Tu ne Tueras Point : Andrew s’en va-t-en paix
Je suis loin d’être fan du cinéma de Mel Gibson. Je l’avoue, je n’ai pas vu Braveheart ni Apocalypto par pur manque d’intérêt pour les thématiques abordées et les univers. En revanche, j’ai vu La Passion du Christ, que j’ai trouvé épouvantable. Aller voir le nouveau Gibson, Tu ne Tueras Point, pour moi, c’était donc sans aucune attente.
Je me suis surpris à aimer le film. Pourtant, le traitement de la foi qu’il opère est assez proche de ce que je sais du cinéma de Gibson. Très saint, très religion intouchable, avec peu de recul. Mais la différence raseuse en fait dans le fait que, dans Tu ne Tueras Point, ce traitement convient bien à l’histoire qu’il narre, puisque c’est bien par amour de Dieu et croyance absolue que le soldat héroïque a sauvé tous ces hommes. Le film ne trahit pas l’histoire originelle, il l’embrasse avec des thématiques que Gibson maîtrise, meme si l’héroisation du personnage est parfois, certes plus rarement qu’à l’accoutumée de ce genre de films, trop prononcée par rapport aux désirs de la vraie personne, jusqu’à en faire un symbole christique presque malvenu (le faire sortir du champ de bataille presque les bras en croix…). Cet objecteur de conscience qui va à la guerre pour sauver des vies sans en ôter, ce drôle de type faible et malingre qui se retrouve héros de guerre, c’est une histoire qui paraît trop belle pour être vraie et convient donc parfaitement à un iconiste (oui j’ai décidé d’inventer des mots) comme Mel Gibson.
Le film a vraiment un grand nombre de qualités intrinsèques qui en font avant tout un grand spectacle. L’immersion vaut facilement des films comme Gravity, les séquences de guerre sont absolument magistrales et connaissent à mon humble avis bien peu d’équivalents au cinéma. La guerre est brutale, sans aucune merci, d’une violence insoutenable et le spectateur la ressent au plus profond de lui même. Tu ne Tueras Point tient de l’hyper-réalisme, l’imagerie vaut certains tableaux de maîtres de Snyder notamment dans son iconisation des guerriers mais elle va plus loin en usant finalement assez peu du numérique pour se concentrer sur des vraies explosions notamment. Cette immersion est une immense qualité, et tient d’une grande passion de Gibson pour les histoires qu’il raconte. Cette passion est aussi son plus grand défaut, rarement certes, le film dépasse l’illustration réaliste essentielle pour saisir l’ambiance pour tomber dans la complaisance graphique qui était déjà l’étendard de la passion du Christ (le hara-kiri du commandant ennemi…).
Mel Gibson n’y est certes pour pas grand chose mais l’histoire que conte Tu ne Tueras Point est fascinante. Elle semble ressortie d’une période révolue, où un homme fait de sa foi sa raison d’être, jusqu’à renoncer à sa plus évidente dignité. Le film s’embarrasse un peu de flashs backs presque inutiles expliquant la foi sans relâche de son personnage principal (un trauma enfantin, quand bien même il est arrivé, aurait pu moi eu plus du force si il était simplement évoqué plutôt que montré à l’écran au début du film), mais c’est une autre manière pour Gibson de montrer sa compréhension de l’homme, qu’on ne pourra pas lui enlever. Plus intéressant d’imaginer une opposition par exemple avec son frère soldat guerrier, et d’en déduire que le jeune homme a décidé de faire son devoir sans avoir à en supporter le poids moral ensuite. Le mantra qui possède Andrew Garfield (grand acteur en devenir, une fois de plus formidable) en fin de film, ce « one more« , encore un soldat à sauver, est magistralement orchestré et obsède aussi le spectateur qui ne peut, même athée, que ressentir de l’empathie pour lui et vouloir qu’il continue. La force principale de Tu Ne Tueras Point, c’est qu’il donnerait presque la foi.
Au niveau historique enfin, Gibson ne peut se voir reprocher de ne pas connaître son sujet. On se croirait de retour dans la caserne de Full Metal Jacket, Vince Vaughn est magistral en colonel à la fois imbu de son pouvoir militaire et intrigué par ce jeune objecteur de conscience. La culpabilisation se fait sentir vite pour le jeune futur héros de guerre, héros que tout les soldats veulent voir disparaître de leur unité … Tout est fait en ce sens dans la caserne pour le dégoûter de son idée de servir sans enlever une seule vie, mais son sens du devoir va bien au delà de ces considérations de confort. Bien sûr que le film est moralisateur mais il est finalement assez crédible pour ne pas étouffer le spectateur, on est étrangement moins dans l’héroïsation aveugle que Bridge of Spies par exemple. Et, bien sûr, on est bien aidé par la personnalité du jeune auquel on est presque obligé de s’attacher.
Sans être un classique instantané, Tu Ne Tueras Point possède de ces qualités qui lui permettent de sortir du lot. Qu’on l’apprécie ou non, Mel Gibson a une vision du monde et reste un auteur à part entière. Et c’est déjà beaucoup !
AMD