Interview du Fossoyeur de Films à Paris Manga
Ultime interview que nous avons pu obtenir à la Paris Manga, celle de THE spécialiste cinéma du Web, Francois Theurel alias le Fossoyeur de Films, dont on vous conseille grandement les vidéos sur la chaîne du même nom ! Une interview très agréable avec un homme très généreux et accessible
Tout d’abord, d’où te vient ta grande culture, ta grande cinéphilie ?
Elle ne vient pas d’un endroit construit ou réfléchi. Mes parents ont toujours été cinéphiles et aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours regardé des films, on m’a montré des films, donc pas d’avant et d’après cinéma dans ma vie. Ca a toujours été naturel, pour moi, de regarder des films
Et du coup, comment est né, d’une part, mais aussi comment se construit, d’autre part, un Fossoyeur de Films ?
C’est né de mon envie de parler de cinéma, tout simplement, et le fait que sur Youtube et de manière générale, je ne voyais pas des vidéos qui parlaient de cinéma comme j’aimais en parler, avec l’angle que je développais par la suite, et c’était surtout pour combler un manque que je pouvais ressentir en tant que spectateur. Je voulais faire des chroniques sérieuses à la base, mais sur un ton décalé et qui soit divertissant. Je cherchais à le faire sous l’angle d’un personnage, qui soit un petit peu décalé, et comme j’allais parler surtout de cinéma de genre, je voulais que ce soit un personnage qui relève un peu de cet imaginaire-là. Ce Fossoyeur m’est venu en tête ; déjà j’aime bien porter du noir (sourire) et puis il aurait pu sortir d’une série Z de Hollywood des années 50, et voilà, je trouve que le Fossoyeur de Films fonctionnait bien
Comment se construit un Fossoyeur ? En documentant, en réfléchissant, en écrivant, en prenant plaisir, aussi, à faire des blagues au fil de la chronique. Y a pas une recette : j’essaie à chaque fois de m’adapter au sujet et de le traiter de la manière que j’ai vu le moins traiter à côté.
Dans tes chroniques, tu soulèves beaucoup de genres, films, sur des sujets et angles différents, mais toi quel est ton profil ciné/séries ?
Le Fossoyeur est une version déformée de certains de mes traits de caractère : il cabotine beaucoup plus, avec des mimiques etc. Par exemple Dune devient un running gag : ce n’est pas mon film préféré de tous les temps, j’adore Dune, mais j’en ai fait le film préféré du personnage du Fossoyeur, parce que c’est un truc d’obsession pour lui, une vision déformée.
Sinon, je pars du principe qu’il y a des bons trucs dans tous les genres qui existent. Après, j’ai une affection toute particulière pour le genre du fantastique, il y a un truc qui me parle vraiment beaucoup. Par exemple, L’Echelle de Jacob, j’étais très content à l’idée de le traiter, parce que ca représente exactement ce qui me plaît dans le genre du fantastique, et ce que je peux y trouver en terme de contenu. Mais je ne suis pas versé plus dans un genre que d’autre ; j’adore le cinéma de genre, mais je ne regarde pas que du cinéma de genre, bien entendu ; je voulais donner cet aspect à la chaîne parce que ca m’amusait de traiter surtout de ca. Y a toutes les thématiques, aussi, du cinéma de genre, qui serait pas aussi légitime que le « vrai cinéma », les vraies références à la Citizen Kane, les grands noms, et comme je ne suis pas d’accord avec ces visions de la légitimité au cinéma, estimant qu’il y a des films qui sont légitimes et pas légitimes, ca me permet d’essayer de réhabiliter des films, et de montrer que vraiment dans le cinéma de genre y a des films qui sont des putains de perles super intéressantes de la part d’auteur qui sont sans concession, qui ont une vraie vision.
Avec l’arrivée des webséries sur le Net, et qui se déclinent au cinéma, est-ce que tu penses que ce genre est viable, à terme, au cinéma, ou bien un cinéma 2.0 ?
C’est un média à part entière. C’est pas un truc qui, pour moi, va se muer en forme cinématographique. Par exemple, le cinéma s’inspire des séries comme les séries s’inspirent du cinéma. On l’a vu dans les années 2000 : y a un entrecroisement, les frontières sont vraiment devenues poreuses entre les deux formats, et pour les webséries c’est pareil. Après, il y a des codes, sur Internet, qui lui sont propres, mais pour moi, les frontières sont de moins en moins établies, en tout cas c’est un média à part entière. Il n’y a pas les séries et les webséries qui seraient un genre moins légitime : pour moi, c’est un genre tout aussi légitime, avec ses propres codes, et ouais, c’est amené à se développer. Après, il y a des grands noms, ca passe toujours par des figures de bélier : aujourd’hui, ce que connaît le grand public, c’est encore Norman et Cyprien, mais ca n’empêche pas que derrière y a toute une diversité, une richesse de contenu, et pour les webséries, c’est pareil. Y a Noob, y a différentes cultures, que connaissent un peu les gens, mais derrière, y a énormément de créations, et petit à petit, je pense que ca va s’ancrer de plus en plus dans les mentalités.
Le problème de l’originalité ne se pose pas par rapport à la question des remakes, mais sur la question du traitement.
On est à une époque de reboots et remakes (Jurassic World, Terminator), qu’en penses tu ? Dysfonctionnement d’Hollywood, manque de stratégie, manque d’originalité ?
J’en avais parlé dans ma chronique sur les remakes. Pour moi, y a pas forcément un manque d’originalité ; un film, que ce soit un scénario original, un reboot ou un scénario original, le plus important c’est pas l’idée de base, mais le traitement qui va lui être donné.
On pourrait, techniquement, faire 20 remakes d’un film de base, et aboutir à 20 films très différents les uns des autres et super intéressants à leur manière. Le problème de l’originalité pour moi ne se pose pas par rapport à la question des remakes, mais sur la question du traitement. Aujourd’hui, effectivement, les gros studios sont de plus en plus frileux sur des scénarios originaux ou prendre des risques. Parce qu’il y a de plus en plus d’argent investis dans les films, ils doivent faire des recettes de plus en plus gigantesques. Ce sont les énormes films qui vont porter toutes les finances d’un studio à tel ou tel moment. Je pense que la frilosité est le problème aujourd’hui à Hollywood, qui se reposent trop sur des franchises, par paresse. Mais sur le concept, je suis pas du tout d’accord pour dire que les remakes et les reboots sont forcément synonymes de manque d’originalité. Y a des scénarios originaux au sens où ils ne sont pas des adaptations ou des remakes, qui pourront faire preuve de tous les clichés du monde. Donc voilà, la question ne se pose pas en ces termes, mais y a un problème à Hollywood en ce moment, sur le fonctionnement des franchises, là oui je suis d’accord.
Penses-tu qu’il y aurait une époque de grands films léchés, de « grand cinéma » qui serait révolue, laissant place à une époque de divertissement, de films de performance, de jouissance avant tout ?
Non. Ce discours existe depuis les années 30. Déjà, on disait que le vrai cinéma était terminé, qu’il n’y avait plus que du divertissement de merde. Donc voilà, ce discours est tout sauf nouveau, ca fait juste 80-90 ans que ca existe. La création cinématographique n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui ; c’est juste que c’est pas ce qui est le plus exposé en terme de média. Après c’est surtout un problème en terme d’exposition, ce que les grands médias, les studios donnent à voir. Y a énormément de créations extrêmement riches et très intéressantes, et il faut faire la démarche d’aller un petit peu creuser, et de s’y intéresser. Et c’est surtout ca qui a changé. Y a moins de risques pris à grande échelle. Beaucoup de choses très intéressantes, mais faut aller chercher ailleurs, et le travail ne nous est pas prémâché. Donc je suis pas du tout fan des discours du type « Ah avant c’était mieux » ou « Y a une époque révolue de l’âge d’or du cinéma », non. C’est juste l’accès aux trucs intéressants qui je pense peut évoluer, mais y a toujours des trucs super intéressants qui se font.
Il y a 90% de merde aujourd’hui à la télé
Toi, d’ailleurs, plutôt bon blockbuster, film d’auteur, ou DVD chez toi ?
N’importe quoi. C’est l’éclectisme que je veux mettre en avant. Y a pas de cinéma légitime plus qu’un autre, y a des oeuvres intéressantes partout. Donc pour moi, tout dépendra du film, je suis très curieux de beaucoup de choses. Y a des films que je préférerais voir seul, pour certaines raisons, et d’autres, comme une comédie, en public. Tout dépend
Sur ta chaîne, est-ce que tu as des projets d’extension, de travail au-delà de Youtube, comme tu as fait avec le bonus sur le DVD d’Enemy, ou tes chroniques à Cannes ?
Ouais, ouais. Je vois comment ca vient, au fil des discussions, des projets. De toute façon, je suis pas pour segmenter les médias. Je suis pour ne rien segmenter (rires). Y a pas de sot média : je ne suis pas fan, par exemple, du discours de diabolisation de la télé pour dire que c’est forcément de la merde. Effectivement, il y a 90% de merde aujourd’hui à la télé, mais il reste 10% de formats intéressants, de vrais espaces de liberté, des choses bien qui se font. Par exemple, France 5 et compagnie, c’est bateau de dire ca, mais ca reste vrai. Donc si un jour on me propose un truc super intéressant à la télé en me donnant la garantie de liberté d’écriture et que je pourrai vraiment m’épanouir dans la création, pourquoi pas. Je vois comme ca vient. Pour moi Internet est un format en soi, donc j’évolue là-dessus, pour l’instant ca reste le format principal, c’est vraiment le pôle principal, ma zone d’indépendance, mais autour de ca peuvent graviter d’autres projets. Et je fais d’autres choses avec garantie d’indépendance : si Canal + ne m’avait pas laissé de liberté d’écriture, je ne l’aurais jamais fait. Et là je leur ai livré les vidéos terminées, et ils m’ont dit OK. Tant que ca se fait sur de bonnes bases, y a totalement moyen que d’autres trucs se goupillent, ouais.
Moffat a du talent, mais il m’énerve. Il m’énerve !
D’un point de vue personnel, tu suis Doctor Who : ton Docteur préféré ?
Je sais que c’est bateau, mais Tennant (sourire).
Quel est ton avis sur Steven Moffat et les saisons 8 et 9 ?
Moffat a du talent, mais il m’énerve. Il m’énerve ! Le truc, c’est qu’il est brillant pour trouver des idées de base, pour donner un arc. La quintessence de ses forces et ses faiblesses, c’est la saison 6. Sur 80%, j’ai adoré… jusqu’à la fin. Moffat est incapable de conclure. Et surtout, de conclure en respectant, en assumant ce qu’il a lancé. Et il n’a pas de notion du deuil : il n’arrive pas à tuer ses personnages, à prendre le poids des responsabilités qu’il lance. S’il s’était occupé de faire Doomsday (season finale de saison 2, ndlr), c’aurait été horrible (rires) ! Russell T Davies a su se séparer de Rose de la manière la plus triste et romantique qui soit ! Moffat, il aurait fait « on s’en fout ! », et en un claquement de doigts Rose serait réapparu dans l’épisode d’après. Donc c’est ca qui me gêne chez Moffat : brillant pour lancer des trucs, mais n’assume pas la portée de ce qu’il a lancé.
La saison 8, j’adore Capaldi. Je trouve qu’il est parfait en Docteur, c’était un super choix, mais la saison 8 m’a totalement laissé indifférent sur son écriture. Et ca m’a gonflé : je n’ai pas pas aimé, mais pire, elle m’a laissé indifférent. Je n’étais donc même pas sûr de regarder la saison 9, et je me suis laisser happer, et j’ai plutôt bien aimé. Je ne vais pas spoiler la fin du 2e épisode, mais sur Davros, il partait sur un truc magnifique vis à vis de Davros, et je me suis dit « putain s’il le fait c’est fort » et non ! Moffat a fait du Moffat, et tout est remis à zéro puisque ce qu’il s’est passé n’a pas vraiment d’incidence. Et c’est dommage.
Qu’est-ce que tu penses des comparaisons faites entre Capaldi et Tennant/Smith, que Capaldi a une popularité moindre parce que trop grand changement, retour aux origines etc ?
Capaldi reste très vif, mais a un côté très jeune aussi. C’est con, mais faut raisonner en terme de jeunisme auprès du grand public. Une grande partie du grand public veut des personnages jeunes auxquels s’identifier. Donc Tennant, Smith, ca pouvait être des poster boys, dans la chambre des gamins (sourire). Eccleston moins, c’est peut être pour ca qu’il est pas resté (que j’aime bien, je n’en suis pas dingue, mais il a un charme), et donc je pense que ca se résume à ca. Le public jeune, notamment l’impact qu’il a online, est de plus en plus important, et de plus en plus de séries ont des personnages jeunes, pour plaire à ce public-là, et une bonne partie de cette audience, c’étaient ceux qui aimaient les saisons avec Tennant et Smith. Surtout Smith, je crois (sourire). Donc je comprends que Capaldi, ça désarçonne. Y avait cette vidéo de cette jeune fille qui s’est filmée à l’annonce de Capaldi, disant « Oh non, il est vieux, c’est dégueulasse ! ». Donc ouais, ca m’étonne pas, mais c’est bien que, et c’est à mettre au crédit de Moffat, qu’il ait eu les couilles d’imposer Capaldi là où il aurait été si facile de continuer sur la lignée de Smith et Tennant.
Et Missy en Maître ?
Elle est géniale ! J’adore cette actrice. Elle est tellement géniale, tellement charismatique, et la manière dont elle le joue, c’est une tête à claques, mais tellement drôle ! J’adore, c’est très très bien d’avoir fait du Maître une femme, et surtout ce type de femme, c’est parfait.
Merci infiniment à François Theurel pour sa gentillesse et sa disponibilité, afin que cette interview se fasse. Visitez la chaîne du Fossoyeur de Films et apprenez plein de choses dans la joie et la bonne humeur !