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Penny Dreadful : retour sur la saison 1

Avant de se lancer dans la saison 2 qui a tout juste commencé, revenons en détail sur une série des plus mystérieuses, pour mieux nous imprégner de son atmosphère…

ATTENTION SPOILER SUR TOUTE LA SAISON. IL EST CONSEILLÉ D’ÊTRE ENTIÈREMENT A JOUR. LA LECTURE SE FAIT A VOS RISQUES ET PERILS

Le titre Penny Dreadful fait référence à ces romans à deux sous de piètre facture tant en terme de papier que de contenu, destinés aux adolescents, et racontant des histoires le plus souvent morbides (l’équivalent british des « pulp » américains). Si la série est un show américano-britannique, on sent l’humour auto-dérisoire so british immédiatement perler dès le titre. La partie américaine se verra surtout sur la forme (quelques ralentis ici et là, la musique, le spectaculaire), tandis que le fond sera bien plus britannique, avec ce fameux humour pince sans rire, donc, mais aussi à travers le Londres victorien (nouvelle preuve de la fascination pour l’époque victorienne dans les séries britanniques) et la référence au titre, sans compter un casting entièrement britannique à l’exception de Josh Hartnett.

Ecrite par John Logan (scénariste de Skyfall, Gladiator entre autres) et produite par Sam Mendes, Penny Dreadful compte l’histoire d’un petit groupe, composé du docteur Victor Frankenstein (oui, celui que vous connaissez), de l’ex-explorateur Malcolm Murray, du tireur d’élite un peu rebelle américain Ethan Chandler et de la médium Vanessa Ives. Murray les engage pour l’aider à retrouver sa fille Mina Harker (mariée à Jonathan Harker, l’opposant de Dracula), qui aurait été capturée et convertie aux forces du mal par un maître vampire. Très vite, cette histoire ne sera que prétexte au développement des personnages et de leurs psychologies torturées, dans lesquels vont s’immiscer des personnages comme Abraham Van Helsing (Dracula again), Dorian Gray (du livre d’Oscar Wilde), la prostituée irlandaise Brona Croft, mais aussi la créature de Frankenstein elle-même. Tous ne ressortiront pas indemnes de cette plongée au coeur des ténèbres…

©Showtime
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Sous couvert d’un titre volontairement auto-dérisoire, sorte de « ad lectorem » pour mieux nous inciter à continuer, Penny Dreadful ne tiendra aucune promesse. La série nous plonge dans le morbide, à la limite du malsain, et que c’est là un domaine qui échappe à notre contrôle ; Penny Dreadful sera alors une sorte de Northanger Abbey, le roman de Jane Austen, en bien plus sombre et moins léger : c’est au moment où on ne s’y attendra pas qu’il nous saisira à la gorge, jouant avec nos attentes. Qui eût cru que le rebelle mais non moins sensible Ethan Chandler, d’abord amateur de belles femmes, puis garde-malade d’une séduisante prostituée, s’avérerait être un loup-garou possiblement responsable de meurtres commis en filigrane de l’intrigue Mina ? La mort, la vie, sa frontière, sont-elles contrôlables, réellement à notre portée, comme le pense le jeune docteur Frankenstein, avant de voir sa créature tuer de sang-froid le professeur Van Helsing, figure paternelle s’il en est ?

Attirante par son casting cinq étoiles impeccable, Penny Dreadful ne nous laisse pas le temps d’admirer cet éphémère beau, thème central autour duquel elle fonctionne, et dès les premières minutes de l’épisode, nous annonce la couleur : une femme mystérieuse, un tireur d’élite auquel on s’identifie immédiatement par sa « réalité d’être », si l’on puis dire, et action ! Des vampires, hostiles, se jettent sur nos héros, et l’on sait intimement que nos croyances sont et seront bousculées. On entre directement dans un univers londonien sombre, sale, où la lumière du jour a cédé la place au fameux ciel gris anglais et où les rues sont continuellement baignées d’un épais brouillard illustrant parfaitement le fin voile qui sépare le monde réel de ce «demi-monde». L’épisode 2, du reste, ne nous laisse pas le temps de souffler : une scène de possession de cinq bonnes minutes a lieu, et au delà du talent manifeste d’Eva Green, elle est, par son aspect érotico-psychique extrêmement prononcé, un marqueur au fer rouge de ce que la série va être, c’est-à-dire un voyage au-delà de la frontière de l’amour et de la mort. C’est alors qu’instinctivement on se réfugie derrière la figure paternelle, la seule que l’on croit suffisamment courageuse pour nous tenir la main dans ce passage dans le noir dont nous avons tous eu peur étant petit et qui prend possession de notre âme. C’est là qu’intervient Timothy Dalton, étonnant de facilité dans un rôle proche de celui de Sean Connery (coïncidence jamesbondienne) dans La Ligue des Gentlemen Extraordinaires : un père blessé, meurtri au plus profond de lui-même, mais qui va se nourrir de cela, renonçant à tout ce qui est matériel pour de plain-pied entrer dans l’immatériel, s’appuyant sur les pouvoirs psychiques d’une femme pour mieux retrouver ce qui le rattache au monde réel. Sir Malcolm Murray sera donc Faust et Orphée à la fois.

©Showtime
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La même chose semble arriver aux autres personnages : Frankenstein fait de l’Enfer l’expérience que la rencontre entre la vie et la mort peut donner un résultat des plus incontrôlables et dont le prix à payer est lourd, car, ainsi que sa créature le dit, elle reste sensible et n’est point faite d’acier et de pierre ; Ethan lui se rapproche franchement d’Orphée, mais malgré tous ses efforts ne peut sauver sa bien-aimée, à tel point que le déséquilibre entre son ça et son moi s’affirmera au travers de sa double personnalité ; Vanessa, possédée par le démon (ce qui donne lieu à nombre de scènes faisant penser à L’Exorciste, de W.Friedkin), est celle qui expérimente le plus directement l’Enfer, à la fois Orphée (tentant de sauver une Mina qui à jusqu’à la fin lui file entre les doigts ) et Eurydice (on ne compte plus les traitements qu’elle reçut pour tenter d’exorciser cet enfer qu’elle vit) ; Dorian Gray, l’hédoniste, toujours ennuyé par une vie qui n’a plus tellement d’importance pour lui l’immortel, est la partie séduisante de l’Enfer, à laquelle succombent Ethan et Vanessa, mais qui très vite se rend compte que l’Enfer, c’est lui-même et pas les autres. Ne reste que Brona Croft, créature de l’Enfer aux yeux de certains dogmes par son métier, mais parce qu’elle a choisi la corruption pour vivre, et quand elle retrouve le droit chemin, c’est trop tard.

Freak show, Penny Dreadful pratique la mise en abyme avec la présence d’un théâtre polarisateur où se produisent des horreurs tant sur scène qu’en coulisses, anti-Dickens par excellence. Cet amas de références n’est pas qu’un simple hommage de Logan à la culture fantastique britannique, c’est également un prétexte de proximité, l’ingrédient nécessaire à l’alchimie entre les personnages, pécheurs capitaux aux personnalités bien précises et qui vont finalement se retrouver à former une famille (le père bourru, la mère/fille borderline, la fille prostituée marginale, le fils rebelle, le fils prodigue, et même le grand-père bienveillant) dont les passés troubles ne vont finalement, avec la situation, ne faire plus qu’un : des personnages qui ont raté leur entrée dans la vie réelle, et qui n’ont de cesse d’essayer de rattraper le temps perdu, de faire en sorte que les choses redeviennent comme avant, mais en vain. Freud verrait dans toute cette pulsionnalité ambiante, notamment à travers la scène où Vanessa voit sa mère tromper son père, une scène primitive ratée (quand l’enfant voit/fantasme le rapport sexuel entre ses parents). Un cruel constat, dressé par Frankenstein, liseur comme sa créature (sa tentative de recréer la vie mais qui finalement ne fonctionne par imitation), de poésie romantique, s’établit alors : « nous cherchons tous l’éphémère, sinon, à quoi bon vivre ? ». Ethan s’apitoie sur une Brona mourante qui elle-même n’offre que de l’éphémère, Dorian Gray ne connaît que l’éphémère jusqu’à sa rencontre avec Vanessa, laquelle n’a jamais totalement le contrôle de ses émotions, Frankenstein se réfugie dans son arrogance, et sa créature bosse pour un théâtre, lieu de l’éphémère. D’où la noirceur absolue, où l’espoir n’est absolument pas de mise : Brona Croft ne survit pas, et rien ne laisse entrevoir de grandes espérances (sic) de survie, tandis que Malcolm doit exécuter sa fille, qu’il arrive à voir une seconde normale, avant de la voir consumée par les vampires. Univers impitoyable, Penny Dreadful met face à un choix : s’adapter ou survivre

©Showtime
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Ce nombre incalculable de directions prises, ces méandres de psychologies individuelles et collectives portées par des personnages avec tant de relief, reste toutefois à double tranchant : à trop vouloir faire coïncider des personnages tels que Dorian Gray et Victor Frankenstein, on s’y perd, l’édifice reste instable et toujours au bord de la chute. Dorian Gray est par cela facteur tant de zizanie sur la forme de la série que sur son fond, et on regrette une ou deux décisions sérieuses à son égard. La série se perd du coup parfois dans des longueurs qui manquent de nous faire perdre pied, comme l’épisode 5 revenant sur les origines des personnages, en plein milieu de la saison. Si le récit est bien ficelé, un téléspectateur peut s’en retrouver désorienté, d’autant que ces origin stories durent tout l’épisode. Enfin bien sûr la série n’est pas tout public, et réduit donc son spectre d’audience ; elle gagnerait à fédérer un peu plus sans nuire à sa qualité : c’est notamment le cas du professeur Van Helsing, si bien amené, mais trop vite enlevé à nos yeux…

Cela n’empêche pas son casting de briller dans son intégralité : de l’androgyne perturbateur mais néanmoins fascinant Reeve Carney en Dorian Gray à l’extraordinaire Rory Kinnear en créature rongée par la solitude et le rejet, en passant par l’impérial Timothy Dalton en lord torturé, ainsi que le punchy Josh Harnett ou encore la très touchante et excellente Billie Piper, l’équipe de Penny Dreadful rayonne. Mais c’est bien Eva Green qui crève l’écran en femme au bord de la crise psychique de nerfs, et cela au travers d’abord de la scène de possession de l’épisode 2 (évoquée plus haut), mais aussi de l’épisode 7 extrêmement angoissant, quasi huis-clos où le jeu maléfique d’Eva Green nous glace délicieusement les sangs.

Une série à découvrir pour ceux ayant le coeur plutôt bien accroché. La saison 2 vient de démarrer : le monde de Penny Dreadful n’attend que vous !

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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