John From Cincinnati: chef d’oeuvre oublié, incompris et interrompu
10 Juin 2007. The Sopranos tire sa révérence. Mais la télévision est comme une monarchie où l’expression « Le roi est mort, vive le roi ! » trouve tout son sens, ainsi dans le sillage de cet adieu, devait naître un nouveau monarque : John From Cincinnati.
Crée par David Milch — se remettant péniblement de l’annulation de Deadwood — et de l’auteur Kem Nunn, John From Cincinnati s’articule autour de trois générations de surfeurs: le père Mitch Yost (Bruce Greenwood, L’Homme de Nulle part, Star Trek), ancienne légende de la glisse, dont le fils Butchie (Brian Van Holt, Cougar Town) montrait de grandes dispositions pour ce sport avant de sombrer dans la drogue. Mitch et sa femme Cissy (Rebecca de Mornay, Jessica Jones) ont la garde de leur petit-fils Shaun (Greyson Fletcher) qui semble bien avoir hérité du talent familial. Côté casting, on retrouve également Ed O’Neil (Mariés deux enfants, Modern Family) et Luke Perry (Riverdale, Beverly Hills), disparu en 2019.
Une série sur une famille dysfonctionnelle, dans la pure tradition HBO (Six Feet Under, The Sopranos, Big Love…), mais au milieu de ce cocon presque réconfortant une inconnue, ou plutôt un inconnu, John (Austin Nichols, The Walking Dead, Bates Motel). Un personnage singulier, qui ne dit rien, mais répète tout, et dont l’arrivée à Imperial Beach va entraîner d’étranges phénomènes. Lévitation, résurrection, disparition des addictions, autant d’élément créant un nombre incalculable de questions. Nouveau messie ? Figure du Christ ? Malade mental ? Amnésique ? Le mystère qui entoure le personnage ne cessera de hanter le spectateur qui tentera de trouver dans ses paroles cryptiques un sens.
C’est ce goût de l’inexpliqué qui rapproche John From Cincinnati d’une œuvre colossale du petit écran, Twin Peaks. Plus encore, la série de David Milch est annonciatrice de Twin Peaks saison 3, autrement dit, une proposition télévisuelle follement radicale, audacieusement libre, indiscutablement mélancolique. Mélange des genres, aussi bien soap que fantastique, Milch/Nunn prennent exemple sur Lynch/Frost en déconstruisant les codes sériels. En osant la métaphore, je dirais que la série de Milch et Nunn est comme une immense vague; elle est effrayante, on n’est pas sur de comment la prendre, mais ce doute, ce risque, en le prenant on peut parvenir a trouver le bon équilibre et être envahi de plaisir.
Si je devais être plus explicite, je dirais que John From Cincinnati évoque une thématique universelle, celle de la vie, dans tout ce qu’elle a de plus absurde, de douloureux, de cynique, cocasse, romantique. Pour donner corps à ce sujet, les scénaristes déploient une galerie de personnages alternant entre bizarreries et folie, mais tous des êtres paumés, incapables d’avoir une once de bonheur. En resserrant l’étau, on peut aussi dire que la série co-crée par Nunn parle de surf, le sujet de prédilection de son auteur. Ici, le surf est un art qui semble irrémédiablement s’abîmer quand on en oublie sa beauté pour se concentrer sur son aspect financier.
Forcément, indiscutablement, logiquement John From Cincinnati fut un échec lors de sa diffusion. HBO était-elle trop en avance sur l’époque ? Alors qu’aujourd’hui les shows exigeants, audacieux et expérimentaux sont légions, John From Cincinnati s’est achevé sans lever un instant le voile sur son mystère. Peut-être est-ce mieux ainsi, comme l’a démontré The Leftovers, le mystère est la plus belle des choses, elle légitime l’imagination, stimule les théories, créer les possibles. Et si au final, John était une réminiscence de ce qu’on fut enfant, quand la perfidie de l’époque n’avait pas corrompu l’innocence, une période ou l’impossible était une inconnue.
John From Cincinnati est disponible en DVD Import pour une somme modique.
PtitThib