisure Hive, premier épisode de la saison 18. Dans cette période, Tom Baker semble retrouver une seconde jeunesse, notamment dans City of Death, où la complicité avec Lalla Ward saute aux yeux. Leur première rupture, couplée à l’arrivée de Matthew Waterhouse dans le rôle d’Adric, un adolescent de 15 ans surdoué mais pénible ; et à celle de John Nathan-Turner comme producteur exécutif, souhaitant donner une tonalité plus sombre à la série, lancent le requiem de l’ère du Quatrième Docteur. La dernière saison, qui se déroule dans un univers parallèle est une vraie projection devant la caméra du chaos derrière elle. Le Seigneur du Temps, après sept saisons, apparaît fatigué (Tom Baker, du reste, s’est remis avec Lalla Ward et l’épousa pendant le tournage de The Keeper of Traken) ; celle-ci, justement, quitte la série lors de cet épisode, l’avant-dernier de la saison, à sa grande incompréhension ; l’inimitié entre le Docteur et Adric, l’un devant souvent sermonner l’autre, montre bien celle entre Tom Baker et Matthew Waterhouse ; côté graphique, les décors consistent en des incrustations peu réussies sur fond vert ; et côté scénaristique, l’intrigue s’emmêle dans une complexité parfois déroutante. Heureusement, peut-être grâce au soulagement de la fin d’une ère, le final, Logopolis, est l’un des meilleurs épisodes de la série : dans un univers mathématique, les deux plus brillants esprits de l’univers (le Maître et le Docteur) se battent pour la survie de la logique de l’univers. Crépusculaire, il offre une sortie royale à Tom Baker, qui joue sur son sentiment du travail accompli et quitte la scène sur un ultime tour sorti de sa manche, et une chute théâtrale.
Par sa longévité, l’évolution de sa personnalité affirmée, la richesse de ses compagnons, et par la richesse des scripts, le Quatrième Docteur a ancré profondément son image dans l’imaginaire whovian, bien au-delà du « old Who ». Tom Baker est l’acteur dont tout le monde se remémore la performance car il est celui avec lequel la série a atteint le statut de référence, aujourd’hui résumée par « a mad man in a box » (non un « mad alien », mais un « mad man », ni trop extra-terrestre, ni trop humain). En ce sens, ses performances sont à rapprocher de David Tennant : une compagnie aussi irrésistible que dangereuse, un personnage aussi solitaire qu’épanoui en société, un homme aussi excentrique que sérieux. Il a acquis le titre qu’il s’est auto-attribué dès ses premières minutes de vie, en miroir des paroles du Premier Docteur : « Vous êtes peut-être un docteur, mais je suis LE Docteur. L’article défini, en quelque sorte »
Une excentricité à double-tranchant. Tom Baker était un homme aussi imprévisible devant que derrière la caméra, n’hésitant pas à donner son avis, et ce avec force. Mais jusque-là, il avait survécu à toutes les orientations et tous les changements. Mais à l’arrivée de John Nathan-Turner comme producteur principal, les désaccords se firent irréconciliables et Baker quitta le rôle pour de bon, remplacé par Peter Davison.
Par la suite, Tom Baker entretiendra une relation douce-amère avec la série. Il refusa de participer à l’épisode des vingt ans, The Five Doctors (1983), estimant que son départ deux ans plus tôt était trop rapproché. Il donna seulement son accord pour que des séquences de lui inexploitées soient réutilisées pour donner l’illusion qu’il était dans l’épisode. Tom Baker déclarera aussi qu’il n’avait pas envie de jouer « 20% du rôle » aux côtés des quatre autres acteurs. Une décision qu’il dût regretter, puisqu’il reviendra dans celui des trente ans, Dimensions in Time (1993, où il jouera quand même 20% du rôle, et sur un épisode spécial d’un quart d’heure, contre 90 pour le précédent), et dans celui des cinquante ans, The Day of the Doctor (1993), mais pas dans le rôle du Docteur…
L’ère Tom Baker est celle de l’apogée de la série. Jamais elle ne retrouvera ce niveau avant son arrêt, en 1989.
Louise Jameson (Leela) se souvient. « Je pensais arriver dans une série pour enfants. Alors imaginez : être propulsée vers la célébrité et avoir une audience composée aussi bien d’adultes que d’enfants fut une expérience à la fois bizarre et merveilleuse. C’est comme si j’avais deux boulots en même temps : celui d’actrice, pour lequel j’étais formé, où je recevais et où j’interprétais mes personnages : et celui, un peu étrange, de célébrité, pour lequel j’ai toujours eu une relation amour/haine. Cela dit, c’est en devenant plus mature, par la suite, que j’ai réalisé combien ce fut un cadeau d’avoir eu ce rôle en 1976-77. Cette série est un pilier dans un monde précaire.
Un souvenir ? C’est dur d’en choisir un, mais je me souviens d’un tournage nocturne de The Talons of Weng-Chiang, où j’ai dû refaire onze fois une prise : je devais à chaque fois entrer dans un vrai égout, alors qu’il pleuvait. Je ne fus pas à mon meilleur ce jour-là ! »
Léo CORCOS