Lucky Man : sur un coup de dés (retour sur la saison 1)
Lucky Man, c’est la dernière création de Stan Lee, via sa société POW Entertainment. Ovni sériephilique, il n’en reste pas moins intrigant. Explications
Lucky Man, comme son nom l’indique, raconte l’histoire d’un flic désabusé, Harry Clayton, un détective du secteur criminel de Londres, à qui une mystérieuse femme, Eve, refile un bracelet lui permettant de maîtriser sa chance, un don qui ne va pas sans ses contreparties. Et Clayton de se retrouver dans une sale histoire mêlant corruption, jeux de pouvoir, rivalités…
Ce qui transparaît dans Lucky Man, et directement dans son générique, c’est son côté comics, immédiatement appliqué à la réalité. En utilisant l’artefact du bracelet de chance, Stan Lee a pu faciliter au mieux l’entrée, dans la vie quotidienne, de cette dimension quelque peu fantastique chère aux plus célèbres bandes dessinées américaines (avoir autant bon pied bon oeil à 92 ans force tout de même le respect). De sorte que ce qui suscite le plus d’intérêt dans cette série (dont la communication a été assez discrète), c’est ce fil d’Ariane constitué par ce bracelet mystérieux, qui en lui-même n’a rien de très fascinant mais qui une fois chargé de ce pouvoir devient intrigant. Sans révolutionner le tout, la série restant somme toute assez classique dans son côté procédural, elle parvient à accrocher, et mieux, à insuffler un vent de fraîcheur à un secteur (le super-héroïsme) ultra-saturé tant à la télévision qu’au cinéma. Elle ne présente aucun surhomme, et ne se repose jamais fondamentalement sur son objet particulier, au sens de laisser le fantastique prendre le dessus sur l’ancrage réaliste. Ce après quoi les protagonistes et antagonistes courent, c’est la signification de pouvoir et non le pouvoir (en tout cas pas directement) véhiculé par le bracelet, le fait qu’enfin le fantastique permettant d’accéder à un nouveau niveau de pouvoir paraisse véritablement à portée de main ; de sorte que le bracelet est en permanence dans cette tension entre mythe (on ne sait pas vraiment ce qui lui confère ces pouvoirs) et matérialisme (le premier réflexe du sceptique Clayton est d’aller consulter son beau-frère spécialiste en artefacts). Comme une rencontre entre une quête d’Indiana Jones et une histoire d’espionnage à la James Bond.
La qualité, notamment sur la forme, de la série, est aussi son hybridation. Essentiellement américaine du fait de ses fondements (Stan Lee, comics, fantastique), elle est dotée d’une enveloppe britannique (elle est diffusée sur Sky, avec des acteurs britanniques) qui lui offre une forme originale (et une certaine dignité) : de l’humour, de la classe, du décontracté, et un naturel absolument déconcertant à l’opposé de la grandiloquence américaine. Le Londres représenté est celui d’un terrain de ce jeu de pouvoir, plongé dans une espèce de grisaille permanente (très londonienne justement), loin des villes américaines souvent colorées, un peu à l’image du Londres de Skyfall, l’avant-dernier James Bond, un environnement à la fois hostile et familier. L’accent anglais y est prononcé, tout le rigorisme, la classe à l’anglaise y est mise en avant. Plutôt que de voir l’Amérique reprenant l’Angleterre, c’est l’Angleterre qui se réapproprie l’Amérique, cas somme toute rare. Le résultat reste néanmoins plus ou moins le même : Stan Lee a importé en Angleterre les codes américains, ce qui est plutôt regrettable, car au lieu de jouer avec ces codes pour mieux s’en émanciper, Lucky Man, finalement, ne fait qu’une proposition assez proche d’un procédural sur network américain, un peu dans le genre de Lucifer, la détestable morale en moins, ou de Gotham, le côté polar moins affirmé toutefois. Et du reste, Harry Clayton (excellent James Nesbitt, comme toujours) a ce côté James Gordon : flic déterminé à faire le bien, avec une assistante respectable, un humour pince-sans-rire, mais qui met les mains dans le cambouis une fois qu’il est rattrapé d’une part par son passé (le jeu) et d’autre part par le destin qui lui offre ce cadeau empoisonné qu’est le bracelet, la morale rudement mise à l’épreuve.
Le crédit de Lucky Man revient, in fine, à sa modestie et à son humilité, un côté très britannique dans la retenue, refusant de se prétendre autre que ce qu’elle est : un divertissement, une incursion de l’outre-Manche dans l’univers outre-Atlantique (ou est-ce l’inverse ?). Peut-être trop modeste, considérant sa fin assez ouverte qui laisse le mystère encore entier. A la fin de la saison, Harry Clayton retrouve sa famille kidnappée, mais laisse les méchants s’échapper façon Docteur Gang, nous laissant un peu en plan quant à qui est Eve, personnage encore relativement fade, à la consistance volatile, et surtout assez flou donnant le bracelet à Harry ; mais aussi sur toute l’étendue du jeu de pouvoir qui implique ledit bracelet, et des conséquences attenantes (même si offrir un côté game-addict à Harry Clayton pour contrebalancer en permanence sa dimension éthique est un choix intelligent, et donne à l’affrontement avec un Winter qui joue dans les règles mais selon ses règles, au sein de la police, un côté vraiment entraînant). C’est là qu’on ressent encore le côté comics : outre le côté graphique, il y a aussi cet aspect qui consiste à prendre son temps pour exposer tout son projet artistique, faire progressivement monter la tension, développer quelques veines secondaires (notamment l’intrigue amoureuse de Suri, l’assistante de Clayton, personnage identificatoire, directement touchée par l’histoire du bracelet) en parallèle de l’ambiance principale un peu noire (jeux de pouvoirs, corruption, tensions et rivalités avec la hiérarchie incarnée par le glacial Winter) puis appliquer la chute en laissant une porte ouverte (car il n’y a rien de plus imprévisible qu’un comics) pour le second tome. Il manque encore à Lucky Man une certaine complétude : au bout de cette première saison, les enjeux sont désormais posés, mais on attend d’y voir encore plus clair sur les intentions de la série. Dans la mesure où la série ne révolutionne pas grand-chose mais se contente de rester un peu (trop) dans les clous, on attend de la saison 2 quelque chose d’un peu plus dynamisant.
La saison 2 de Lucky Man reprend le 24 février sur Sky, et devrait, comme la précédente, être composé de 10 épisodes. Sans être déçu ni transcendé, on espère désormais une vraie avancée scénaristique. Comme dans un bon comics, quoi.