Rétro Pixar, J-8 : Wall-E
Deux petits robots écolos dansent sur un air de jazz au milieu d’une Terre désertée, croulant sous les déchets. Vous l’avez deviné, c’est au tour de Wall-E de se dévoiler dans notre rétrospective ! Retour sur un film rare et unique, un pantomime de génie qui figure parmi les plus beaux essais poétiques de Pixar.
En 2008, les studios consentent enfin – et à raison- à donner une chance au projet de 15 ans d’Andrew Stanton, ce formidable créateur qui leur a pourtant offert 1001 Pattes et Le Monde de Nemo, également scénariste fard de Toy Story, Montres&Cie, mais qui pourtant n’avait pas convaincu lorsqu’en 1995, il esquissait déjà l’idée d’abandonner les yeux gigantesques des personnages humanoïdes de la firme pour revenir à l’essence même de ce qui fait le génie créatif de ses animateurs; faire naître l’émerveillement et la poésie de simples objets, comme d’une petite lampe de bureau qui jouerait avec un ballon…
Avec Wall-E, l’histoire simple et pleine de charme d’un petit robot à roulettes compacteur d’ordures qui marche à l’énergie solaire, occupé à trier les déchets d’une Humanité en exil, Pixar touche au cœur de ce qui a fait son succès en revenant au cinéma d’animation expérimental et indépendant de ses premiers courts-métrages. Réaliser un film dont l’enjeu dramatique repose sur deux personnages quasiment muets, deux machines aux airs de boites et de robots de cuisine, dont les caractéristiques physiques n’ont pratiquement rien d’humaines, le défi est de taille pour le studio habitué aux personnages hauts en couleurs, extrêmement bavards appartenant à des sociétés qui reflètent celles des hommes. Et pourtant, ça marche et plus encore, c’est fantastique.
Prenez un petit robot obsolète tout détraqué,un prototype nommé Wall-E avec une paire de jumelles en guise d’yeux, il crisse en roulant sur ses petites chenilles, rendez-le mélancolique, faites le contempler les étoiles lorsque vient la nuit, s’émouvoir devant des comédies musicales de légende telles qu’ « Hello Dolly ! » et collectionner les gadgets humains… Et vous tenez là un héros qui peut se dispenser de parler, foncièrement cinématographique. Il tombe transi amoureux d’EVE, un œuf moderne tout blanc au regard digital bleuté, dont la ligne épurée et la courbe ronde sont dessinées par le designer de l’I-pod ( également l’un des créateur de Pixar), une petite merveille de technologie venue sonder les montagnes d’ordures à la recherche d’une forme de vie naturelle.
Wall-E n’est pas seulement un film qui nous ramène aux origines de Pixar, mais aux fondamentaux du cinéma, c’est un petit clin d’œil à la tendresse du muet, lorsqu’il suffisait d’un duo théâtral, de quelques gags bien écrits et d’une petite musique pour scotcher les spectateurs. Car les deux petits robots se suffisent à eux-mêmes, ils n’ont pas besoin d’une histoire ou d’un cadre animé pour créer l’émerveillement. Notez que Wall-E est d’autant plus authentique qu’il est le premier film Pixar à bénéficier de prises de vues réelles avec des croquis et une photographie très aboutis, dont certains plans sont à retenir comme parmi les meilleurs que le studio ait pu réaliser : l’éclat larmoyant dans le reflet des yeux du petit robot, les ballets aériens dans la nébuleuse…
Comme dans la majorité de ses films d’animation, Pixar livre sa traditionnelle leçon aux humains sur les conséquences de leurs actes pour la planète et ceux qui y vivent, la manière dont ils traitent les animaux ou considèrent leurs semblables, une réflexion qui généralement est amenée par la confrontation directe du microcosme des personnages avec le monde des hommes comme c’est le cas dans Toy Story, Monstres&Cie, Le Monde de Nemo, ou encore Ratatouille. Ce qui permet de transposer les problématiques de notre société dans un imaginaire symbolique. Wall-E ne déroge pas à la règle mais le fait encore d’une façon différente. Bien plus pragmatique et ancré dans le réel, le film assume jusqu’au bout ses références à la science-fiction en dénonçant à la fois les méfaits de la standardisation et les enjeux écologiques face à la pollution que génère l’industrie et ses déchets, s’appuyant sur les récentes théories de l’évolution, selon laquelle la morphologie humaine s’adapterait à l’inertie de notre quotidien et l’obésité gagnerait du terrain dans les années à venir si nous ne modifions pas notre mode de vie et notre alimentation.
Ceci étant, le résultat ne fait pas dans la métaphore et il est d’une absurdité et d’un mordant incroyable; les humains, exilés depuis des siècles sur un vaisseau spatial sont tous rondouillards, handicapés et sur-assistés dans un monde aseptisé. Réduits en esclavage de leurs propres désirs et vanités (alors qu’à l’époque nous ne sommes qu’à l’aube de Facebook), ils sont devenus incapables de prêter attention à leur environnement extérieur avec lequel ils ne sont plus en contact, contrairement aux robots qui sont connectés à l’univers tout entier dans leur petite individualité et la régularité de leur petite existence.
Le paradoxe de Wall-E est que l’humanité n’est pas le propre des Hommes qui devaient se servir des machines comme d’auxiliaires censées les accompagner dans leur fulgurante lancée vers le progrès, mais des robots eux-même qui ramassent derrière les humains, exécutent sagement la tâche pour laquelle ils ont été programmés et sont finalement à l’origine d’une nouvelle ère. Ils portent en eux poésie et rêve, cette petite étincelle de vie contagieuse que nous ramenons sans cesse à notre espèce et attribuons à « l’humanité ». Ce qui fait la singularité de Wall-E c’est aussi que ses héros ne sont pas en conflit avec l’espèce humaine, ce sont de simples machines utilitaires qui servent avec bienveillance et ne revendiquent rien d’autre que de continuer à être ce qu’ils sont : des outils, mais des outils heureux.
Très original, d’une grande rareté, Wall-E est un pari audacieux largement remporté par Pixar qui va jusqu’au bout de sa théorie de l’animation selon laquelle on peut donner vie à n’importe quoi, quitte à faire un film entièrement avec deux objets et faire naître l’humanité des formes les plus basiques. Malgré une critique quasi-unanime sur le fait qu’il s’agisse d’un petit chef d’œuvre d’ingéniosité et de poésie, les quelques remarques négatives pointent cependant le fait que l’intrigue serait trop simpliste et mièvre. Tout ça pour ça ? Mais il faut distinguer bons sentiments pleins de bons sentiments vides.
Stanton a pensé son projet, il l’a écrit lui-même du début à la fin, le film est pleinement conscient de jouer sur le charme désuet de cette histoire d’amour, il s’en moque souvent d’ailleurs, de par la maladresse de son petit robot et son amour inconditionnel et instantané, un brin fétichiste, pour EVE. Aussi, sous ses airs de fable qui vulgarise les problématiques écolos, se trouve une œuvre culturelle qui se nourrit de ses influences : des bruitages de Wall-E réalisés par Ben Burtt, doubleur de génie de R2D2, à la voix de Sigourney Weaver en guise de pilote automatique du vaisseau… Si l’on y regarde de plus près, l’univers du film repose sur un fond de références aux classiques de la science-fiction. Deux faces sont illustrées ; 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick et « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss pour le côté aventure spatiale, mais aussi le thème de Brazil (qui avait été utilisé pour la bande-annonce) et un peu de jazz allénien comme « La vie en Rose » de Piaf joué à la trompette, pour l’univers de désolation standardisé. Le film comporte ces deux univers et les deux héros, EVE et Wall-E en sont chacun les représentants.
On peut dire sans retenue que ce film est une réussite. Il est bienveillant, ne laisse jamais retomber l’émotion et réveille quelque chose d’enfouis en nous. C’est un concentré de poésie et de magie pure, comme une petite pause de légèreté, qui nous rappelle si ce n’est déjà fait, pourquoi Pixar a su faire les beaux jours de notre enfance.
Et pour prolonger cette virée dans les insolites du studio, demain je vous emmène faire un tour Là-haut, un film très haut perché.