Twenty Feet From Stardom : cartes de choeurs
Et si les plus belles voix de la soul et du rock étaient restées en retrait des stars depuis quarante ans? C’est (presque) le postulat du documentaire « feelgood » de cette fin d’année, « Twenty Feet From Stardom ». Ouvrez grand vos oreilles!
« Twenty Feet From Stardom »
, c’est d’abord un film de studio. Non, ce n’est pas une comédie musicale : je parle des studios d’enregistrement angelenos où tant de tubes ayant marqué l’histoire de la musique américaine ont été conçus. Les choristes qui font l’objet du coup de projecteur de Morgan Neville, ce sont d’abord des stakhanovistes des sessions. A commencer par celle qui est présentée comme la pionnière, Darlene Love. Celle-ci a fondé un groupe féminin de soul-pop, les Blossoms, et leurs voix distinctives ont très vite remplacé, en termes d’harmonie comme de prestance scénique, les choeurs féminins blancs qui officiait derrière les crooners populaires de l’époque.
Le sujet traité par Neville est large, et couvre quarante ans de musique, avec une industrie qui a beaucoup évolué et changé. Mais la plus grande qualité de « Twenty Feet From Stardom », c’est la fluidité avec laquelle on passe des extraits de chanson aux explications de texte. Après tout, ce que l’on chante et que l’on retient de « Walk On The Wild Side » de Lou Reed, n’est-ce pas les choeurs? Tina Turner aurait-t-elle pu enflammer autant la scène sans l’aide des Ikettes de la Ike & Tina Turner Revue (parmi lesquelles Claudia Lennear, qui s’exprime à plusieurs reprises au long du doc)? Probablement pas.
Pourtant, le public retient d’abord les voix. Mais les plus affûtés d’entre eux retiennent les bulldozers vocaux en fond. Entendre Bruce Springsteen s’exprimer sur la puissance des choristes est ainsi plus convainquant que n’importe quel narrateur révérencieux et dithyrambique. Et pas besoin d’être un mélomane averti pour sauter au plafond lorsqu’on entend la piste vocale de Merry Clayton qui a envoyé « Gimme Shelter » des Rolling Stones au panthéon du rock. Mais celle qui va être le plus utilisée et sublimée par Neville, c’est Lisa Fischer. C’est elle que l’on voit le plus faire ses vocalises, un scat jazzy absolument pur et enveloppant qui est mis bien en avant comme n’importe quelle explosion dans un film d’action. Frissons garantis.
La voix polyvalente et incroyablement riche de Fischer l’a mené à tourner avec les Rolling Stones, puis avec Sting sur sa dernière tournée. Ce dernier la laissant faire une démonstration de ses prouesses sur scène. Elle a également tenté une carrière solo chez Elektra et gagné un Grammy Award, mais le spectateur comprend mieux les raisons d’un succès sans lendemain, lorsque des images d’archive la voient arborer une interprétation de diva façon Whitney Houston. « Twenty Feet From Stardom » ne gomme pas les préjudices, qui viennent du public mais aussi des producteurs et de l’industrie : la croyance qu’une Mariah ou Whitney ne peut pas coexister avec d’autres divas, même étant tapies dans l’ombre, fait long feu. Neville n’est jamais aussi manichéen, et souligne les multiples opportunités de chacune des choristes émérites qui intervient.
« Twenty Feet From Stardom » n’est pas vraiment un film de challengers. Au contraire, beaucoup se sont satisfaits de l’anonymat, jusqu’à ce que les manipulations du producteur Phil Spector aient quasiment raison de la carrière de Darlene Love. Mais Neville tient aussi à nous présenter Judith Hill, qui s’inscrit dans la lignée de ces choristes à la lisière de la consécration. Perpétuellement. Les spectateurs de « This Is It » se souviendront sans doute de son remplacement de Siedah Garrett sur « I Just Can’t Stop Loving You » de Michael Jackson. La mort du King Of Pop n’a pas arrêté sa carrière, bien au contraire : elle tourne avec Stevie Wonder et tente de faire démarrer une carrière solo, avec des chansons qu’elle a écrit et composé. Mais son passage à « The Voice » de NBC cette année et les collaborations de haut niveau laissent perplexe quant à ses véritables intentions de percer en solo, malgré une voix tout à fait scotchante. De plus, avec son final en chanson, Neville bascule clairement du documentaire informatif au concert-tremplin pour mettre le coup de projecteur sur Hill. Une opportunité en or, certes, mais qui fait perdre le propos du documentaire en sincérité. Mais il est hors de question de bouder son plaisir, tant les néophytes comme les mélomanes avertis et chevronnés y trouveront leur compte.