Superman, de James Gunn : meilleur que Man of Steel, ou différent ? (spoilers)
Après des mois d’attente, de spéculations et de débats passionnés, le Superman de James Gunn fait enfin son entrée sur les écrans. En tant qu’amateur de longue date du personnage, qu’il s’agisse des versions télévisées, animées ou cinématographiques, nous nous attendions à être éblouis et divertis. L’expérience s’est révélée bien différente.
Un contexte de production délicat
Inutile de revenir sur les débats enflammés autour du Snyderverse, désormais définitivement enterré, malgré le soutien qu’il avait pu susciter. Place désormais à une nouvelle ère, qui s’annonce durable…
Si le film n’a pas encore dévoilé ses résultats au box-office américain – véritable baromètre de santé commerciale –, il affiche un score de 86% sur Rotten Tomatoes quelques jours après sa sortie. Bien que ce pourcentage soit appelé à évoluer, on peut s’attendre à ce que le public se montre particulièrement exigeant.
Force est de reconnaître que ce Superman divise dès sa conception. Mettre un terme à l’univers épique de Snyder et Cavill, confier les rênes à James Gunn – réalisateur à la réputation établie – pour orchestrer ce premier opus d’un nouvel univers cinématographique, et qui plus est centré sur Superman, constituait un défi considérable. De nombreux facteurs et biais allaient inévitablement influencer notre appréciation critique.
Des attentes déçues
En tant qu’admirateur du personnage, de Lois Lane, de Clark Kent et de l’univers du Daily Planet, nous espérions un film complet alliant innovation narrative et respect des codes classiques. Gunn, reconnaissons-le, a proposé une version qui tranche radicalement avec tout ce que nous avons connu précédemment.
À travers ses bandes-annonces et spots publicitaires, le film avait déjà livré de nombreuses images marquantes. Si ces séquences composaient effectivement la première partie du métrage, elles ont également produit un effet contre-productif. Les tenants et aboutissants de ces scènes étaient déjà connus, d’autant plus que ce qui se déroule à l’écran ne constitue qu’un prétexte scénaristique. Jamais le véritable sujet du film ne transparaissait dans ces séquences. C’est d’ailleurs ce qui handicape d’emblée l’œuvre : un manque cruel d’objectif narratif.
Une chronologie exposée sans subtilité
Commençons par les fondations. Il y a trois siècles, les méta-humains ont fait leur apparition ; il y a trente ans, Kal-El également. Il y a trois ans, Superman est arrivé à Metropolis. Il y a trois semaines, un conflit armé a éclaté en Boravia, et il y a trois heures, Superman a essuyé sa première défaite… Ces informations, délivrées en introduction, plantent rapidement le décor.
S’ensuit la séquence où Superman s’écrase, comme l’avait révélé le premier teaser. Krypto intervient simultanément, tandis que The Engineer, affublé d’un accent slave prononcé (en version française), tente de localiser la Forteresse de Solitude. Superman récupère grâce aux rayons solaires, assisté par ses robots, mais peine à reprendre le dessus.
Du côté du Daily Planet, Clark voit son premier article publié en une. Luthor pénètre dans la Forteresse de Solitude, la dévaste avec son équipe et capture Krypto. Il envoie un Kaiju pour occuper Superman – premier prétexte narratif. Cette créature ne sert qu’à distraire le héros, sans faire progresser l’intrigue. Néanmoins, le film prend le temps de montrer ce combat, prétexte supplémentaire pour introduire le Justice Gang avec Mr. Terrific, Green Lantern et Hawkgirl.
Un marketing contre-productif
L’ensemble de ces éléments avait été révélé dans les supports promotionnels. Aucune surprise visuelle ni scénaristique n’était donc au rendez-vous. La première heure s’est révélée prévisible pour quiconque avait consommé les images promotionnelles, d’autant plus que l’histoire n’apportait pas de valeur ajoutée narrative.
La seconde heure se montre plus engageante, ayant été moins exposée dans la promotion. Seule exception notable : au fil des minutes, et à l’approche du dénouement, nous avons tendance à nous remémorer certaines images marquantes qui n’étaient pas encore apparues. On comprend alors aisément qu’elles surviendront en fin de film, après telle ou telle séquence. L’effet de ces scènes s’en trouve considérablement amoindri.
Un humour qui dessert le propos
Le premier défaut majeur du film réside incontestablement dans son humour. Nous étions préparés à rejoindre les détracteurs qui nous avaient déjà alertés sur ces aspects clivants. Il est vrai que Krypto s’avère agaçant. Une fois, cela reste acceptable, deux fois, cela passe encore, mais son rôle et ses manies répétitives ne suscitent que des soupirs.
Il convient de préciser que nous rédigeons cette critique alors que le film demeure très frais dans notre mémoire. Le ton général de l’œuvre est léger, humoristique, décalé même ! Cela s’accorde parfaitement avec l’ensemble. Cependant, nous n’avons pas l’habitude de cette approche. Nous n’avons pas adhéré aux productions Marvel en raison d’un comic relief mal maîtrisé, et nous ne gardons pas le souvenir que les films précédents de Gunn nous aient déplu à cause de l’humour. Les Gardiens de la Galaxie et Suicide Squad avaient réussi à doser cet aspect, dans un univers déjà codifié où le danger était palpable. Ici, Superman ne propose aucun véritable péril, aucune tension authentique. Tout lui paraît facile, alors même qu’il encaisse de nombreux coups.
Un Superman vulnérable mais sans enjeux
Effectivement, ce Superman se montre « vulnérable », il subit de nombreux dommages, ce qui constitue un point positif en créant un semblant de suspense quant à l’issue des combats. Rien n’est aisé pour ce surhomme.
Concernant les sauvetages, Superman remplit son rôle. Il sauve de nombreuses personnes, mais une par une. Souvent, les séquences de sauvetage se concentrent sur un seul individu, voire un animal. S’il se montre très protecteur et empathique envers la population (il s’enquiert régulièrement de leur bien-être), il n’y a pas de grandes séquences de sauvetage collectif. Même lorsqu’un immeuble s’effondre, il ne sauve qu’une voiture.
Une intrigue audacieuse mais mal exploitée
Venons-en au prétexte narratif du film. Luthor découvre le message originel des parents de Kal-El. Ce dernier aurait été envoyé sur Terre pour la dominer. Il s’agit d’une approche audacieuse qui déconstruit complètement l’image bienveillante des parents biologiques et de Krypton. Cela renforce l’idée que Superman a fait le choix de protéger la Terre plutôt que de la dominer.
Suite à cette révélation, l’image de Superman auprès du public change radicalement. D’ailleurs, la rapidité de propagation de l’information paraît improbable. Les médias gèrent l’urgence et l’information de manière étonnante. Le danger est présent, une menace plane, mais les actualités passent du coq à l’âne avec Luthor sur plateau qui présente Superman sous un jour défavorable.
Un rythme narratif déséquilibré
Tout semble s’accélérer dans la gestion narrative. Pourtant, les séquences sont posées. Le Daily Planet, bien que sous-exploité, occupe une place non négligeable. Ces scènes sont essentielles aux intrigues, contrairement à Superman Returns qui ne les utilisait que pour développer les personnages. C’est d’ailleurs un Clark Kent très effacé que nous découvrons. Une scène et c’est terminé. Ensuite, les impératifs du film de super-héros avec ses menaces permanentes prennent le relais, Superman occupant l’écran en permanence.
Des qualités techniques indéniables
Le Superman de James Gunn réussit le pari de proposer des séquences de combat parfaitement maîtrisées, dynamiques et loin de constituer une bouillie numérique. C’est vif, clair et lisible. La caméra place Superman au centre de l’action à chaque fois, l’immersion est parfaite. On regrettera seulement une séquence impliquant une rivière toxique, qui ne mérite pas un temps de présence aussi conséquent. C’est visuellement décevant et sans grand poids dramatique.
Superman manque d’iconisation notable. Alors que Snyder ou Singer mettaient en avant le personnage à travers son aura, ici, point de cela. Peu de place à la contemplation, Superman agit vite et bien. Pour un premier film, il aurait fallu, au moins, poser le personnage et en faire une image rapidement.
Des personnages inégalement traités
Si l’humour omniprésent traverse tous les personnages, il existe également un problème d’écriture flagrant concernant certains personnages féminins. Si Lois Lane demeure une bonne Lois, active sur le terrain, Eve Teschmacher ou Cat Grant relèvent du cliché ambulant. Eve joue un rôle important, mais totalement desservi par une volonté pesante d’en faire une cruche, tant par ses actes que par le regard que Lex pose sur elle.
Le Justice Gang a de belles scènes, sauf quand on parle de Hawkgirl. Elle n’a vraiment que peu de place à l’écran, et aucune scène marquante… Le personnage, jouée par Isabela Merced, ne fait quasiment que de la figuration. Green Lantern (Nathan Fillion) est un personnage secondaire, vif et bourru, qui a son heure de gloire. Mr Terrific (Edi Gathegi) est vraiment la plus-value, bel aidant aux côtés de Lois sur la plupart des scènes.
Concernant David Corenswet, il semble véritablement prendre plaisir à incarner le héros. Cependant, son personnage manque de dimension, se caractérisant par une gentillesse extrême et un aspect légèrement fantaisiste, moins marqué qu’un Peter Parker/Spider-Man. Il n’a que peu de choix à effectuer, peu de dilemmes moraux. L’image de boy-scout est véhiculée par défaut, sans la moindre nuance. Dommage.
Un film qui manque d’aspérités
Il est d’ailleurs assez manichéen de la part de Gunn d’offrir un dictateur de Boravia cliché, une Eve stéréotypée, alors que l’on recherche un film à aspérités ! On rétropédale de manière intense dans le ton et l’ambiance par rapport à Man of Steel, et surtout à tous les films de super-héros, Spider-Man excepté. Si Superman rencontre le même succès que les films avec Tom Holland, nous en serons surpris et heureux.
Verdict
Par une forte propension à offrir deux heures de décontraction et de divertissement, Gunn réussit son pari. Il intègre de nombreux éléments des comics, construit un univers aux codes science-fiction et fantastique qui peuvent surprendre. Par une impression relative de non-urgence et par des personnages trop lisses, Gunn rate l’occasion d’un film riche et dense.
Superman, version 2025, demeure un blockbuster familial sans temps mort, qui manque d’aborder des sujets importants en les gérant maladroitement. Ce ne sera qu’avec les résultats au box-office et la tendance critique que l’on jugera l’impact de cette mouture. De nombreux fans ont été déçus, d’autres pas du tout – chaque version de Superman existe en chacun des adorateurs du personnage. Le public de comics ne suffira pas à remplir les salles, c’est aux familles et aux spectateurs lambda d’apporter le succès. Il n’est pas certain que l’identité radicale de ce film, tranchant avec le Snyderverse, parvienne à faire taire les polémiques et séduise le plus grand nombre.
Il me faudra une seconde vision pour mieux digérer la direction choisie, et, possiblement, adhérer à l’univers que je ne demande qu’à aimer.
Mais après tout, certains films rencontrent parfois un succès dont on ne saisit pas toujours la logique.




