007 Spectre : nom de Zeus, James, nous sommes en 1962 !
Je vous en parlais avant-hier dans un compte rendu sur les derniers films de la saga, mais le futur, c’est maintenant : Spectre est sorti, bat déjà des records dans le monde, fait déjà débat, attire grandement les foules. D’un point de vue financier, Sony n’a sans doute plus de souci à se faire, mais d’un point de vue créatif c’est à nous de voir : que penser de ce nouveau Bond ?
Alors que le programme 007 est compromis car rendu obsolète par les progrès technologiques du MI6, Bond est quand à lui mis à pied pour action non autorisée. C’est sans compter sur l’impétueux agent, qui repart en cavale, sur les traces d’une mystérieuse organisation, à l’origine de toutes ses mauvaises expériences, de la mort de Vesper à celle de M …
Sam Mendes, mais aussi Daniel Craig, viennent de livrer au monde leur premier James Bond. C’est au visionnage de ce film long de 2h30 (rassurez vous, cela passe très vite) que l’on a pu se rendre compte de la chose : si Casino Royale et Quantum of Solace n’étaient que des variations autour du personnage de 007, Skyfall, lui, rendait hommage aux films qui l’ont vu naître, Mendes ajoutant ça et là dans son film très personnel et ambitieux de nombreux clins d’oeils et références plus ou moins appuyés à ces films. Au fond, malgré son écrin doré et parsemé de petits diamants, Skyfall ne dépassait jamais l’hommage, le fan-made luxueux et parfaitement exécuté que l’on connaît. Spectre, en revanche, est un James Bond à part entière : enfin, la saga retrouve complètement son identité, cesse les expérimentations en tous genres et revient à la base. Rarement pour le moins bon. La plupart du temps pour le meilleur.
I like the old Bond movies, disait Colin Firth dans le sublime hommage parodique par Matthew Vaughn, Kingsman : Secret Service. Et nous aussi, on aime ça, les vieux Bond. Mais au fond, et il est important de se poser la question puisque, comme on va le voir, Spectre remet tout à plat sur la table, quelles en sont les caractéristiques majeures ? Voilà ce que l’on peut dégager : du côté très technique est précis, on veut un gun barrell en début de film, un générique de folie, un méchant haut en couleur, des James Bond-girls, mais aussi des répliques d’anthologie, un agent charmeur et drôle dans son côté pince-sans-rire, des actions et révélations invraisemblables qui nous rappellent quand même qu’on regarde une fiction, des scènes d’action épiques, des plans vertigineux aux quatre coins du monde… Et bien sûr, un héros qui gagne à la fin, sans trop de pertes humaines proches de lui mais en ayant bien donné physiquement quand même.
Spectre respecte tout cela, ou peut s’en faut. Enfin, Mendes apporte ce qu’il fallait à la saga pour complètement revivre, assumer le lourd héritage d’une bonne vingtaine de films. Le cahier des charges, et l’expression est pour une fois positive, est bien rempli : le générique qui, même si les intonations musicales qu’il proposent rappellent un peu trop Skyfall, est parfaitement accordé avec le film, empli d’images d’une beauté picturale assommante, et d’idées splendides comme celle des morts de la saga apparaissant en brume… En est la première pierre, à laquelle s’ajoute par exemple une scène d’ouverture dotée d’un remarquable plan-séquence, sur une attaque en pleine Fête des Morts à Mexico. Dès le départ, Mendes nous fait voyager, offre des plans à couper le souffle tant ils sont léchés et bien trouvés, loin de la caméra parfois épileptique, qui ne laissait rien voir, des opus précédents. S’ensuivront instants de bravoure, punchlines fréquentes sans pour autant handicaper le récit, moments de grâce et d’extase visuelle (le film a eu le Guiness de l’explosion la plus impressionnante, on ne dévoilera pas la scène mais … préparez vous à une grande claque !), et scènes de séduction d’une grande sensualité, comme Sean Connery savait à l’époque en proposer ! On a encore des frissons en souvenir de la scène avec Monica Belluci… Quand à Léa Seydoux, force est de constater que sa froideur habituelle va bien au rôle de Bond Girl, mais qu’elle sait aussi insuffler une belle émotion lors de scènes difficiles …
Scénaristiquement, le film peut être taxé pour certains d’une petite faiblesse, tant Mendes marque un trait. C’est sans doute ce qui dérangera les fans fraichement arrivés dans la saga : la tension dramatique se restreint, pour laisser place à un divertissement où l’action prime sur le reste. Si la chose peut gêner, il est bon de rappeler que le film est simplement fidèle au Bond des origines, dont on ne savait pas grand chose, que l’on se contentait de suivre dans ses aventures, l’exemple le plus formidable étant sans doute l’excellent mais très tiré par les cheveux Bons Baisers de Russie. L’intrigue est très simple dans ce Spectre, qui sait faire la part entre complications scénaristiques artificielles, et éclaircissements nécessaires et qui, si il n’est pas psychologique comme a pu l’être par exemple Skyfall, sait plonger son intrigue, pourtant correspondante à un modèle ancien, dans un monde original, froid, celui de la surveillance, de Snowden. Le progrès technologique affolant que connaît notre monde est pris en compte dans le film de Mendes, sublimé et au centre de l’intrigue, témoignant d’une vraie lucidité.
Non pas que la psyché de Bond soit en reste. Son étude est simplement moins appuyée qu’elle ne l’a été : en soi, le personnage, comme le film tout entier, montre à plusieurs reprises qu’il a tourné la page sur les douloureux évènements qu’il a enduré, que la vie continue, sorte de leitmotiv du film. Des reproches ont été faits au film de Sam Mendes, selon lesquelles le film s’appuierait trop, encore une fois, sur le passé de Bond : c’est le contraire, celui-ci est bien évoqué pour les besoins de l’intrigue, mais reste secondaire, mais essentiel pour faire une dernière transition entre origin story et parfaite connaissance, et donc banalisation, du personnage. On a pas vu de 007 aussi peu léger au niveau de l’ambiance depuis Meurs un Autre Jour il y a quelques années, et c’est agréable de voir Craig si pleinement à l’aide dans ce Bond 3.0, dont la mise à jour fleure bon le respect de l’héritage de Fleming, après une première mise à jour douteuse. Souriant, habile, passionné, on retrouve enfin notre Bond, et une histoire sombre, un peu dispensable, sur son passé ne suffira pas à faire pencher la balance. En face de lui, une némésis classique, un peu faiblarde faute de développement, malgré deux premières scènes d’apparition troublantes et fascinantes : Ernst Stravo Blofeld, tête de Spectre, interprété par un décidément trop rigide et uniforme Christoph Waltz (j’aimerais bien l’entendre dire une grossièreté, pour changer). Le film ne remplit ici pas le contrat, le méchant manque un peu d’aura malgré des tentatives évidentes pour le grandir, et la révélélation de son lien avec Bond manque d’intérêt,, et surtout de surprise. Son homme de main, tout ce qu’il y a de plus Bondien (le catcheur Dave Bautista), rattrape un peu le tout. Mais ses motivations, comme ses actions et ses dialogues, sont un peu faciles et en deçà du reste du film. Ajoutez Silva à Spectre, et vous aviez le Bond parfait.
M, Q, Moneypenny, figures emblématiques de Bond, restent enfin à leurs places de personnages secondaires, et s’en sortent très bien, face à un Andrew Scott décidément plus convaincant quand il ne gesticule pas. Certains sont cités en forme de clins d’oeil, comme Felix Leiter, on attend de les voir ressurgir par la suite, puisque James Bond Will Return, comme écrit en hommage en toute fin de générique. Les choses, de tous les points de vue possibles, ont l’air d’être revenues à la normale, on aimerait que Daniel Craig reste encore un peu, dans un rôle qui ne lui a jamais aussi bien sied.
AMD