House of Cards saison 5 : La guerre est déclarée (Bilan de la saison avec spoilers)
Bientôt deux semaines que la saison 5 d’House of Cards est disponible sur Netflix et les critiques les plus mitigées à son encontre ont été émises : trop lente, en perte de vitesse, voire ennuyeuse ? Le final perturbant fait tomber le couperet et marque un tournant sans précédent qui pourrait bien redessiner le paysage de la plus fine des séries politiques. Retour sur une saison sournoise où le vice règne en maître.
Ce n’est un secret pour personne, depuis sa dernière saison qui montrait le délitement des relations entre Francis et Claire, représentatif d’une faille dans le couple Underwood, et plus largement depuis leur accession au pouvoir, House of Cards a basculé dans la chronique des coulisses du Bureau Ovale et des manigances quotidiennes des membres du cabinet présidentiel et des principaux acteurs des différents partis. Une partie d’échec qui paraît certes plus contemplative et moins acide dans les faits que la lutte féroce d’Underwood dans la première saison, pratiquant le meurtre à mains nues pour dérober la présidence des États-Unis. Mais faut-il pour autant considérer que la série portée par l’incroyable maestro Kevin Spacey et réputée pour sa froide cruauté et son implacable cynisme s’essouffle ? Certainement pas. Au contraire, cette saison qui démarrait lentement se révèle dans ses derniers épisodes comme la plus tordue et corruptrice de toutes. Imprévisible, extrême, sinueuse, indomptable, l’intrigue part dans tous les sens pour aboutir à une leçon des moins attendues. Du moins pas sous cette forme.
En tant que pionnière des séries phares de Netflix à l’écriture peaufinée et au casting Hollywoodien, on peut considérer l’évolution narrative d’House of Cards comme logique car réaliste. La série écrite par Beau Willimon, auteur qui a touché de près aux campagnes électorales, présente une fiction qui se veut romancée, mais tout de même pointilleuse et réaliste dans son panorama de la géo-politique et de la politique telle qu’elle est pratiquée aux États-Unis et plus globalement dans le monde occidental moderne. C’est même le postulat de base d’House of Cards que de présenter l’envers d’un système qui régit notre monde et de se vouloir comme une plongée philosophique dans les arcanes du pouvoir. Aussi pour ces raisons, la voir changer de cap et varier ses buts n’est pas aussi surprenant et incohérent qu’il y paraît, car l’objectif des scénaristes n’est pas de faire un buzz sensationnel qui dériverait vers des contrées plus fantasmagoriques, mais plutôt de proposer une trame exigeante qui évolue de façon naturelle et donc tantôt linéaire, tantôt en dents de scie, comme dans notre réalité qui demeure fluctuante. C’est sans doute ainsi qu’il faut interpréter les choix qui sont faits depuis deux saisons par l’équipe de showrunners, et qui tendent à proposer une suite à l’histoire des Underwood qui soit viable et légitimée par un concours de circonstances complexes, ce qui implique des moments de latence, ou de flottement selon les points de vue (lesquels peuvent paraître stériles aux yeux de certains, compte-tenu de l’ambiance générale de la série).
Un condensé de réalité probable
Cette saison 5 est donc marquée par le contexte socio-politique actuel, qui se trouve partagé entre les affres du terrorisme, de la guerre en Syrie et de la présidence calamiteuse de Trump. Comment rendre compte de tous ces bouleversements dans l’univers dramatique d’House of Cards, le tout sans tomber dans le mimétisme grossier et sans changer de président ? Les scénaristes ont opté pour un angle qu’on peut considérer comme capillotracté, qui permet à la fois d’aborder les attaques terroristes, les pressions sur les enquêtes du FBI, les élections, les tensions avec la Russie, la guerre et les fraudes électorales. Ainsi Underwood sur le point de perdre son duel avec Will Conway (Joel Kinnaman), candidat patriote introduit dans la saison précédente, plus jeune que lui aussi bien en âge que dans ses méthodes de communication, userait d’une ruse plutôt répugnante (pour changer) en organisant une fausse attaque terroriste, le tout renforcé à coups de menaces internes dans les états posant problème pour gagner du temps en faisant fermer les bureaux de vote, figer l’investiture de son adversaire et renverser le jeu en quelques mois grâce à la constitution, forçant la main aux électeurs. Un coup de p… oker risqué et complètement fou mais qui lui vaudra d’être finalement réélu. On pourrait donc qualifier cette énième manœuvre magistrale de « viol électoral » (expression qui vaut également pour Trump), à savoir que la balance démocratique penchait en faveur du renouveau qu’apportait Conway. Seulement celui-ci, quelque peu perturbé par les méthodes sibyllines des Underwood, se laisse aller au stress et commet une erreur qui lui sera fatale. Pourrait-on y voir un clin d’œil aux dernières élections américaines ? Certes, mais comme nous sommes dans House of Cards, la justice morale n’a rien à faire là-dedans et la loi de la jungle s’applique : c’est donc le plus fort et le plus malin qui l’emporte. Le bluff d’Underwood présente dans cette saison le terrorisme sous sa forme la plus ambivalente, à savoir qu’il ferait le jeu du pouvoir politique et peut être considéré comme un objet de manipulation démocratique, au point de jouer sur la menace comme d’un outil influant le scrutin. Une vérité peu admise par les démocraties mais qui reste un point de vue particulièrement sensé.
Ce paquet de nœuds et de détours qu’est l’élection se joue en plusieurs actes qui occupent la majeure partie de la saison, mais n’influent pas sur le suspens toujours aussi efficace de la série. Et surtout, ne laisse en rien présager de l’issue drastique qui attend le spectateur. Car il faut dire qu’Underwood est bien vite rattrapé par les affaires et se fait de moins en moins précautionneux, même s’il est toujours bien entouré et reste un redoutable stratège encore invaincu. Son temps serait compté, est-il fini ?
La deuxième partie de la saison se fait plus captivante, car elle dévoile d’abord la vulnérabilité de Franck de manière subtile et progressive. Celui-ci, doté d’une mauvaise foi légendaire s’obstine à rester sur le trône sans avoir à se justifier de ses magouilles qui lui ont fait remporter l’élection. Il ne voit pas pourquoi la corruption qui a toujours eu cours dans le milieu se verrait tout à coup punie par des instances qui de son point de vue lui sont inférieures, comme 99% de ce qui existe d’ailleurs. C’est justement cet excès d’assurance qui va le mettre en difficulté. Mais pas seulement. D’autres intrigues sous-jacentes comme les petits meurtres intimes de ces messieurs, refont surface. Et le premier inquiété est Doug Stamper (Michael Kelly, sans âme, ou presque), bras-droit et sous-fifre le plus fidèle du couple, dont la vie sociale est aussi glauque que ses moyens de persuasion. C’est peut-être aussi là que pêche l’intrigue, on peut se demander pourquoi maintenant ? Sachant que l’on attend ça depuis quelques temps, et que la série n’a eu de cesse d’éviter la question des conséquences de ces actes odieux qui auraient tout aussi bien pu ne jamais trouver de suite… Mais c’est une option comme une autre qui sert une cause bien plus grande, puisqu’il y a cette fameuse question d’une taupe infiltrée au sein de la Maison Blanche qui communiquerait avec la presse. Mais qui ?
Le troisième facteur et le plus important, sont les rapports qu’entretient Frank avec ses proches qui rendent possible son influence. Et la pierre angulaire, le socle de son pouvoir se trouve être Claire (Robin Wright, toujours brillante) sa femme et accessoirement son alter-ego féminin, en plus glamour et tempérée, elle est le visage sympathique des Underwood. Voilà deux saisons qu’elle prend de l’ampleur et qu’on nous laisse deviner plus ou moins implicitement qu’un jour, elle finira par prendre la barre. L’intérêt est de savoir quand et comment. Elle a gravit les échelons rapidement, enchaînant les postes à responsabilités de plus en plus grandes ; passant de première dame à conseillère, diplomate, puis vice-présidente et dans la première partie de cette riche saison, elle va même jusqu’à être nommée présidente par intérim, en attendant la décision des Représentants. Seulement, si la rivalité entre les deux époux a toujours été évidente, jusqu’ici elle dynamisait favorablement leur relation. Les Underwood ont résisté au divorce et bien qu’ils fassent chambre à part et qu’ils aient tous deux des amants de passage et des vies parallèles, ils forment ce qu’on peut appeler un couple soudé et font preuve de respect et de considération l’un envers l’autre, ainsi que d’une confiance plus ou moins fondée. La saison 4 le prouvait, en voyant Claire le quitter, Frank, mal en point, perdait de sa superbe et était parvenu à mettre son monstrueux ego de côté (partiellement) pour exprimer tout son soutien à celle a couvert ses saloperies et l’a supporté durant toutes ses années. Mais pourtant, malgré le fait qu’ils semblent se rapprocher et que le président n’ait presque aucun problème à laisser Madame Underwood piloter la Maison-Blanche quelques temps, le vent tourne. Claire s’émancipe doucement mais sûrement. Plusieurs détails en témoignent, comme ses larmes suscitant une émotion qui contraste avec celle de son mari et lorsqu’après s’être soustraite au regard des caméra, l’œil omniscient de Frank, elle reparaît empruntant son fameux tapis de course exutoire pour sa séance de sport, métaphore de l’appropriation des accessoires symboliques de la domination de Frank, ou encore lorsqu’une fois présidente, elle s’adresse au spectateur dans l’un de ces monologues en aparté qui ont fait le succès de la série et qui jusqu’ici étaient le propre de Francis Underwood, celui d’avoir la capacité d’être partout à la fois et de posséder un statut supérieur à celui d’un simple héro de fiction, une faculté quasi-biblique.
Pourquoi ce malaise quand on sait que les Underwood fonctionnent en binôme et constituent le monstre à deux-têtes le plus impitoyable qui soit ? Et bien parce que dans cette saison, on lui fait comprendre qu’elle est populaire et que même si elle ne le revendique pas, elle a toutes les chances de rassembler un électorat pour survivre à la chute de son mari, qu’elle sent poindre. Et peut-être parce que Frank devient ingérable dès qu’il n’a plus l’ascendant et que ça lui donne un bref aperçu de la retraite détestable qui l’attend, et là-dessus on la comprend. Puis aussi parce que Tom, son scribe, fait sa crise d’ado ; il la trompe et ne l’inspire plus vraiment surtout quand il erre en chaussettes dans les couloirs aux yeux de tous, s’incruste dans les visites touristiques et qu’il pourrait s’avérer à terme, être une cible de premier choix pour le président, d’autant plus s’il se met à jouer celui qui écoute aux portes. Elle décide donc de rompre à contre-coeur pour l’éloigner définitivement de Washington.
« In or Out » : Une cruauté pandémique
La dernière phase de la saison est sans doute la plus intéressante de toute la série, car la plus démonstrative des dangers du jeu pervers auquel se livrent continuellement les personnages et dont ils sont dépendants. Ce défi perpétuel pour se hisser jusqu’au poste voulu et pouvoir regarder les autres d’en haut, prend des proportions pathologiques extraordinaires et les conséquences sont désastreuses. House of Cards a la particularité de n’être qu’un ressassement de problématiques obsessionnelles qui se renouvellent à l’infini et que les personnages, coquilles plus ou moins vides, s’appliquent à résoudre selon leur poste et la marge d’action que permet leur fonction. Pour eux, la vie n’a d’autre sens que la conquête et il est difficile de concevoir « autre chose » que ce grand plan sans issue, car nous spectateurs ne sortons jamais de cette réalité close qui est la leur. Dans ce purgatoire, la société civile n’existe pratiquement pas, ou plus, et tout jugement est aussitôt relativisé par l’échec des bons sentiments face au mal conquérant et victorieux qui nourrit le microcosme confiné de la Maison Blanche. L’existence dans la série se réduit à ce que nous voyons par la lucarne de leurs yeux dans cette atmosphère impersonnelle et glaciale. C’est bien ce qui fait défaut au couple et aux autres personnages : le soupçon de « vraie » vie, d’intimité et de liens affectifs supplantés par la hiérarchie, et ce que semble regretter Claire. Ainsi quand elle apprend que Frank a annoncé sa démission devant la commission et orchestré lui-même sa chute, qu’il définit comme le fantasme ultime du contrôle infini, et qu’il était à l’origine des fuites, le tout pour accéder à un pouvoir plus global, quelque chose se brise. Un peu comme nous, elle a le tournis, et n’arrive plus à le suivre, elle se sent trahie. La maîtrise change alors de camp, elle réalise peut-être que son nouveau plan pour la faire élire présidente et le gracier ensuite afin qu’il puisse prendre possession de la sphère privée et agir dans l’ombre avec la liberté la plus totale n’est jamais qu’une tentative supplémentaire de déplacer ses pions à sa guise. Et surtout qu’il compte encore à ce qu’elle soit l’un d’entre-eux, maniable à souhaits. Cerise sur le gâteau, elle vient justement d’assassiner son amant, Thomas Yard, pour protéger leurs petits secrets, renonçant symboliquement à la part d’humanité qui subsistait encore en elle. Bref, elle est furieuse et quand elle promet à Frank de le suivre même si elle n’a pas du tout apprécié ce qu’il considère comme un coup de génie qui leur sera favorable, on pressent qu’elle n’est déjà plus de la partie.
Underwood abat ses dernières cartes à la Maison-Blanche, faisant tomber ses dernières têtes non sans nostalgie, une hécatombe crépusculaire, dans les escaliers ou sur l’autoroute, qu’importe, on le sait désormais prêt à tout. Manipulations à outrance et excès en tous genre s’accumulent, pour finalement en venir au départ de Frank, évincé malgré lui et à la phrase de clôture de Claire plongée dans la pénombre du bureau ovale qui vient de trahir Francis en renonçant à le gracier jusqu’au dernier moment. Ce dernier qui multiplie les appels qu’elle ignore : « My turn. » Nous dit-elle face caméra.
Underwood face à lui-même
Bien-sûr, une telle chose était prévisible. Les spectateurs aguerris savaient que Claire finirait tôt ou tard par s’asseoir dans le fauteuil de Frank, dont elle est le pendant. Mais le plus curieux, c’est qu’alors qu’on croyait que le seul moyen pour Claire de vaincre Francis Underwood, serait d’établir une stratégie imparable, ce dénouement se fait malgré elle. Et c’est là toute la subtilité du revers que subit Underwood, pris à son propre jeu à cause d’une erreur de sa part, il s’est sabordé sans qu’on ait conspiré sa perte. Et il est mis en échec par la personne en qui il avait le plus confiance, sa femme, celle qui porte le même nom que lui et qui a été à bonne école, son égal. Il a crée les circonstances propices à cette trahison et tissé chaque fils de la toile qui l’a finalement pris au piège.
« Si elle ne me gracie pas, je la tue. », assure t-il. Difficile à présent de savoir s’il pourra mettre sa menace à exécution, livré à ses démons, dépossédé de tout contrôle, sa plus grande hantise, il demeure persuadé qu’il ne pourra jamais être absout de ses péchés. Frank Underwood va pourtant devoir se rendre à l’évidence : cette fois, il a perdu. Il devra par la même occasion encaisser l’échec de sa philosophie qu’il appliquait jusqu’ici comme une loi divine. On peut se dire qu’il finira par triompher du duel qui s’annonce, mais toujours est-il que son système a trouvé ses limites et qu’il n’en tirera pas de leçon. Un duel contre ce qu’il a lui-même engendré, contre lui-même.
La saison 5 se referme sur un cliffhanger alléchant car chaotique qui promet de ramener un peu d’immédiateté et de contraste dans l’univers d’House of Cards, à présent renversé. Tout dépend des choix qui seront faits en début de saison prochaine, qui pourrait bien être la saison de tous les possibles, et du sens qu’auront choisi de donner les auteurs du show à ce revers de fortune symbolique. On a de quoi leur faire confiance…